Ce matin, j’ai sorti ma cuillère à miel de son tiroir pour un petit-déjeuner de roi, comme je le fais régulièrement les jours chômés. Cette fois-ci, cependant, j’ai été saisi par sa ressemblance avec les poulies qu’on rencontre sur les alternateurs automobiles. Y aurait-il un principe physique régissant la forme commune de ces deux objets ?
- Fonctionnement de la cuillère à miel et de la poulie d'alternateur
- Principes physiques à l'œuvre
- Similarités et différences entre la cuillère à miel et la poulie d'alternateur
Fonctionnement de la cuillère à miel et de la poulie d'alternateur
Cuillère à miel
Une cuillère à miel a une forme particulière qui la rend plus efficace pour ramasser du miel liquide. Elle est constituée de deux parties distinctes :
- un manche, qui sert à saisir la cuillère, et dont nous ne parlerons plus ;
- une tête constituée de plusieurs disques parallèles espacés régulièrement, qui nous intéresse ici.
Pour prendre du miel, on plonge la tête dans le pot, ce qui recouvre naturellement la tête de miel. On retrouve en particulier du miel entre les disques. Quand on ressort la cuillère du pot, on fait tourner la cuillère sur elle-même, ce qui a pour effet de maintenir le miel entre les disques. Enfin, on se place au-dessus de sa tartine, et on laisse la cuillère immobile, ce qui permet au miel de couler sur la tartine.
Une cuillère à miel permet donc de retenir du miel en tournant lentement la cuillère sur elle-même, ce qui est une tâche impossible avec une cuillère classique.
Poulie d’alternateur
Une poulie d’alternateur permet de transmettre le mouvement d’une courroie à l’axe de l’alternateur, pour produire de l’énergie. La plupart des poulies actuelles présentent des rainures espacées régulièrement. Ces nervures servent à accommoder les courroies rainurées, qui sont bien plus utilisées que les courroies lisses.
Quand la voiture fonctionne, le moteur entraîne la courroie, qui elle-même entraîne l’alternateur, ce qui permet de produire de l’énergie électrique à bord de la voiture. En général, un tendeur permet d’ajuster la tension de la courroie afin que le mouvement soit transmis efficacement.
Principes physiques à l'œuvre
Cuillère à miel
La gravité tend à faire s’écouler le miel en dehors de la cuillère. Cependant, quand on tourne la cuillère, la viscosité du miel permet de transmettre par cisaillement une force du disque vers le miel. Le miel au contact du disque transmet progressivement cette force au miel plus au centre, ce qui, in fine, compense la gravité et permet au miel de rester sur la cuillère. Quand on ne tourne plus, plus rien ne s’oppose à la gravité et le miel s’écoule.
Avoir des disques suffisamment proches est important pour garder le miel sur la cuillère. En effet, le miel se comporte comme un ensemble de fines couches qui glisseraient les unes contre les autres en s’entraînant mutuellement par frottement. À mesure que l’on s’éloigne des disques, la transmission du mouvement est de moins en moins efficace et le miel a tendance à rester sur place. Si l’on est trop loin, le miel n’est pas suffisamment entraîné pour contrer la gravité et il tombe.
Avoir des disques trop proches peut cependant causer des problèmes. On ne pourrait en effet plus se servir de la cuillère, car le miel resterait coincé, à cause de phénomènes liés à la tension superficielle du miel.
Le nombre de disque joue aussi un rôle, mais il y a moins de physique cachée derrière : plus on a de disques, plus on a de miel, tout simplement.
Poulie d’alternateur
Sur la poulie d’alternateur, les sillons servent à coincer la courroie. En fait, quand elle est tendue, la courroie s’enfonce fermement dans les sillons, ce qui crée des forces de frottement et permet de transmettre le mouvement.
La tension de la courroie est importante à son fonctionnement. Plus elle est tendue, plus les forces de frottements sont importantes et plus il est possible de transmettre de couple. Il faut cependant rester dans des limites acceptables du point de vue de la résistance et de la durée de vie du matériel.
Augmenter le nombre de sillon améliore la performance. Bien qu’une courroie avec un unique sillon soit tout à fait possible, augmenter le nombre de sillons permet de répartir les efforts sur une plus grande surface, ce qui limite différents phénomènes d’usure. De manière imagée, chaque sillon de la poulie se comporte comme une mini-courroie, et donc augmenter le nombre de sillons permet de transmettre plus d’efforts qu’une seule courroie.
Une courroie agit aussi comme un limiteur de couple. Quand les forces de frottements ne permettent plus de transmettre le mouvement intégralement, la courroie commence à glisser, ce qui évite de casser la courroie en tirant trop fort dessus. Les courroies détendues sont d’ailleurs responsables du sifflement caractéristique que font certaines vieilles voitures, dû au glissement de la courroie contre les poulies.
Similarités et différences entre la cuillère à miel et la poulie d'alternateur
Les frottements au cœur du principe de fonctionnement
Que ce soit pour la cuillère à miel ou la poulie d’alternateur, les frottements sont au cœur de leur principe de fonctionnement.
La viscosité du miel est la manifestation physique de frottements internes au miel, qui permet, dans une certaine mesure, au miel de bouger comme une masse unique lorsqu’il est entraîné par les disques de la cuillère. Une cuillère à miel ne marche pas pour les fluides qui ne sont pas assez visqueux pour être entraîné par la rotation de la cuillère. Par exemple, si vous trempez la cuillère dans de la soupe, vous n’aurez presque rien. Si les frottements sont trop forts, comme dans de la purée, vous aurez du mal à détacher ce qu’il y a sur la cuillère.
Pour la courroie, des modèles de frottement sec permettent d’expliquer pourquoi il est important de tendre la courroie et pourquoi au-delà d’une certaine limite elle se met à glisser. Un des modèles les plus courants est la loi de Coulomb. Pour la courroie, elle dit en substance que plus on appuie fort sur la poulie (plus la courroie est tendue), plus les forces de frottements sont importantes, et plus on pourra transmettre de force. Les lois des frottements montrent aussi qu’au-delà d’une certaine limite, la courroie commence à glisser et transmet alors beaucoup moins de couple.
Quelques différences
Même si dans les deux cas, les frottements jouent un rôle important, il y a tout de même des différences notables entre les lois régissant les deux phénomènes.
Tout d’abord, la dynamique du miel sur la cuillère repose beaucoup sur des gradients de vitesse, qui permettent de transmettre du mouvement grâce à la viscosité, alors que le comportement de la courroie se base des efforts statiques, la courroie étant (hors glissement) localement immobile par rapport à la poulie.
Par ailleurs, la physique des frottements qui régit l’écoulement du miel est essentiellement continue, alors que celle qui régit la courroie présente des changements brusques de comportement (lors du glissement).
Des objets de formes communes peuvent cacher des principes physiques similaires. Dans le cas de la cuillère à miel et de la poulie d’alternateur, les frottements jouent un rôle primordial. Cependant, on retrouve des différences : la cuillère à miel repose plutôt sur des efforts dynamiques alors que la courroie repose sur des efforts plutôt statiques.
D’autres systèmes présentent une forme basée sur des disques plus ou moins proches les uns des autres : les embrayages et les freins, en particulier ceux d’avion. Ils reposent des principes similaires et permettent de transmettre des forces par frottement. À l’inverse, tout ce qui ressemble de près ou de loin à un tube avec des disques ne se base pas sur les frottements ; on peut citer notamment les isolateurs haute tension et certains types de dissipateurs thermiques, qui ne partagent avec la cuillère à miel qu’un air de famille.