Comment fait-on les bébés ?
La question est bien connue, mais la réponse n’est pas facile. Surtout si on la reformule ainsi : « Partant d’un œuf1, comment obtient-on un bébé ? ». Un œuf, c’est plus ou moins sphérique, ce qui n’est pas le cas d’un bébé !
Dans un premier temps, un œuf va se diviser. On observe alors une première différenciation, une partie des cellules sera plus grosse que l’autre. Mais c’est toujours une boule ! Une manière de comprendre comment cette forme se casse est de faire une analyse mécanique.
Notez qu’il s’agit d’une présentation d’un travail de recherche récent. Non seulement l’article en question date du début de l’année, mais l’approche, visant à un angle mécanique plutôt que chimique, ne date que de quelques années. Notez aussi que l’on ne va s’intéresser qu’à une toute petite partie de l’embryogenèse, à savoir le moment où l’on passe d’un amas de cellules organisées mais plat à celui d’un proto-animal en 3 dimensions.
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Œuf est ici à prendre au sens « Ovule fécondé par un spermatozoïde ».
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Embryogenèse d'un poulet
L’équipe de Vincent Fleury1 a décidé de se pencher sur les embryons de poulet. L’avantage, outre leur proximité avec les embryons humains, c’est qu’ils sont très plats, et que les techniques d’observation sont bien connues. De plus, travailler en 2D est plus facile que travailler en 3D (que ce soit pour faire des images ou de la modélisation). Les résultats présentés ici concernent les premières étapes du développement, et ils sont a priori généralisables aux Vertébrés.
L’équipe de M. Fleury a remarqué qu’au deuxième jour, l’embryon se repliait sur lui-même pour donner une forme proche de celle définitive. La question ici est de savoir comment ce repliement s’effectue.
Pour ceux qui connaissent un peu l’embryogenèse, le stade juste avant est la gastrula, où l’embryon est plat, constitué de quelques milliers de cellules, et le stade final est le début de la neurulation, c’est-à-dire de la formation du système nerveux.
L’embryon est constitué de couches concentriques de cellules ; la taille des cellules, et donc leur rigidité, diffère selon les couches. Cette différence de rigidité va induire un pliage suite à une pression2 des cellules internes. C’est une expérience que vous pouvez facilement réaliser : lorsque vous tirez sur un objet souple (un vêtement par exemple), celui-ci va se déformer, créant creux et bosses. La présence d’une différence de rigidité dans notre embryon va induire un repliement particulier, typique chez les Vertébrés (axe de haut en bas, qui constitue grosso modo la moelle épinière).
Les interactions mécaniques qui ont lieu au sein de l’amas de cellules modifient sa forme et provoquent un repliement de celui-ci, à la manière de l’expérience ci-dessus.
Une approche mécanique
L’approche ici diffère de l’approche chimique, plus habituelle en biologie. On s’intéresse ici à la manière dont la taille et l’agencement des cellules influent sur la forme de l’embryon. Bien sûr, la taille des cellules est due à leur division, et la mécanique seule n’explique pas la formation de l’embryon. Le but est ici d’ajouter un outil simple, la mécanique, pour expliquer une forme complexe et assez universelle chez les Vertébrés.
Plus généralement, l’équipe de Magali Suzanne1 a découvert récemment que la mort cellulaire (l’apoptose) provoquait une augmentation de la tension locale. Ce genre de phénomène aurait une influence sur la formation des embryons via leur influence mécanique. Certains modèles mathématiques prédisent des repliements suite à des changements de volume. Par exemple, la contraction d’une sphère provoque l’apparition de rides labyrinthiques (à la manière des empreintes digitales) à sa surface, sous certaines conditions. On a là quelques phénomènes où l’on s’attend à trouver une influence mécanique.
Il s’agit d’une autre approche de la biologie, moins explorée que l’approche génétique. Rappelons encore que cette approche est complémentaire. Les tensions présentes au sein de l’embryon proviennent bien de mécanismes cellulaires, et l’approche mécanique ne permet que d’expliquer les formes observées, sans apporter d’informations sur les phénomènes sous-jacents. Phénomènes biologiques et mécaniques s’influencent ainsi l’un et l’autre.
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Laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du contrôle de la prolifération, CNRS/Université de Toulouse. Vous pouvez lire un communiqué du CNRS pour en savoir plus sur ce phénomène.
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Sources
Toutes les images proviennent de l’article de Vincent Fleury, Nicolas R. Chevalier, Fabien Furfaro, et Jean-Loup Duband.
L’article de V. Fleury, Buckling along boundaries of elastic contrast as a mechanism for early vertebrate morphogenesis.
Communiqué de presse du CNRS.
L'interview de M. Fleury, auteur de l’article, sur le site de l’université Paris Diderot.
Article de Pour la science (aussi disponible dans le numéro d’avril 2015, rubrique Actualités).
L'article sur le site du laboratoire Matière et Systèmes Complexes (MSC, rattaché à l’université Paris Diderot). L'article sur le site de L’Université Pierre et Marie Curie.