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Petit guide à l’usage de l’internaute pour se dégafamer

Je mettrais régulièrement à jour ce billet, pour couvrir les usages quotidiens. Ce billet ne se prétend pas être exhaustif. Voir aussi switching social ou PRISM Break.

Dans la sphère du militantisme du logiciel libre, et plus récemment dans la sphère associative ou même auprès du plus grand public, l’association Framasoft est connue et reconnue. Si elle a été fondée initialement pour faire connaître, et faire adopter le logiciel libre, elle s’est confrontée à un problème de taille : les usages du numérique sont de moins en moins en local, et de plus en plus en réseau.

Mais, qu’est-ce qui est reproché à Google, Amazon, Facebook Apple, Microsoft (les GAFAM) et aux autres entreprises de la Silicon Valley (et leurs homologues dans le monde) ? La critique principale vient d’une perte de contrôle sur ces outils. Cela peut concerner l’idée d’un espionnage pour le compte d’États, la perte de la vie privée (comme en témoigne l’affaire Cambridge Analytica ou la centralisation de données nous rendant dépendants d’un nombre restreint d’acteurs. Cette critique ressemble à ce qui a été développé, plusieurs décennies plus tôt, par Ivan Illich avec sa théorie des outils conviviaux. Son idée est simple, mais brillante : un outil, lorsqu’il est trop efficace (et autonomise tout), risque de faire perdre le savoir-faire à l’utilisateur. Cela dégrade son autonomie, et lui rend dépendant. Dit autrement, ces outils numériques ont été conçu sciemment pour que l’on soit dépendant à ces outils, et donc qu’on ne puisse pas s’en passer. On passe plus de temps sur ces outils, on leur donne toujours plus de données personnelles, et de ce fait, on enrichit ces entreprises (grâce à une publicité personnalisée, des contrats auprès de politiques pour les élections…).

Framasoft a eu une idée : adapter les théories socialistes aux enjeux du XIXe siècle. Comment ça ? Au XIXe siècle, pour faire face à la subordination que peuvent connaître les ouvriers face au patronat, furent développées les coopératives. Le concept est simple : différents acteurs se regroupent pour œuvrer non pas dans l’intérêt particulier de s’enrichir, mais dans l’intérêt général. L’association a donc décidé de créer un réseau de coopératives, nommé les CHATONS. Elle a lancé une campagne pour proposer une alternative à (pratiquement) chaque service des firmes du web. Bref, elle a écrit un guide pour dégoogliser Internet.

L’idée peut, à première vue, paraître géniale. En effet, on s’émancipe du contrôle des entreprises, pour adhérer à des coopératives plus respectueuses de valeurs que l’on pourrait défendre. Mais un problème se pose : ne risque-t-on pas d’être à nouveau dépendant de ces outils ? Certes, nos données ne sont plus aspirées pour produire des liquidités, mais on reste dépendant. Ainsi, pour rester maître de l’outil, et non esclave, il faut se questionner sans cesse de la pertinence de l’outil pour le but recherché, et trouver l’outil le plus simple pour l’usage donné. Pas besoin d’un pilon de plusieurs tonnes pour planter un clou, quand un marteau suffit. Pourquoi aurait-on besoin d’un groupe Facebook quand une liste de discussion par courriels pourrait couvrir l’usage ? Unix, un ancien système d’exploitation, a un principe de conception intéressante : « un outil spécialisé pour une tâche précise, pas de couteaux suisses ».

À partir de situations réelles (la plupart du temps mes propres usages numériques), je vais questionner mes usages et voir s’il n’existe pas une alternative conviviale. Bien sûr, le service « privateur » et le service « libre » peuvent changer, évoluer, disparaître, au gré des évolutions technologiques. La méthode, elle, peut s’adapter à ces nouveaux usages. Je vous conseille d’appliquer cette méthodologie pour trouver l’outil qui vous correspond, au lieu de simplement remplacer un outil par un autre. La démarche réflexive est essentielle dans cette démarche d’émancipation. Elle peut se résumer en quelques étapes :

  1. Trouver l’outil que l’on souhaite remplacer. Par exemple, l’outil « groupe Facebook ».
  2. Définir les usages que l’on en fait. Dit autrement, à quoi sert cet outil ? Il faut définir clairement l’usage que l’on fait de l’outil. Non pas de manière générale, mais l’usage singulier, personnel. Il faut aussi définir sur quel type d’appareil on l’utilise : généralement, les usages sont différents sur téléphone (ou tablette) ou ordinateur. Cela peut donner : « J’utilise les groupes Facebook pour envoyer des messages groupés à une liste de contacts, qui peuvent répondre. Je peux de temps en temps transmettre des documents joints. Je suis généralement sur mon ordinateur pour le faire ».
  3. Il faut trouver l’outil le plus simple possible et qui répond le mieux aux critères d’utilisations. Ici, la liste de discussion par courriel semble correspondre au cahier des charges ;
  4. Il faut trouver un fournisseur produisant ce service (= délégation), ou le gérer soi-même (= en régie) si on a les compétences ;

Bien sûr, c’est un processus itératif. Je ne suis pas parfait dans mes usages, et j’avoue céder souvent à la facilité, en utilisant l’outil capitaliste, particulièrement dans le cadre de travail collaboratif, par flemme d’argumenter. Mais, j’essaye de remettre en question régulièrement mes usages, afin d’être plus cohérent.

Nota Bene : je parle souvent des outils proposés par Framasoft. Ces outils étant libres, ils sont aussi proposés par d’autres CHATONS (ou hébergeurs lambda). À vous de chercher ailleurs pour soulager leurs serveurs, ou même à installer le logiciel chez vous ! (Framasoft indiquant systématiquement les logiciels sources).

Vous pouvez également suivre une « cure de data-détox », proposé par Mozilla.

Rédiger un document en commun : le « FramaOffice »

Lorsqu’on veut travailler en groupe sur un document, il y a deux manières de faire : écrire le document à l’aide d’un logiciel de traitement de texte en local, et envoyer ce document par courriel (ou autre) à ses collègues ; ou écrire à l’aide d’un logiciel de traitement de texte en ligne. Dans le second cas, on utilise généralement Google Docs ou Office 365. Mais savez-vous qu’il existe une version « libre » de ces logiciels ? Framasoft les a regroupés au sein de ce que j’appelle le « FramaOffice » : Framapad pour le traitement de texte, Framacalc pour le tableur, framaslides pour les diaporamas, framindmap pour les cartes heuristiques ou Framaforms pour faire des formulaires, par exemple pour des enquêtes. Framasoft se base sur des logiciels libres, et il existe d’autres structures offrant des services similaires basés sur ces mêmes outils.

Gérer le travail en groupe

De nombreuses personnes préfèrent faire des réunions IRL, plutôt que de passer par écrans interposés. On peut trouver la date qui convient à tout le monde à travers un framadate.

Pour coordonner un travail, et se répartir, il existe une méthode que, personnellement, j’apprécie : le kanboard. En gros, on divise le travail en tâches, que l’on écrit sur des post-it. Ces derniers sont répartis sur trois colonnes : « à faire », « en cours » et « terminé ». Si on ne veut pas s’embêter avec du papier, le service framaboard peut faire l’affaire.

Si au sein de notre association, on veut organiser un évènement et inviter du monde Mobilizon est parfait pour ça.

Le clavardage en groupe

Un usage de plus en plus fréquent, c’est le clavardage en groupe. Par exemple, je garde contact avec ma famille avec un groupe WhatsApp, ou que je planifie mon travail scolaire avec Facebook Messenger. Concrètement, je veux un salon de discussion où je peux parler à plusieurs personnes, tant sur ordinateur que portable (je réponds souvent rapidement dans les transports…). Si possible, je voudrais au maximum que mes conversations soient chiffrées, pour que seuls mes correspondants puissent me lire. En sachant que Messenger ou WhatsApp appartiennent à la même boîte (Facebook), ça ne m’enchante pas vraiment. Quant à utiliser Discord ou Slack, j’y vois peu d’intérêt : quitter une entreprise pour une autre ? La problématique serait la même. La solution que j’ai trouvée, c’est Signal, logiciel de clavardage, disponible tant sur téléphone qu’ordinateur. C’est joli et adossé à une fondation ― donc, a priori, moins de risques que les données personnelles soient vendues.

J’utilise, de manière épisodique, XMPP. C’est un protocole pour clavarder, avec de nombreux clients (Pidgin ou Dino sur l’ordinateur, Conversations sur Android). Je chiffre avec OMEMO.

Si vous voulez faire de la visioconférence, vous pouvez, au lieu d’utiliser Skype, passer par le navigateur. Il existe de nombreux sites pour cela : Meet Jitsi, Framatalk, Appearin, Hublin, Vroom.

Se tenir informer de l’actualité ou faire une veille

Nous sommes nombreux à utiliser les réseaux sociaux pour nous informer, et c’est effectivement pratique : au sein d’une même interface, on peut suivre plusieurs sources. Le problème principal est la constitution de « bulles » d’informations : l’algorithme a tendance à afficher les informations allant dans le sens de notre opinion. De plus, il est arrivé que certains algorithmes soient créés pour que l’on serve de sujets d’expérimentation, par exemple pour nous « manipuler » émotivement (je pense à une expérimentation de Facebook, qui, en affichant tel ou tel contenu, nous rend heureux ou tristes). Pour ne pas se faire influencer par ces algorithmes, il existe une technologie simple : les flux RSS. Concrètement, on s’abonne à différents sites (comme sur les réseaux sociaux), et on reçoit les informations en une seule interface. La seule différence, c’est qu’il n’y a pas de tri algorithmique. À titre personnel, je concentre de plus en plus de choses au sein de mon agrégateur ― même les pages des réseaux sociaux ! Si vous préférez la vidéo, Peertube est un excellent substitut à Youtube !

Pendant qu’on y est, je vous conseille l’excellent site mmiaou : à partir de quelques questions sur vos goûts (centres d’intérêt, format…), il vous conseille sur un journal indépendant qui pourrait vous plaire ! Histoire d’avoir un autre son de cloche qu’un journal appartenant à un millionnaire, par exemple…

La cartographie en ligne

Pour se repérer, avant, on utilisait une carte : de nos jours, on a plus tendance à utiliser Google Maps. Mais ce dernier s’amuse quelquefois à mentir. Donc, je préfère utiliser OpenStreetMap, qui est une carte libre (et souvent plus précise). Au passage, vous pouvez contribuer à travers le projet HotOSM, pour cartographier des zones sinistrées. Ça aidera beaucoup l’humanitaire sur place !

Sur téléphone, vous avez aussi de nombreuses applications : je recommande OSMAnd ou Maps.

La diffusion d’informations à un groupe privé

J’utilise Facebook Groups dans de nombreuses occasions : par exemple, pour voir les changements de salles dans ma classe, diffuser des informations internes dans le cadre associatif, ou se coordonner pour une action militante. Mais, juste pour diffuser une information, voire la commenter, il existe un outil fiable, robuste et qui a fait ses preuves : le courriel. Pratiquement tout le monde possède une adresse (contrairement au compte Facebook) et de nombreuses personnes ont peuvent les recevoir sur téléphone. À travers une liste de diffusion, il est facile de transmettre une information à de nombreuses personnes. Généralement, votre université propose ce type de service, mais il y a aussi Framalistes).

Autre possibilité, vous pouvez monter un forum (ah, nostalgie, les débuts du web !) plus adapté pour ceux qui préfèrent passer par un navigateur.

Rechercher en ligne

Pour rechercher en ligne, pourquoi pas lâcher Google pour Qwant, un moteur de recherche européen qui se targue de respecter votre vie privée ?

Libérer ses terminaux

Bon, en arrivant ici, je crois qu’on a réussi à nous libérer d’une grosse partit des GAFAM. Reste la question des terminaux : pourquoi ne pas installer sur votre ordinateur une distribution GNU/Linux et LineageOS sur votre mobile ? Je ne vous détaillerai pas tout ça, c’est une longue histoire… En attendant, vous pouvez faire une transition en douceur en utilisant des logiciels libres, tant sur ordinateur que sur téléphone. Ainsi, on pourra utiliser Firefox comme navigateur internet, ou LibreOffice comme logiciel de bureautique.


À travers ce court panorama, j’ai essayé d’explorer divers usages numériques, en montrant comment le « libre » pouvait remplacer le « privateur ». Je n’ai pas été exhaustif, bien sûr. Comme dirait si bien Framasoft, la route est longue, mais la voie est libre.

2 commentaires

Chouette comme billet ! D’actualité en plus.

J’ai été surpris pas la qualité de Framatalk qui remplace très bien Skype.

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