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Une fois n’est pas coutume, j’écris ce billet pour présenter un très bel arrêt du Tribunal fédéral sur les limites intercantonales.
Présentation du litige
Le canton du Valais et le canton de Berne se divisent sur l’appartenance territoriale du Glacier de la Plaine-Morte. Ce glacier se trouve entre la commune de La Lenk dans le canton de Berne et au-dessus de Sierre dans le canton du Valais.
Le canton du Valais estime que le canton de Berne agit sur son territoire. Il demande à ce dernier de cesser ces actions.
Le tracé bleu correspond à la position du Valais et le tracé vert correspond à la position de Berne.
En 1992, les deux cantons aboutissent à la conclusion qu’ils ne réussiront pas à trouver un accord à l’amiable. Ils décident de porter l’affaire devant le Tribunal fédéral.
Ce n’est pas le premier conflit de limite cantonale entre le canton du Valais et de Berne. Les premières traces de disputes à ce sujet remontent à 1656! Toutefois, la contestation portait sur deux autres secteurs : celui du Sanetsch et celui de la Gemmi1. Aucune trace de conflit sur l’appartenance cantonale du glacier n’est à relever auparavant.
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Ces cols sont situés aux marques noires. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, le glacier de la Plaine-Morte est illustré par la marque rouge .
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Solution juridique
Procédure applicable
Les différents entre cantons sont tranchés par le Tribunal fédéral en première et dernière instance. La procédure est différente de celle utilisée par les justiciables ordinaires : ce n’est pas la loi sur le Tribunal fédéral qui s’applique mais la loi sur la procédure civile fédérale qui s’applique.
La canton du Valais agit comme demandeur et le canton de Berne agit comme défendeur.
Établissement de la carte faisant foi
Le canton du Valais fonde sa position sur la carte Dufour de 1863. Celle-ci montre en effet un tracé passant par le nord du glacier1. Berne fonde sa position sur une rectification de la carte Dufour de 18752. Celle-ci a corrigé le tracé initial pour le sud sur l’initiative des géomètres. En effet, une telle ligne suit la ligne de partage des eaux.
Le Tribunal fédéral juge que le canton de Berne a tacitement reconnu la ligne telle que mentionnée sur la carte Dufour. En 1871, les deux cantons ont fixé dans une convention le tracé dans le secteur de Sanetsch et la Gemmi. Ce texte a permis de clore un sujet de discorde ouvert depuis 1656. La carte Dufour de 1863 a servi de base aux négociations. Elle mentionne le tracé valaisan. Comme le canton de Berne n’a pas émis de réserve sur cette ligne, il a reconnu sa validité. D’ailleurs, la convention ne mentionne aucun litige autour du glacier de la Plaine-Morte. Le sceau d’approbation fédéral masque même ce secteur, preuve en est que ce secteur ne suscitait pas les passions.
De plus, les archives bernoises possèdent une carte non datée mentionnant la même ligne que la carte Dufour de 1863.
Il écarte la carte de 1875, car la modification provient d’une initiative personnelle des géomètres. Elle n’était pas l’expression de la limite souhaitée par les deux cantons à cette époque.
Le Tribunal fédéral retient donc que le glacier était valaisan en 1863 et auparavant.
Reconnaissance tacite du changement de limite par le canton du Valais
Le canton de Berne expose que, même si le glacier était valaisan en 1863, il a exercé une souveraineté paisible et ininterrompue sur ce territoire depuis la modification des géomètres de 1875. Il affirme que le canton du Valais a tacitement reconnu cette modification quand bien même elle ne découlait pas d’une négociation intercantonale. Ce type d’argumentation découle tout droit du droit international en matière de frontière!
Lors de l’introduction du code civil fédéral en 1912, tous les cantons ont dû effectuer la mensuration de leur territoire pour l’entrée en vigueur du registre foncier fédéral. Ce travail n’est pas encore terminé de nos jours dans tous les cantons! En 1913, le canton de Berne a procédé dans le secteur du glacier sans contestation du Valais. Le Valais a procédé à sa propre mensuration sans inclure le secteur du glacier. Or, l’établissement du registre foncier suppose nécessairement que chaque canton cadastre le territoire qu’il considère lui appartenir. Le Valais a donc reconnu implicitement que le glacier appartenait à Berne.
Pour renforcer son avis, le Tribunal fédéral relève d’autres éléments. En 1971, l’installation d’un télésiège dans le secteur litigieux est soumise à l’autorisation selon la législation bernoise. En 1982, un avion s’est écrasé sur le glacier de la Plaine-Morte. Ce sont aussi les autorités bernoises qui ont enquêté sur les causes de la tragédie. Ces actes sont des éléments de souveraineté de Berne qui n’ont jamais été remis en cause par le Valais avant la contestation actuelle.
Solution
Le Tribunal fédéral retient que le glacier était valaisan en1863. Par contre, il estime que la modification des géomètres du tracé de la limite intercantonal en 1875 a été reconnue tacitement par le Valais au vu de son attitude durant le siècle suivant. Le canton de Berne a donc établi sa souveraineté sur le glacier de la Plaine-Morte. Le Tribunal fédéral rejette la demande valaisanne.
Cette photographie montre la limite intercantonale telle qu’on la connaît de nos jours.
Curiosité
Cet arrêt du Tribunal fédéral est très intéressant, parce qu’il applique des principes du droit international pour régler des litiges entre cantons. À mon avis, cet arrêt illustre très bien le fédéralisme. Les limites intercantonales ne sont pas des lignes administratives. Elles sont au contraire un élément essentiel de la souveraineté cantonale.
Pour les curieux, l’arrêt à l’origine de ce billet est l'ATF 120 IB 512.
Ce dernier est en français.
Les images sont issues du site de la Confédération auxquelles j’ai apporté quelques modifications.