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La branche nordique des langues hadoriennes

La branche nordique est constituée d’humains qui ont, durant un temps, migré à l’Ouest avec la maison de Hador, mais qui se sont finalement établis avant d’arriver au Beleriand, dans les alentours du Rhovanion1. De leur existence durant le Premier et le Deuxième Âge, on sait peu, car ils étaient plongés dans les ténèbres : ça n’est qu’à la chute de Númenor, lors de l’établissement des royaumes de l’exil (Arnor et Gondor) par les survivants númenoréens, que ces Hommes du Nord commenceront à rentrer en jeu.
Nous allons donc nous pencher sur les langues de ces peuples et quelque peu sur leur histoire, afin de compléter notre description des langues hadoriennes, déjà entamée dans le chapitre précédent.

Il sera souvent question du Gondor, je vous conseille fortement de regarder la vidéo de Glaz sur le sujet, même si vous pensez connaître le royaume du Gondor :

Le Gondor, présenté par Glaz.

Avant de commencer, je précise que l’on connaît assez peu sur les langues de cette branche, et que ce chapitre sera moins détaillé qu’à l’accoutumée.


  1. C’est à l’Est des Monts Brumeux. On y trouve la forêt de Grand’Peur (Mirkwood, où habite le peuple de Thranduil), le Mont Solitaire, objet de la quête du Hobbit, et le lac d’Esgaroth.

À l'origine, les Hommes du Nord

Les Hommes du Nord sont donc les descendants de ce peuple apparenté à la maison de Hador, qui s’établit dans le Rhovanion au Premier Âge. Durant l’expansion du Gondor, au Troisième Âge, ils furent de précieux alliés pour le Gondor, qu’ils assistèrent contre les invasions venues d’Orient. Au XIIIème siècle du Troisième Âge, un roi du Gondor prit même une femme issue de ce peuple et en conçut un fils, Eldacar : cependant, ce dernier fut destitué durant la « Lutte Fratricide », sous prétexte d’être issu d’un peuple moindre (par sa mère). Après plusieurs années de conflit, Eldacar obtint enfin gain de cause et revint sur le trône : ses successeurs, les rois du Gondor auraient alors désormais du sang nordique dans les veines.
Ce peuple du Nord commencera à décliner avec la Grande Peste, épidémie du XVIIème siècle, qui a décimé à peu près la moitié de sa population.

Comme dit plus haut, on sait peu sur leur langue, mais Tolkien semble clairement s’être inspiré des langues germaniques, notamment du gotique, qu’il reprend quasiment telles quelles pour former les noms propres de ce peuple. Si vous avez lu le chapitre précédent, le gotique a également inspiré le taliska, langue de la maison de Hador : comme ces deux peuples sont apparentés, il est normal que leurs langues le soient. Voici quelques exemples de noms propres :

  • Vidumavi vient du gotique « widu-mawi », jeune fille du bois ;
  • Vidugavia, signifie seigneur du bois ;
  • Marhari vient sans doute de l’ancien anglais « mearh » et du gotique « -harya » (soldat) : sans doute soldat au cheval ;
  • Marhwini peut sans doute être décomposé en ancien anglais « mearh » (cheval) et « -wine » (ami).
  • À noter enfin que la fête de « Yule » semble exister dans leur calendrier : tout comme dans notre monde, il s’agirait d’une fête païenne durant le solstice d’hiver, fête qui sera remplacée par Noël durant la christianisation des pays germaniques.

Je trouve l’examen de ce corpus de noms très instructifs, car il gomme la frontière entre langue originale et langue de substitution, à la différence du westron par exemple, où la différence est beaucoup plus nette ― le Hobbit appelé « Maura » sera, en anglais, appelé « Frodo », etc.

Voilà tout ce que nous savons sur les Hommes du Nord :) !

Descendance nordique

Des Hommes de Nord sont issus de nombreux peuples, que nous allons détailler dans cette partie et la suivante.

Les Humains vivant près du Mont Solitaire sont issus des Hommes du Nord. Tandis que le Mont Solitaire était, pendant une partie importante du Troisième Âge, occupé par des Nains, des humains vivaient non loin, dans une ville appelée Dale ou sur le lac d’Esgaroth, situé non loin. C’est dans ces environs que se déroule l’histoire du Hobbit : à cause de ses richesses, le Mont Solitaire est dévasté et occupé par un dragon appelé Smaug, et le Hobbit Bilbo sera impliqué dans la reconquête de ce mont.
Dans le Hobbit, la langue de Dale n’est pas présentée telle quelle, mais représentée par une langue réelle, comme le westron. La langue d’équivalence du dalien est le vieux norrois, langue parlée en Scandinavie durant une bonne partie du Moyen-Âge ― très schématiquement, c’est la langue des Vikings. Ainsi donc, on connaît peu de dalien réel, si ce n’est le vrai nom de Smaug : « Trāgu » (grosso modo, celui qui rampe). D’autres mots sont également pressentis comme daliens, puisqu’ils sont rendus par des équivalents vieux norrois. Mais nous n’avons certes pas de grammaire ou de texte rédigé en dalien :(

Certains éléments linguistiques montrent que des Hobbits habitèrent aussi dans le Nord, il fut un temps. C’est par exemple le cas du mot « stoor » (fort) présent en dalien et hobbitique, mais absent du westron. On peut aussi rapprocher le vrai nom de Smeagol1, « Trahald » du nom dalien de Smaug « Trāgu » : tous deux sont sémantiquement liés au fait de ramper, de se faufiler. L’on connaît également le nom de Deagol, tué par Smeagol : « Nahald » (secret), mais à nouveau, c’est à peu près tout ce qu’on connaît.

Enfin, d’autres peuples vivent dans la partie Nord du Rhovanion, comme les Beornides, dirigés par le changeur de peau Beorn. Ce nom est d’origine vieille-anglaise ― elle signifie homme, noble, chef, héros ― ce qui suggère une certaine proximité avec la langue du Rohan (cf. plus bas). Certains humains habitent également dans la forêt de Grand’Peur (Mirkwood) et doivent par conséquent parler une langue similaire.


  1. Ancien non de Gollum, personnage-clé du Seigneur des Anneaux.

Le rohirrique, langue des cavaliers

Contexte historique : la fondation du Rohan.

Le peuple des Éothéod descend également des Hommes du Nord et s’est illustré, comme ces derniers, par ses qualités guerrières : à la fois fidèles et valeureux, ils furent de précieux alliés du Gondor durant plusieurs siècles, et notamment en 2509 du Troisième Âge, à la bataille du Champ du Celebrant, où, guidés par Eorl, ils sauvèrent Gondor. Pour cette raison, Cirion, souverain du Gondor, leur accorda de fonder leur pays, appelé Rohan, à condition de rester éternellement les amis du royaume du Gondor. Ces Eotheod furent alors officiellement appelés « Rohirrim », qui est un nom sindarin signifiant « Peuple des seigneurs de chevaux ». Mais, nous allons le voir plus bas, ce n’est pas le nom que les Rohirrim se donnaient à eux-mêmes ;) .

Pour en savoir plus sur l’histoire du Rohan, je vous conseille le Livre de la Marche, gratuit et en français, qui se propose de synthétiser tout ce que l’on sait sur le Rohan. Les pages 9 à 23 traitent de son histoire générale ; le détail des batailles (avec des cartes, etc.) se trouve de la page 24 à 56.

Langue des Rohirrim

Comme pour le westron ou les langues exposées plus haut, les répliques ou phrases en rohirrique1 ne sont pas présentées telles quelles, mais généralement transposée dans une langue de notre univers : ici, l’ænglisc (ou anglo-saxon, ou ancien anglais), ancêtre de l’anglais parlé de nos jours. Il faut bien que vous compreniez que ce choix n’est pas arbitraire : jusque-là, les langues de transposition utilisée par Tolkien sont des langues germaniques. Ainsi, pour rendre compte d’une langue très ancienne, on utilise un parler germanique très ancien (le gotique, pour la langue des Hommes du Nord) ; pour une langue "moderne", une langue germanique récente (l’anglais moderne pour le westron) ; pour une langue un peu archaïque, l’ancien anglais (ici).
De cette manière, les relations entre anglais moderne et ancien sont les mêmes qu’entre le westron et le rohirrique. Par exemple, prenons un mot en anglais moderne, « hobbit » : son équivalent ancien anglais est dit être « hol-bytla » (c’est-à-dire « hole-builder », constructeur de trou). On observe bien une certaine ressemblance entre le terme moderne et ancien, et on voit clairement comment on est passé de « hol-bytla » à « hobbit » (suppression de la dernière syllabe, etc.). En westron, « hobbit » se dit « kuduk » et, en rohirrique, « kûd-dûkan » : là aussi, on observe une ressemblance certaine, et l’on observe une suppression de la dernière syllabe, etc.
Vous voyez donc que, dans ce travail d’équivalence, Tolkien a été minutieux, puisqu’il doit exister, pour chaque terme westron, un équivalent en anglais moderne et ancien, et un équivalent en rohirrique. Ainsi donc, ces histoires de substitution, loin d’être un cache-misère, nécessitent en fait beaucoup d’ingéniosité.

Dans le Seigneur des Anneaux, comme dit plus haut, le texte en rohirrique est "traduit" en ancien anglais, ce qui fait que l’on ignore beaucoup de la langue des Rohirrim : l’elfe Legolas la décrit cependant comme « semblable à la terre même [du Rohan] ; parfois riche et ondulante, ailleurs dure et sévère comme les montagnes ». Cependant, Tolkien nous a laissé quelques éléments de rohirrique intéressants à étudier, et à comparer avec l’ancien anglais.
Par exemple, le nom rohirrique du Rohan est « Lōgrad » : il est rendu par l’ancien anglais « Éomarc » (marche du cheval de guerre, à rapprocher de « Riddermark », autre nom de ce pays). De même, le nom rohirrique pour « Éothéod » (peuple du cheval de guerre, en ancien anglais) est « Lohtūr ». À l’aide de ces deux éléments, on peut déduire une équivalence entre l’ancien anglais « eoh » (cheval de guerre) et « lō(h)- » en rohirrique : par conséquent, les noms de personnages de Rohan comme « Éowyn » ou « Éomer », commencent, en rohirrique, par « Lo(h)- ».
H. Fauskanger indique également que connaissant « róg », le singulier du mot « homme sauvage », et son pluriel, « rógin », on peut individualiser une terminaison du pluriel : « -in ». Mais on ne sait pas pour quels mots elle est ou non utilisable.
Il existe encore quelques autres mots de rohirrique réel, comme « tûrac » (signifiant « roi », c’est le vrai nom de Théoden), « kastu » (babiole), etc. À noter, ceci dit, une grande différence entre le rohirrique et le dialecte hobbitique du westron : par exemple, « maur- » signifiant dans les deux langues « expérimenté » ; voir aussi plus haut, « kuduk » et « kûd-dûkan ». Cela s’explique par une origine commune (comme dit plus haut, les Hobbits viennent sans doute des terres du Nord) et par d’autres possibles influences.

Nous en avons fini avec la langue du Rohan ! Même si nous n’avons pas beaucoup d’éléments, ils sont intéressants à étudier. C’est aussi l’occasion de s’intéresser à l’ancien anglais, qui est une langue assez méconnue du public francophone : j’ai écrit un article dessus, il y a quelques temps, mais vous pouvez aussi trouver d’autres guides de prononciation, comme ici. Si vous voulez apprendre carrément l’ancien anglais, vous pouvez trouver de nombreuses grammaires gratuitement disponibles (celle-ci, par exemple), mais je n’en ai trouvé aucune en français.
Je recommande à nouveau le Livre de la Marche, qui vous donne toutes les informations dont vous avez besoin à propos du Rohan : ce n’est rien d’autre qu’une encyclopédie à ce sujet.


  1. La langue des Rohirrim n’a pas de terme officiel pour être désignée. J’utiliserai ici le mot « rohirrique », bien que l’on puisse amplement débattre ce choix.


C’est la fin de la branche nordique et donc de notre propos sur les langues de la maison de Hador. Si vous avez suivi avec attention ce chapitre et le précédent, vous aurez compris pourquoi, malgré le peu de mots attestés dans ces langues, il est intéressant de les étudier : elles révèlent le travail de Tolkien et la richesse de ses inventions.

D’aucuns pourraient poser la question : pourquoi Tolkien a-t-il spécifiquement choisi les langues germaniques pour rendre compte de la maison de Hador ? On ne peut y répondre simplement, mais on peut faire valoir que ce sont les langues les plus étudiées par Tolkien durant sa carrière de linguistique. Il a notamment lu et traduit des textes écrits en ancien anglais, comme Beowulf ou La Bataille de Maldon, qui l’ont aidé à construire son propre monde. Ainsi, l’équivalence entre rohirrique et ancien anglais, par exemple, est une manière de rendre à César ce qui lui appartient, une manière de reconnaître ses sources d’inspiration.