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Lymphome 12 à 14 : éléphant, tension et rayons

L’avant-propos se trouve ici.

12 -- L’éléphant éclopé

Aujourd’hui, nous allons parler de Barry. Barry, c’est un autre patient de l’unité traditionnelle. Ne le cherchez pas dans sa chambre, il n’y est probablement pas. Il est surement en bas, devant le bâtiment, à fumer clope sur clope. Et si jamais il est dans ça chambre, vous le saurez facilement, car Barry râle. Il râle beaucoup. Parfois il râle tout court, parfois il râle d’agonie1.

Vous vous en doutez, Barry n’est pas son vrai nom, je ne le connais pas, son vrai nom.

Tiens, petit aparté, lorsque les soignants parlent entre eux des patients, ils ne disent pas « M. Truc », mais « le patient de la chambre 4 », voire simplement « il y a chambre 4 qui râle ».

Revenons à notre éléphant : je l’ai surnommé ainsi d’une part car, comme bien des humains, j’aime donner un nom aux choses, d’autre part parce qu’on l’entend de loin, qu’il fait autant de bruit que… qu’un éléphant. Or, les éléphants, ça barrit.

Au début, j’avais demandé ce que c’était que ce bruit. L’infirmière m’avait rassuré : il est grognon, mais il n’est pas en train de hurler de douleur ou de pousser un dernier beuglement. Ou alors il est très très long.

Pourquoi vous parler de Barry ? Parce que des patients, on n’en croise pas beaucoup. La plupart restent dans leurs chambres (souvent, ils n’ont pas le choix). Je n’ai souvenir que de 3 patients, croisés lorsque je sortais me promener (les bons jours), ou que je quittais l’hôpital pour une permission (les très bons jours). Une femme entre deux âges, chauve – bien évidemment – qui discutait dans le couloir ; un jeune homme noir, qui semblait en moins mauvais état que la moyenne du coin (il était debout, dans le couloir, il ne pouvait qu’être en moins mauvais état). Et Barry.

Barry, on le croisait au rez-de-chaussé, la clope au bec, un peu sur le côté des infirmiers, qui sont nombreux à fumer. Ne lui proposer pas de l’aider, bien qu’il soit en fauteuil roulant, il refusera de manière guère polie. Oui, il râle beaucoup, Barry.

Allez, un autre aparté. Je sais que les infirmiers sont dans un environnement que je qualifierai de « très stressant ». Il faut courir partout, les journées font 13 heures, les patients meurent, tout ça, tout ça. Mais malgré ça, c’est bizarre de les voir fumer. Ils sont personnels médical, ils savent que fumer augmente fortement les chances d’avoir un cancer, ils savent ce que c’est que le cancer. J’en avais discuté un peu avant mon départ avec une infirmière qui justement avait arrêté de fumer, pour son enfant, de mémoire. C’est sûr que gérer le stress de l’arrêt de la cigarette quand on fait ce genre de travail, ce doit être un peu compliqué.

Barry, donc. Barry, comme tout plein de gens, a des interdictions alimentaires. Et des périodes d’aplasie. Avez-vous déjà essayé de maintenir un isolement sanitaire en envoyant dans vos poumons des merdes pas possible ? Le tout à l’extérieur du bâtiment (donc de la chambre) ? Ça parait compliqué n’est-ce pas… Ne pas manger des bonbons parait plus simple, mais bon, il y avait un distributeur, en bas, et la nourriture de l’hôpital est dégueulasse, alors vous comprenez… Barry, c’était le type qui faisait sortir les yeux des infirmiers de leurs orbites, qui râlait tout le temps, qui ne respectait pas ses protocoles de soins, et qui poussait son fauteuil roulant pour aller fumer, quitte à s’endormir, en plein courant d’air, dans le couloir (je crois vous avoir déjà dit que ça fatigue, la chimio).

Un jour, en revenant de permission, je ne l’ai pas entendu. Je ne l’ai plus entendu du tout. Et je doute fortement qu’il ait été soigné.


  1. OK, celle-là est un peu honteuse. J’ai failli ne pas la mettre. Mais j’ai prévenu dans l’avant-propos que j’ai un humour un peu noir, à l’occasion. Et quand on a un cancer, c’est l’occasion ou jamais, dans tous les sens du terme.

13 -- La tension descend

Nous sommes fin 2012, j’en suis presque à la moitié de mon traitement. C’est d’autant mieux que la seconde moitié du traitement est moins lourde que la première (consolidation, qu’ils disent). Le corps commence cependant à prendre cher, ce qui fait que la chimio, même moins forte, n’est pas forcément mieux supportée. Heureusement, les grosses cures, à base de méthotrexate à haute dose qui font douiller sévère, ce sera fini. Reste donc une dernière. Une dernière à risque, vous vous en doutez. J’ai subi cette cure comme les autres, et j’attends maintenant la phase d’aplasie (déficit en globule blanc) qui suit. La semaine d’injection se passe tout le temps bien, c’est l’aplasie, qui arrive une semaine après les premières injections, qui est toujours dure. Jusqu’ici, chaque aplasie a été plus longue et plus forte que la précédente.

Je rentre de mes quelques jours de récupération entre la cure elle-même et l’aplasie dans le service d’hématologie, et on m’envoie dans l’unité protégée. Pour rappel, les niveaux sont : « de jour », « de semaine », et « traditionnel », avec les mêmes règles (mais des horaires d’ouverture différents), « protégé », où tout le monde a le droit à son filtre à air anti poussière (alors que c’est une grosse machine que l’on déplace en unité traditionnelle au besoin), et « stérile », où on se lave à la bétadine avant d’entrer et où les règle sont plus drastiques encore.

C’est parti. Tout se passe normalement. Grosse fatigue, infirmiers stagiaires qui sont suffisamment compétents pour qu’on ne passe plus derrière, discussion sur le non-port de sur-chaussure parce qu’en fait ça n’apporte rien au patient… La routine. Routine fatiguée, mais routine. Ce qui inclut le lavage du lit. On me demande donc de le quitter pour aller sur le siège le temps de procéder. Sauf qu’une fois sur le siège, BLAM.

L’instant d’après, ma chambre est pleine de monde. Ils ont tous pris soin de mettre le masque anti-contamination, mais ils sont vachement nombreux. On me demande combien il y a de doigts, et je réponds le bon nombre (c’est dire mon état : je n’ai même pas dit « cinq dont trois levés »). On me dit après que j’ai posé la question que je ne me suis pas endormi, mais bien évanoui. Un médecin arrive. On prend ma tension, assis sur le lit, qui est un peu basse (ce qui, vu l’excitation ambiante, n’est pas très normal). Le médecin me fait me lever, ma tension chute. Une infirmière fait remarquer que ce serait bien que je me recouche dans ce cas. D’où acte.

J’appendrais au passage que la consigne dans ce genre de cas consiste à sortir dans le couloir, et à crier « au secours ». Simple, mais efficace.

Le coupable le plus probable de ma baisse de tension est une infection dont les toxines provoquent une dilatation des vaisseaux sanguins (ou un truc du genre ; ça date, et j’étais pas en état). La solution est :

  • de retirer mon cathéter, probable source d’infection vu que mon système digestif et mes poumons sont OK ;
  • une grosse cure d’antibiotique ;
  • une perfusion avec une espèce de ballon pour augmenter la pression artérielle ;
  • la consigne de rester coucher jusqu’à nouvel ordre.

Soit, en gros, deux jours. Non pas que je coure comme un lapin après, mais je n’aurais qu’une seule journée avec l’interdiction formelle de me lever. Ce qui inclut l’absence de douche et de faire pipi dans un pot. Pouvant me lever pour accéder à la douche, et me doucher assis sur une chaise imperméable le lendemain, j’échapperai à la toilette sur le lit. Le cathéter a été mis en culture dans le but de trouver la souche exacte responsable de mon état, mais ça ne donnera rien. Il reste la source de l’infection la plus probable, mais on ne pourra pas en être certain.

Le temps passe, et le taux de globule blanc ne monte que lentement. La période d’infection ne compte pas dans le temps de récupération d’après les soignants… Ce sera donc une longue, longue aplasie.

Je ferai bien évidemment une réaction allergique lors d’une transfusion de plaquette, mais sans gravité. Bizarrement, je n’en ferai qu’une seule, alors que j’ai eu un paquet de transfusion.

Je finis par sortir, au bout d’un temps trop long à mon goût. J’en suis à la moitié du traitement. La pire moitié est faite. Pour la suite, les aplasies se feront à la maison. J’ai même espoir de pouvoir suivre quelques cours à la fac. En pratique, je ne pourrais suivre que 2 ou 3 séances, mais ce sera l’occasion de croiser quelques camarades. Je suis chauve, sans sourcil, l’air fatigué, mais aussi bien mes camarades que les professionnels de la fac, qui seront tous très gentil, cela dit en passant.

Bref, j’avance, résolument.

14 -- Rayons, examen, et domicile 1

La phase de consolidation commence. Les choses se feront maintenant un peu différemment : la chimio sera à l’hôpital, mais l’aplasie à la maison, si bien que je ne passerai qu’une semaine par mois à l’hôpital. La chimio est plus légère, ce qui me permet de bien la supporter malgré la fatigue qui s’accumule.

Je vous ai déjà parlé du personnel de l’hôpital, qui a été sauf rare exception à la fois incroyablement compétent et humain (ils ont supporté mon humour vaseux, c’est dire !), il est temps de vous parler des infirmières à domicile et du personnel médical hors milieu hospitalier.

Elles sont déjà venues à la maison auparavant. En effet, lors de mes sorties, il fallait refaire le pansement du cathéter régulièrement (tous les 2–3 jours), ce qui impliquait la venue d’infirmiers. On enlève le pansement transparent, on lave à la bétadine lavante, on désinfecte à la bétadine, on remet un pansement, et c’est reparti. Tout le matériel étant acheté en pharmacie. Pharmacie qui n’a pas hésité à vendre à ma mère des gants d’examens alors que l’on lui demandait des gants stériles. Si. Heureusement que les infirmières avaient des gants en réserve. Heureusement aussi qu’elles sont polies, car notre voisin, voyant qu’elle s’était garée devant chez lui et non pas devant chez nous, lui a laissé un message sur sa voiture. L’empathie, la politesse, le respect, tout ça.

Bref, je fais l’aplasie dans ma chambre, chez moi, avec une prise de sang tous les matins. Ma gorge a des plaques bactérienne et virales qui m’empêche presque de manger, et qui ne disparaisse qu’avec la fin de l’aplasie. C’est long, mais nous avançons. Je dis « nous », car plus que jamais, ma famille m’épaule au quotidien. L’aplasie passe, mais avant la prochaine cure, une nouvelle épreuve m’attends : les rayons.

« Les rayons », c’est le petit nom de la radiothérapie. On envoie des rayonnements Gamma pour tuer des trucs là où ils passent. En l’occurrence, on vise mon liquide céphalo-rachidien. Le truc autour du cerveau, quoi. Mais pourquoi donc, me demanderez-vous, ton problème n’est pas lié aux ganglions et au liquide lymphatique ? Souvenez-vous, je vous parlais de ponctions lombaires ; c’est le moment d’en dire plus sur ce joyeux examen que j’ai subit une petite dizaine de fois. Et puisqu’on est dans les trucs drôles, on va aussi parler myélogramme, y’a pas de raison.

Reprenons dans l’ordre. Une ponction lombaire consiste à faire un prélèvement de liquide céphalo-rachidien. Pour ce faire, on fait un petit trou non pas dans la tête, mais entre deux vertèbres. Parce qui oui, le liquide qui entoure votre cerveau descend jusqu’en bas du dos. Grâce au petit trou fait avec une aiguille démesurément longue (sérieux, elle est fine, mais fait au moins 10 cm de long), le liquide coule. Les médecins prélèvent quelques gouttes, ce qui peut prendre quelques minutes, ou beaucoup plus (selon le tour et selon les gens). C’est le moment ou jamais de raconter des horreurs, comme la fois où ça a pris plusieurs heures. Je vous entends, messieurs dames les médecins, même shooté au Kalinox. Parce qu’on est bien évidemment sous anesthésie partiel pour ça. L’anesthésiant est du gaz hilarant (protoxyde d’azote, de nom de marque Kalinox), que l’on respire par un masque. Ça a un effet étonnant : ça dédouble tout. Les sons, la vue, la douleur. J’avais l’impression qu’on me piquait à plusieurs endroits, mais pas fort.

Dans un second temps, on injecte éventuellement de la chimio dans le liquide céphalo-rachidien, pour la bonne raison qu’on y a trouvé (ou qu’on trouve régulièrement ?) des lymphocytes pas content dedans. Le prélèvement sert donc aussi à s’assurer qu’il n’y a plus rien dans le liquide. Ensuite, il faut se coucher pendant deux heures, sans quoi vous êtes bon pour un sacré mal de tête. Et si vous voulez faire pipi, c’est dans la bouteille en plastique. Si. Et comme c’est pendant la phase de chimio, on nous injecte beaucoup d’eau afin de préserver nos reins, donc deux heures sans faire pipi, ce n’est pas possible. Même en faisant pipi 400 mL d’un coup, ce qui fait déjà une sacrée vessie. Vous pouvez au choix me croire sur parole ou mesurer le volume de ce qui sort lors d’un pipi typique. Je vous laisse choisir.

Je crois que je m’égare encore… Puisque je suis avec les examens de suivie pas sympa, c’est le moment de parler du myélogramme. C’est une ponction de moelle osseuse. Pour ce faire, il faut faire un petit trou, sous anesthésie locale, dans le sternum. Ensuite, à l’aide d’un tube identique aux tubes de prélèvement sanguin, on prélève. Le seul moyen de décrire la sensation serait de dire que ça fait Schlurp. Imaginer un schlurp, mais au lieu de l’entendre, vous le sentez avec votre sens du touché, au sein même de votre corps. Le myélogramme, c’est le schlurp fait examen médical. Et je pense que c’est une super conclusion, donc je vais vous laisser là.


3 commentaires

Bravo pour le témoignage, vivement la suite. ;)

Et si vous voulez faire pipi, c’est dans la bouteille en plastique. Si. Et comme c’est pendant la phase de chimio, on nous injecte beaucoup d’eau afin de préserver nos reins, donc deux heures sans faire pipi, ce n’est pas possible. Même en faisant pipi 400 mL d’un coup, ce qui fait déjà une sacrée vessie. Vous pouvez au choix me croire sur parole ou mesurer le volume de ce qui sort lors d’un pipi typique. Je vous laisse choisir.

Pour le diabète c’est le même problème dès que la glycémie est élevée. Et c’est particulièrement handicapant car cela peut se produire n’importe où et n’importe quand. Ce qui rend tout déplacement de longue durée sans accès aux toilettes un brin tendu.

+4 -0

400ml, petit joueur ;)

Avec des sténoses de l’urètre à répétition, tu pourrais faire bien plus !

Sinon, très beau récit, comme d’habitude. Je ne parle pas du contenu, qui globalement est horrible, mais la forme est assez belle (ce qui est valable pour tous les autres épisodes).

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