Tous les 6 ans, au mois de mars2 ont lieu les élections régionales françaises1.
Mais comment fonctionne ce scrutin et en particulier, comment sont attribués les sièges du conseil régional ? C’est ce que cet article vous propose de découvrir !
Alors on attrape son code électoral et c’est parti
- Les élections départementales ont lieu en même temps, mais leur mode de fonctionnement est bien plus simple : chaque canton élit un binôme de candidat au scrutin plurinominal majoritaire, avec une subtilité : un binôme doit obtenir au moins 25% des électeurs inscrits, en plus de 50% des suffrages, pour pouvoir être élu dès le premier tour, et 12,5% du nombre des électeurs inscrits pour avoir le droit de se présenter au second tour.↩
- EN 2021, les élections initialement prévues au mois de mars (Code électoral, article L.192), ont été exceptionnellement repoussées de trois mois en raison de la situation sanitaire (Loi n° 2021–191 du 22 février 2021)↩
- Constituons les équipes !
- Place au vote !
- La répartition - Partie 1
- La répartition - Partie 2
- Quelques subtilités...
Constituons les équipes !
Le but de l’élection régionale est de désigner les conseillers régionaux, c’est à dire les membres du conseil régional… d’une région.
Le code électoral2 définit le nombre de sièges à pourvoir dans chaque région. Mais il précise également une répartition de ces sièges entre les différents départements de chaque région (le code électoral parle de sections départementales).
Par exemple, en Bretagne3 on a la répartition suivante5 :
Région | Sièges | Département | Nombre de candidats |
Bretagne | 83 | Côtes d’Armor | 17 |
Finistère | 25 | ||
Ille-et-Vilaine | 28 | ||
Morbihan | 21 |
Contrairement à d’autres élections (législatives par exemple), les élections régionales sont des scrutins proportionnels plurinominaux, c’est à dire que l’on cherche à répartir des sièges proportionnellement aux suffrages obtenus1. À cet effet, les candidats vont constituer des listes. Chaque liste doit comporter autant de candidats que de sièges à pourvoir (même si il est dans la pratique assez improbable qu’une liste remporte l’intégralité des sièges). Dans le cas des élections régionales, la liste doit être divisée en autant de sous-listes qu’il y a de départements. De plus, pour assurer une (certaine) parité4, la liste doit alterner femmes et hommes(L. 346).
Par exemple, si je souhaite présenter une liste en Bretagne, je devrais trouver 83 personnes, que je répartirais dans quatre sections départementales : 17 pour les Côtes d’Armor, 25 pour le Finistère…
- Dans les élections législatives, chaque circonscription élit son député au scrutin uninominal majoritaire, il n’y a donc pas à répartir de sièges.↩
- Dans son annexe 7.↩
- La Bretagne n’est pas (uniquement) citée par chauvinisme de l’auteur, mais surtout car c’est désormais l’une des régions de France avec le moins de départements, ce qui va simplifier les exemples.↩
- Une certaine parité, car on observe malgré tout plus d’hommes en position de tête de liste. Par exemple, toujours en Bretagne, sur les 52 têtes de listes départementales, seules 18 sont des femmes.↩
- L’observateur attentif remarquera que le total du nombre de candidats est supérieur au nombre de sièges pour la région. Ce n’est pas une erreur, mais bel et bien volontaire. Même si le législateur ne le précise pas, on peut supposer qu’il s’agit d’avoir une réserve de suppléants, pour palier aux défections éventuelles.↩
Place au vote !
Une fois les listes formées et déposées en préfecture et la campagne terminée1, il est temps de voter.
Chaque votant va choisir une liste et une seule et déposer le bulletin correspondant dans l’urne2. Contrairement à certaines élections il n’est pas possible de choisir de mélanger des candidats de différentes listes ou de changer l’ordre. On vote pour la liste telle qu’elle a été définie par les candidats (L.338).
A l’issue du premier tour, si aucune liste n’obtient la majorité absolue, on procède alors à un second tour la semaine suivante(L.338). Seules les listes ayant obtenue au moins 10% des suffrages sont autorisées à participer au second tour (L.346). Les listes ayant obtenues au moins 5% des suffrages peuvent fusionner avec des listes ayant obtenues les 10% nécessaires pour le second tour.
A titre d’illustration, regardons les résultats des élections régionales en Bretagne en 2015. 11 listes étaient en compétition au premier tour. Voici leurs résultats :
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Pourcentage |
---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PRG | 419846 | 34,92 |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 282005 | 23,46 |
Gilles Pennelle | FN | 218475 | 18,17 |
Christian Troadec | MBP - UDB | 80727 | 6,71 |
René Louail | EELV - BE | 80516 | 6,7 |
Xavier Compain | FG | 44938 | 3,74 |
Jean-Jacques Foucher | DLF | 34916 | 2,9 |
Valérie Hamon | LO | 16445 | 1,37 |
Jean-François Gourvenec | UPR | 10412 | 0,87 |
Gaël Roblin | Breizhistance | 7465 | 0,62 |
Bertrand Déléon | PB | 6521 | 0,54 |
On observe que seules les trois premières listes ont obtenu un score suffisant pour se maintenir. A l’inverse, les deux listes suivantes (menées par Christian Troadec et René Louail) ont suffisamment de voix pour pouvoir fusionner avec les listes toujours en lice.
Maintenant qu’on a le nombre de voix pour chaque liste il est temps de passer au plus intéressant : l’attribution des sièges !
- La campagne commence officiellement le deuxième lundi qui précède l’élection et prend fin la veille à minuit (L.353).↩
- Le bulletin comporte les noms de tous les candidats, par section départementale, dans l’ordre. C’est pourquoi les bulletins sont particulièrement grands… Mais doivent malgré tout rentrer dans une petite enveloppe !↩
La répartition - Partie 1
Dans un premier temps, on exclut de la répartition des sièges les listes ayant obtenues moins de 5% es suffrages(L.338).
Ensuite, la liste ayant remporté la majorité absolue au premier tour ou la majorité simple au second tour remporte automatiquement 25% des sièges, arrondis au supérieur. C’est ce qu’on appelle la prime majoritaire, dont la valeur n’est pas la même selon les élections. Par exemple, aux élections municipales, la liste majoritaire remporte automatiquement la moitié des sièges(L.338).
Dans notre exemple, seules trois listes étaient toujours présentes au second tour. Voici leurs résultats :
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Pourcentage |
---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PR | 670754 | 51,41 |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 387836 | 29,72 |
Gilles Pennelle | FN | 246177 | 18,87 |
Aucune n’a moins de 5% des suffrages et n’est donc exclu de la répartition des sièges. La liste majoritaire remporte automatiquement 25% des sièges, soit sièges dans notre exemple.
Vient ensuite la répartition des sièges à proprement parler. Dans un cas idéal, on répartirait simplement les sièges proportionnellement au score obtenu. Un parti ayant obtenu 12% des suffrages obtiendrait 12% des sièges. Malheureusement, dans la réalité, on obtiendrait des résultats non entier, ce qui n’est pas acceptable1 et un simple arrondi risquerait d’aboutir à la répartition du mauvais nombre de sièges2.
Plusieurs méthodes sont alors possibles. Celle qui est préconisée en France est la méthode de la plus forte moyenne(L.338). Dans cette méthode, on attribue les sièges successivement. Pour chaque siège, on calcule pour chaque liste le ratio nombre de voix / nombre de sièges (aussi appelé moyenne) SI le siège est attribué à la liste et on attribue le siège à la liste qui obtient le plus grand ratio. Puis on recommence pour le siège suivant.
Pour que ça soit plus clair, voyons ce que ça donne dans notre exemple. Au début, aucune liste n’a de siège (on ne compte pas la prime majoritaire). On calcule alors la moyenne pour chaque liste dans l’hypothèse où on lui attribuerait le siège.
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Sièges | Moyenne, si le siège est attribué |
---|---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PR | 670754 | 0 | |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 387836 | 0 | |
Gilles Pennelle | FN | 246177 | 0 |
La liste de Jean-Yves Le Drian a la plus forte moyenne, c’est donc à elle qu’on attribue le siège. Et on recommence pour le siège suivant.
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Sièges | Moyenne, si le siège est attribué |
---|---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PR | 670754 | 1 | |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 387836 | 0 | |
Gilles Pennelle | FN | 246177 | 0 |
Cette fois-ci, c’est la liste de Marc Le Fur qui a la plus forte moyenne et qui récupère donc le siège.
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Sièges | Moyenne, si le siège est attribué |
---|---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PR | 670754 | 1 | |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 387836 | 1 | |
Gilles Pennelle | FN | 246177 | 0 |
Et cette fois c’est la liste de Gilles Pennelle qui emporte le siège. Et on continue ainsi, jusqu’à épuisement des sièges.
Au final, on obtient donc le résultat suivant
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Sièges | Moyenne finale |
---|---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PR | 670754 | 32 | |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 387836 | 18 | |
Gilles Pennelle | FN | 246177 | 12 |
Il ne faut pas oublier de rajouter la prime majoritaire, ici 21 sièges, pour aboutir à la répartition finale :
Tête de liste | Parti | Nombre de voix | Sièges |
---|---|---|---|
Jean-Yves Le Drian | PS - PR | 670754 | 53 |
Marc Le Fur | LR - MoDem - PCD | 387836 | 18 |
Gilles Pennelle | FN | 246177 | 12 |
Bon, ça y est, c’est fini… Vraiment ? Et bien non… En effet, on l’a vu, chaque liste est constituée de plusieurs sections départementales. On n’a donc pas une unique liste de candidats, à qui on pourrait attribuer les sièges dans l’ordre. Il va falloir au préalable répartir les sièges entre les différentes sections départementales et ensuite seulement, on pourra attribuer les sièges aux candidats au sein de chaque section.
La répartition - Partie 2
À ce stade, chaque liste s’est donc vu attribuer un nombre de sièges au niveau régional. Il faut donc maintenant les répartir entre les différentes sections départementales de la liste.
Pour cela, on va se baser sur la répartition des votes entre les différentes sections départementales. Ainsi, si une liste a obtenu 20% de ses suffrages dans le département A et 30% dans le département B, alors 20% de ses sièges seront attribués à la section départementale A et 30% à la section départementale B.
Ici, le code électoral (L. 338–1) précise que les sièges sont d’abord répartis au prorata, puis que les sièges restants le sont selon la règle de la plus forte moyenne. En fait, cela revient au même que d’utiliser directement la règle de la plus forte moyenne. Mais si le code électoral le dit, il faut le faire !
Le code électoral ne précise pas, pour les régionales, comment doit s’opérer cette répartition proportionnelle. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucune source ayant force de loi sur ce sujet. Il est donc possible de voir d’autre manière de procéder que celle présentée ci-après, comme par exemple l’utilisation du quotient électoral (total des suffrages divisé par nombre de sièges à pourvoir), comme ici par exemple. Au final, toutes ces méthodes reviennent au même.
Voyons ce que cela donne sur notre exemple. Concentrons-nous sur la liste ayant obtenu le plus de sièges. Il va nous falloir la répartition des scrutins dans les différents départements :
Département | Nombre de voix | Pourcentage |
---|---|---|
Côtes d’Armor | 129 098 | 19,25% |
Finistère | 193 978 | 28,92% |
Ille-et-Vilaine | 195 069 | 29,08% |
Morbihan | 152 609 | 22,75% |
Total | 670 754 | 100% |
Attention, ce qui nous intéresse ici, c’est la répartition des suffrages de la liste entre les différents départements. Ici, les scores réalisés par les autres listes ne nous intéressent pas.
On peut alors, comme nous le demande le code électoral, répartir les sièges au prorata des scores obtenus, en arrondissant à l’inférieur1. Dans notre exemple, la liste en tête avait obtenu 53 sièges.
Département | Nombre de voix | Pourcentage | Sièges |
---|---|---|---|
Côtes d’Armor | 129 098 | 19,25% | |
Finistère | 193 978 | 28,92% | |
Ille-et-Vilaine | 195 069 | 29,08% | |
Morbihan | 152 609 | 22,75% | |
Total | 670 754 | 100% | 52 |
Après la répartition des sièges au prorata entre les sections départementales, les règles d’arrondi font qu’il reste des sièges à répartir. Ici, nous avons réparti 52 sièges sur les 53. Pour répartir le dernier siège nous allons utiliser la même méthode que précédemment : la méthode de la plus forte moyenne.
Voyons donc ce que donne les moyennes lorsque l’on attribue le dernier siège a chaque département :
Département | Nombre de voix | Pourcentage | Sièges | Moyenne |
---|---|---|---|---|
Côtes d’Armor | 129 098 | 19,25% | 10 | |
Finistère | 193 978 | 28,92% | 15 | |
Ille-et-Vilaine | 195 069 | 29,08% | 15 | |
Morbihan | 152 609 | 22,75% | 12 | |
Total | 670 754 | 100% | 52 |
C’est l’Ille-et-Vilaine qui obtient donc le dernier siège ! Et au total la répartition des sièges pour la liste arrivée en tête est donc :
Département | Nombre de voix | Pourcentage | Sièges |
---|---|---|---|
Côtes d’Armor | 129 098 | 19,25% | 10 |
Finistère | 193 978 | 28,92% | 15 |
Ille-et-Vilaine | 195 069 | 29,08% | 16 |
Morbihan | 152 609 | 22,75% | 12 |
Total | 670 754 | 100% | 53 |
Et à partir de là, l’attribution des sièges est aisée puisque nous disposons d’une liste ordonnée pour chaque département ! Il suffit simplement d’attribuer les sièges, dans l’ordre de la liste, jusqu’à ce qu’on ait épuisé les sièges pour le département.
Si vous avez envie de faire le calcul pour les autres listes, je vous met les données nécessaires, ainsi que les résultats juste en dessous
Résultats de la liste de Marc Le Fur
Département | Nombre de voix | Sièges |
---|---|---|
Côtes d’Armor | 83 136 | 4 |
Finistère | 106 057 | 5 |
Ille-et-Vilaine | 108 853 | 5 |
Morbihan | 89 790 | 4 |
Total | 18 |
Résultats de la liste de Gilles Pennelle
Département | Nombre de voix | Sièges |
---|---|---|
Côtes d’Armor | 46 678 | 2 |
Finistère | 63 657 | 3 |
Ille-et-Vilaine | 69 788 | 4 |
Morbihan | 66 054 | 3 |
Total | 12 |
- le code électoral ne donne pas de détails sur l’arrondi à appliquer, mais c’est la manière logique de faire pour s’assurer de ne pas attribuer plus de sièges que ce dont nous disposons.↩
Quelques subtilités...
Bon et bien voilà, nous avons fini !
Sauf que…comme tout bon processus qui se respecte, il y a quelques exceptions et précisions !
Dans l’organisation du second tour du scrutin
- Si à l’issue du premier tour, une seule liste atteint les 10% requis pour se présenter au second (mais n’a pas la majorité absolue), la deuxième liste peut alors se maintenir même si elle n’a pas le score suffisant(L.346).
- Si à l’issue du premier tour, aucune liste n’atteint les 10% requis pour se présenter au second, alors les deux premières listes peuvent se maintenir(L.346).
Dans la répartition des sièges au niveau régional
- Si les listes arrivées en tête sont à égalité, la prime majoritaire est attribuée à la liste dont la moyenne d’âge est la plus élevée (L.338).
- Si, pour l’attribution du dernier siège1, plusieurs listes ont le même quotient électoral alors le siège est attribué à la liste avec le plus grand nombre de suffrages. Si il y a toujours égalité, alors le siège est attribué à la liste dont le candidat le plus âgé est susceptible de se voir attribuer ce siège2 (L.338).
Dans la répartition des sièges au niveau des sections départementales
- Si, pour l’attribution du dernier siège, plusieurs sections ont le même quotient électoral alors le siège est attribué à la section avec le plus grand nombre de suffrages. Si il y a toujours égalité, alors le siège est attribué à la section dont le candidat le plus âgé est susceptible de se voir attribuer ce siège3 (L.338–1)
- Si, à l’issue de la répartition, un département de moins de 100 000 habitants n’a pas au moins 2 sièges, alors les derniers sièges attribués à la liste majoritaire sont réattribués à la section départementale en question (il n’y a donc pas de changements sur la répartition des sièges au niveau régional, juste une réattribution au sein de la liste majoritaire). Le même principe s’applique si un département de plus de 100 000 habitants n’a pas au moins 4 sièges(L.338–1).
- Et uniquement pour le dernier siège. En effet, si deux listes sont à égalité pour les deux derniers sièges, alors peu importe qui se voit attribuer l’avant dernier siège, puisque le dernier sera automatiquement attribué à l’autre liste↩
- Et comme on ne peut savoir qui se voit attribuer un siège qu’après avoir réalisé la répartition entre section, il va falloir travailler récursivement : on n’attribue le siège à personne, puis on fait la répartition départementale, puis on attribue le siège à chacun et on regarde quel candidat a pu être sélectionné en plus grâce à cette place supplémentaire. Le siège est alors attribué à la liste dont le candidat le plus âgé à pu être sélectionné.↩
- Et cette fois-ci, il est beaucoup plus simple de le savoir, il suffit de regarder l’âge des candidats situés juste après le dernier élu↩
Et cette fois-ci, c’est bien fini !
Nous l’avons vu, la répartition des sièges n’est pas une mince affaire et c’est le principal problème des scrutins proportionnels… Le problème est d’autant plus compliqué que l’on essaie d’assurer une certaine équité entre les départements, via le système des sections départementales.
Image d’illustration : domdomegg, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons