Cette semaine, je me suis donné une mission d’un genre nouveau pour moi : arranger une célèbre chanson (enfin célèbre en Amérique…) pour être capable d’en jouer une version qui claque à l’occasion des fêtes.
Ce qui est nouveau pour moi, c’est la démarche artistique : je sais ce que je veux que les gens ressentent en l’écoutant et pour la première fois, je cherche à dépasser absolument le générique "rhawé c’est pas mal" pour susciter une réaction plus intime ("Oh ! Ça me rappelle… On dirait… Ça me fait repenser à… […] Merci !"). Et vue la periode de l’année, l’une des choses que je veux qu’ils ressentent, celle qui m’intéresse dans ce billet, c’est ce que moi, j’appelle "l’esprit de Noël".
Facile ! T’as qu’à reprendre "Mon beau sapin" en y foutant des grelots et du glockenspiel !
Hmmm, comment dire… Non !!
Ça peut sûrement suffire à "Noëliser" le jingle des pubs de TF1, mais si c’était pour ressortir ce genre d’artifices en carton, je n’aurais pas besoin de réfléchir et je n’en ferais sûrement pas un billet. Ce genre de trucs revient à coller une grosse étiquette avec marqué "père Noël" sur une pochette d’album : c’est symbolique, artificiel, et globalement inefficace. C’est pas ce genre de truc "stock" que je veux et si c’est ce qui vous intéresse, ne perdez pas votre temps à lire la suite : je ne parlerai pas de ça.
Ce que je cherche est bien plus profond : le but est réellement de raviver chez les gens le souvenir "émotionnel" des fêtes de Noël quand ils étaient petits, quand ils faisaient semblant de dormir le soir du réveillon, en attendant que passe le père Noël et que toute la famille déballe ses cadeaux… Bref, ces souvenirs que le temps a polis et vernis, où tout le monde était miraculeusement heureux, chaleureux et bienveillant, et dans lesquels on n’entend ni grelots à la con, ni glockenspiel.
Bien évidemment, ce genre de choses est éminemment culturel, et "ma" culture vient indirectement de la tradition du jazz puisque j’ai été abreuvé de cartoons (notamment Tom & Jerry) et de films de Disney (de Bambi au Roi Lion), mais aussi des musiques de Super Mario Bros, pendant les 10 premières années de ma vie. Désolé, donc, si ce billet vous semble centré sur la culture "chrétienne occidentale" (au sens large, hein), mais vous comprendrez, j’en suis sûr, que cet aspect culturel joue un rôle particulièrement important sur la façon dont on écoute et réagit à la musique, et de toute façon je ne désire parler que de ce que je connais "dans mes tripes", parce que c’est là, par définition, que se trouve la bonne musique.
Dans ce billet je vais me concentrer sur un simple détail, un accord que j’appelle affectueusement "l’accord Disney dominante", pour voir comment l’utiliser.
Si ça vous plait, j’en ferai d’autres, mais je vous réserve le résultat final pour les fêtes, car c’est ma deadline.
Quel est ce fameux accord ?
Avant tout je tiens à noter que l’appellation "Disney dominante" est de moi : c’est un label que j’ai collé sur ce type d’accord pour le désigner par sa "fonction", sa sonorité et son usage plutôt que son chiffrage, mais c’est juste une dénomination personnelle.
En particulier :
- Ne vous attendez pas à ce que d’autres musiciens sachent ce que c’est.
- Je n’ai pas été vérifier, mais il y a, en fait, probablement peu de chances de le croiser dans les musiques des films Disney, sauf à la rigueur certains anciens (genre Blanche Neige, La Belle et le Clochard ou Pinocchio) qui usaient d’une harmonie particulière que cet accord me rappelle.
- Je suis sûr que les amateurs de musique classique l’associeront à Debussy, parce que ce type était un visionnaire et qu’il usait pas mal de ce style d’altérations (mais je ne m’étendrai pas là-dessus ici : j’ai actuellement un tuto en rédaction sur l’histoire des accords…)
Maintenant que ça, c’est posé, venons-en au fait. Ce que j’appelle un accord Disney dominante, c’est en fait un accord 13b9.
Voilà, fin du billet. À la prochaine !
Cela veut dire qu’il (Do Disney dominante, C13b9) comporte :
- La fondamentale (Do),
- Une tierce majeure (Mi),
- Théoriquement une quinte juste (Sol) (en pratique on ne la joue pas),
- Une septième mineure (Si bémol),
- Une neuvième mineure (Ré bemol),
- Une treizième majeure (La).
En regardant ces notes, on remarque, sans même les jouer, des dissonances assez évidentes :
- La tierce majeure frotte avec la septième mineure (un triton d’écart, comme dans tous les accords 7),
- La neuvième mineure frotte avec la fondamentale,
- La treizième majeure frotte avec la septième.
Il est donc évident qu’on ne va pas le voicer (le "réaliser" disent les musiciens classiques, c’est-à-dire organiser ses notes pour le faire entendre) n’importe comment ni n’importe où…
Exemple d'utilisation
En jazz, il existe quelques voicings très fréquents pour jouer les accords de dominante quand ils sont, comme ici, "pourris" avec des couleurs. Celui qui nous intéresse est ce que l’on appelle une "structure lydienne". En supposant qu’une contrebasse (ou la main gauche du pianiste) joue la fondamentale, cette structure consiste à jouer, de bas en haut :
- La septième (mineure),
- La neuvième,
- La tierce (majeure),
- La treizième (majeure).
Une réalisation "normale" de cette structure utilise une neuvième majeure. Il nous suffit d’abaisser la neuvième d’un demi-ton pour obtenir la couleur Disney dominante :
Hmm, ok, hors contexte ça ne vous parlera sûrement pas. Mettons-le en situation pour se rendre compte. Voici donc le Disney dominante appliqué sur la cadence finale de la chanson (sur les paroles "Merry Christmas to you") :
Alors c’est clair, la différence est subtile (surtout avec le piano MIDI), mais moyennant un casque et en y faisant attention, vous devriez maintenant sentir cette petite pincée d’épices qui fleure bon le happy end.
Voilà pour aujourd’hui !
Évidemment, ceci n’est qu’un petit élément, beaucoup moins tape à l’œil que le son des grelots… mais il ajoute une chaleur tout à fait unique et caractéristique aux cadences, assez évocatrice des musique des films que nous avons vus, revus et re-revus en étant petits.
Utilisé judicieusement, il peut servir à faire appel à des souvenirs d’une époque où nous étions insouciants, et où tout était magique et merveilleux (du moins, c’est comme ça qu’on choisit de s’en souvenir), et pour cela, rien de mieux que d’utiliser une pincée de la musique des dessins animés de notre enfance. En somme, c’est un petit peu le principe des madeleines de Proust…