Pourquoi un violoniste ne peut pas être vegan

Ou le rôle que joue le règne animal dans la facture d'instruments

Derrière ce titre, un brin provocateur je vous l’accorde, se cache une réalité plutôt méconnue : l’importance du règne animal dans l’histoire de la facture d’instruments. Quand on pense aux matériaux qui composent les instruments, on pense rapidement au bois pour la famille des bois ou des violons, aux métaux pour les cuivres (et les infiltrés comme le saxophone et la flûte traversière), mais on oublie trop souvent que ça ne suffit pas à faire des instruments. Ou tout du moins, pas tous les instruments.

Le but de ce billet et de présenter de manière absolument non-exhaustive et à l’aide d’exemples le rôle qu’a pu jouer et que joue encore le règne animal dans toute cette histoire. On va parler de bouts d’animaux, mais les illustrations seront soft, ne vous inquiétez pas :) .

Pourquoi les animaux

C’est vrai quoi, pourquoi utiliser des composants animaux pour faire des instruments ? On ne peut pas s’en passer ? Je vois à cette question plusieurs réponses, mais il y en a probablement d’autres.

Accomoder les restes

Historiquement, ça permettait de trouver une utilité à des restes qui n’en avaient pas. Il y a donc une certaine tradition qui persiste. Dans un autre contexte, les poils de sanglier pour faire des brosses à dents.

Les thunes

Certains composants sont également moins chers que leur équivalent (s’il existe) manufacturé.

Les limites de la technologie

Malgré les avancées technologiques, il reste beaucoup à apprendre des animaux, et on ne sait pas tout faire. Les composants peuvent donc être de meilleure qualité et produisent un meilleur son que ce que l’on peut fabriquer.

Pour rappel, la toile d’araignée synthétique n’est toujours pas au point, alors que ce matériau serait plus solide, plus léger, enfin bref techniquement meilleur que de l’acier.

Les exemples

C’est parti pour une belle série d’exemples !

La peau

La peau ou le cuir ont des propriétés utiles, surtout pour les instruments à vent. En plus d’être solides, leur étanchéité permet de fabriquer des réserves d’air, composants indispensables pour les instruments qui ne se reposent pas uniquement sur le souffle.

On peut citer pour cet exemple un instrument bien connu : la cornemuse. Pour pouvoir jouer en continu, pas besoin de souffler en continu (c’est biologiquement un peu compliqué qui plus est), mais il suffit de garder une réserve d’air que l’on utilise pendant que l’on reprend son souffle. A noter que l’on utilise de plus en plus l’équivalent industriel Gore-Tex, ou bien une combinaison des deux.

*Le joueur de cornemuse*, tableau de Jacob Jordaens (source : wikipédia)

Sur le même principe, on peut citer les soufflets d’orgue. Là pas question de souffler vu la quantité d’air exigée. Il faut donc des réserves d’air énormes, qui utilisent de la peau (de mouton en général) pour en assurer l’étanchéité.

Soufflet d'orgue (source : http://www.abbaye-chaise-dieu.com)

La corde que vous voyez sur la photo est très utile : lorsque l’orgue utilise de l’air, le soufflet s’affaisse, tirant la corde et ouvrant ainsi l’arrivée d’air depuis la soufflerie.

Historiquement, l’organiste avait une manette (parfois camouflée parmi les autre jeux) pour dire aux zigotos derrière de pomper plus vite, ou de remplir les soufflets selon l’instrument.

La colle

Eh oui, on fait de la colle d’origine animale, qui est de surcroit très efficace. On en utilise notamment pour coller la peau de mouton au bois dans le cas d’un soufflet d’orgue. La colle peut être par exemple de la colle de cire d’abeille.

En lutherie, on utilise traditionnellement de la colle d’os et de nerf, parfois de poisson. Mais autant dire que la colle animale, ce n’est pas de la colle en stick de l’école. Il faut une préparation soigneuse, et éviter que la gélification ne soit trop rapide. Pour cela, on chauffe les pièces à coller, et on peut également ajouter de l’urine (eh oui, il ne faut pas "chier dans la colle", il faut pisser dedans!). La colle d’os est très efficace, mais cassante, et on peut la combiner à de la colle de nerf, plus souple, pour éviter les cassures lorsque le bois se déforme (changements d’environnements, …). Enfin bref, c’est une vraie chimie !

La colle de peu de lapin quand à elle n’est pas réellement une colle, et sert plutôt lors des préparations.

Pour plus de précisions sur les colles, je vous conseille un site excellent. Colle d'os avant préparation (source : wikipédia)

Les crins

Les crins de chevaux peuvent être très utiles. Pour fabriquer un violon, une partie absolument essentielle est l’archet, et le matériau qui convient le mieux pour la mèche (la partie qui vient frotter les cordes) est le crin de cheval. Ou pour être plus précis, d’étalon. Chipotage, pourrait-on dire ? Que nenni, cette précision est importante ! En effet les étalons, contrairement aux juments, lèvent la queue quand ils pissent, ce qui donne des crins de meilleure qualité :p .

Mèche en crins (source : https://www.violon-cello.fr)

Les boyaux

Une fois passés par divers traitements (dont j’ignore le détail), les boyaux font d’excellentes cordes, solides et produisant un beau son. Contrairement à une croyance populaire, ils ne proviennent pas de chats, mais plutôt de moutons. On tend cependant de plus en plus à faire des cordes en métal, pour les guitares par exemple, mais également pour les cordes très fines qui sont sinon trop fragiles (on peut penser au Mi d’un violon). Il y a cependant des instruments qui préfèrent largement des cordes en boyaux, pour des questions de sonorités, entre autres les cordes frottées ou encore la harpe.

Cordes de contrebasse en boyaux (source : wikipédia)

L’os

En plus de pouvoir servir à faire de la colle, l’os a d’autres utilisations. C’est un matériau solide et qui résiste plutôt bien à l’usure. Il est donc courant de le retrouver sur des claviers d’orgue ou de piano, même si ces derniers acceptent plus volontiers des touches en plastique. Les os proviennent le plus souvent de bovins.

clavier plaqué os (source : http://www.pellerin-uys.com/)

Il est à noter que l’on a longtemps utilisé de l’ivoire pour les touches blanches (et de l’ébène pour les noires, mais ça on s’en fout). En plus d’être une pratique meurtrière pour des raisons évidentes, cela n’avait, contrairement à tous les exemples cités plus haut, aucune raison technique d’exister (c’était juste pour le bling-bling en gros). C’est donc une bonne chose que cette pratique ne soit plus courante.


Merci d’avoir lu ce billet. J’espère qu’à défaut de vous avoir mis en appetit, il vous aura appris quelques trucs sur la facture d’instruments de musique. Ce domaine est absolument passionnant, bien qu’extrêmement complexe.

S’il y a des facteurs d’instruments pas trop loin de chez vous, je vous invite grandement à aller y faire un tour pour voir comment ça se passe : ces gens là sont en général des passionnés et seront donc très heureux de vous expliquer quelques facettes de leur travail.

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