Un peu de contexte…
Connaissez-vous la Free Software Foundation ? Ce sont en pratique les inventeurs du Logiciel Libre (en particulier des très connues quatre libertés) et de fervents défenseurs de ce mouvement.
Or donc, voici que Richard Stallman, gourou1 de la FSF, a publié il y a quelque jour un article qui concerne les éléments non-libres lors d'install party2. Or, il faut savoir que la FSF a une position très stricte sur ce qui est libre ou non, au point que votre distribution n’est probablement pas considérée comme Libre par icelle. Il va même jusqu’à comparer explicitement ces logiciels non-libres au Diable (c’est dans le titre).
C’est un texte intéressant, parce qu’il exprime une fois de plus l’intransigeance absolue de Richard Stallman et de la FSF concernant la liberté du logiciel : il y explique en substance qu’il préfère que les débutants, qui sont là pour découvrir GNU/Linux, repartent avec un ordinateur non fonctionnel3 plutôt qu’avec du code non-libre. C’est quand même une position clivante sur laquelle on pourrait débattre.
Et c’est là que vient la surprise
Or donc, un lecteur de LinuxFR, dans sa bonne volonté de partager ce texte et de provoquer le débat, l’a traduit. Logique, un texte de la FSF, ils doivent autoriser ça par défaut non ? Ce serait logique ?
Sauf qu’en fait, en petit en bas de la page, on lit :
This page is licensed under a Creative Commons Attribution-NoDerivatives 4.0 International License.
Le mot-clé est NoDerivatives. Pas d’œuvres dérivées. Donc pas de traduction autorisée.
Merde. Le contenu du site de la FSF n’est pas libre alors qu’ils sont les inventeurs du logiciel libre ! Ouate de phoque ?!
La réponse officielle de la FSF
J’ai donc écrit à la FSF – donc les contacts sont très faciles à trouver et qui répond très vite – pour savoir si je pouvais, moi, traduire ce texte. J’en ai profité pour leur signaler que je trouvais incohérent que eux proposent du contenu non-libre sur leur site.
Leur réponse quant à la traduction m’a proprement édifié, je vous en livre ici une version traduite (les emphases sont de moi) :
Oui [vous pouvez traduire cette page], si vous ne montrez la traduction à personne d’autre. Si vous désirez publier cette traduction, notre documentation sur les traductions contient une permission implicite sujette à certaines conditions : vous devez soumettre votre version à notre équipe de traduction, nous la publions sur www.gnu.org, et alors vous pouvez la redistribuer sous licence CC BY-ND.
[Le fait de trouver des textes non-libres sur notre site] n’est pas incohérent avec notre message. Cet article exprime une opinion, ce n’est pas un logiciel ou un travail avec un côté pratique. Nous désirons conserver l’option d’utiliser le copyright pour protéger nos positions de mésinterprétations.
Ah. Je leur fait donc remarquer que je respecte leur point de vue, mais que du coup je ne me compte pas m’engager dans un processus de traduction certifiée pour les aider à diffuser leurs idées. Je leur signale aussi que le copyright n’a jamais empêché les erreurs d’interprétation (il y en a plein sans avoir besoin de changer de langue) que le problème de l’incohérence est largement soulevé et n’est pas qu’une idée de moi. Et ils répondent encore :
Le copyright couvre des expressions plus que des idées. N’importe qui peut partager ces idées avec ses propres mots.
Nous comprenons que le copyright n’est pas suffisant pour éliminer toutes les mésinterprétations; c’est un simple outil mineur qui peut aider à les contrer.
Nos articles philosophiques sont tous non-libres, et nous n’avons jamais prétendu le contraire.
Je peux seulement mettre de nouveau l’accent sur le fait que nous ne promouvons pas l’idée que tous les types de travaux puissent être libres, ou même librement redistribuables. Nous disons que les logiciels doivent être libres, et que leurs documentations aussi.
La conclusion du renard
Je savais que la FSF était en mode intransigeante-limite-sectaire sur le logiciel libre.
Ce que je ne savais pas, c’est qu’en réalité, elle n’est pour la liberté que dans un domaine bien précis, celui qui l’arrange, sans jamais réfléchir à ce que pourraient apporter les notions de liberté dans d’autres domaines (et ce alors même qu’elle utilise des licences, les Creative Commons, dont une partie est libre est qui sont conçues pour être utilisées hors du domaine du logiciel).
Et même, quand on y réfléchit, cette position bancale de la FSF fait qu’ils ne sont pas complètement pour le logiciel libre, dans le sens où ils n’ont jamais trouvé le moindre intérêt à l’art libre ; or les éléments artistiques (graphismes, sons…) sont généralement importants, voire représenter la majorité d’un logiciel dans le cas d’un jeu.
La FSF m’a déçu sur ce coup là. Je les trouvais extrêmes mais utiles dans leur combat. Maintenant je les trouve extrêmes et incohérents, et je me demande s’ils sont encore utiles. C’est pour ça que je voulais vous faire part de ma déception et vous demander ce que vous en pensez.
Je ne peux pas utiliser le logo de la FSF pour illustrer cet article parce que si je parle d’eux, je doute respecter la clause d’en parler positivement. Du coup, le gnou en icône est © Hans Hillewaert / CC BY-SA 4.0.
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L’utilisation de ce terme tout sauf neutre est parfaitement volontaire.
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Des moments où des linuxiens expérimentés font découvrir Linux (et les logiciels libres en général) à des débutants du domaine, et les aident à installer Linux sur leur machine. Un moment très important en terme de communication, donc.
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Une distribution libre au sens de la FSF n’est pratiquement fonctionnelle sur aucun matériel, tant d’entre eux dépendent de code non-libre pour fonctionner. Pire, une distribution qui permet par défaut l’installation de logiciel non-libre n’est pas libre au sens de la FSF, ce qui a des impacts énormes dans un tas de domaines, par exemple les formats audiovisuels qu’il est possible de lire.
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