Quand on parle science et média, on est obligé de passer, un jour ou l’autre, par les magazines dits « féminins ». Je n’ai jamais ouvert un Elle ou Voici, mais il m’arrive, de temps en temps, de tomber sur un article en ligne du même genre. Hier, c’était Le Figaro Madame. Vu que Le Figaro est plutôt bon en termes de traitement de l’actualité médicale (merci Soline Roy, entre autres), je suppose qu’il s’agit de deux équipes différentes. Parce qu’aujourd’hui, on va parler d’un sujet important d’une manière stupide (ce qui me permettra de faire autre chose que de simplement râler sur les médias) à savoir l’endométriose.
Précision pour finir : je fais un article comme ça une fois, comme ça c’est fait. Je ne pense pas revenir sur ce genre d’article à l’avenir.
L’article du jour est un peu ancien, de 2017, mais ça ira très bien. Endométriose : soulager la douleur grâce à l’ostéopathie, la méditation et la sophrologie. Je ne suis pas le public cible, mais nous sommes d’accord, mesdames, que ce titre est plein de promesses, de promesses d’anti-science, en l’occurrence ?
Résumé objectif
L’article, classé dans la catégorie « Bien-être -> Forme et détente », nous parle de l’endométriose, maladie chronique touchant 10 à 15 % des femmes en âge de procréer et provoquant de vives douleurs pendant les règles, les rapports ou au quotidien. Le docteur Delphine Lhuillery, médecin de la douleur au Centre de l’endométriose du Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph (GHPSJ), a été interrogée sur le sujet. Elle développe des techniques non médicamenteuses, à savoir ostéopathie, mésothérapie ou encore sophrologie, dans un but de complément et non de supplément.
La source de la douleur est une inflammation couplée à une irritation des nerfs. Le tout avec des rétroactions négatives. Les résultats sont les suivants :
Selon la professionnelle, 70 % de ses patientes se déclarent soulagées à 70 %, un peu moins de la moitié (45 %) le sont entièrement et 8 % lui échappent.
La technique décrite ensuite est la fasciathérapie, une sous-discipline de l’ostéopathie. Le résultat est
Grâce à une manipulation douce concentrée sur la région du bassin, la technique redonne de la mobilité aux tissus internes. Elle agit ainsi sur le système digestif, vaginal, utérin et même les lombaires.
Ensuite, la mésothérapie. C’est de l’acuponcture locale, avec des aiguilles imprégnées d’antidouleur de relaxant musculaire.
Pour conserver durablement les effets, le sport est recommandé. Une meilleure nutrition aussi, c’est-à-dire frais et bio. Le régime antiinflammatoire est recommandé par un médecin de l’article, puis longuement détaillé, mais est clairement (mais rapidement) présenté comme ne faisant pas consensus dans le corps médical.
Ensuite, l’hypnose, qui « lui [le patient] apprend à réduire l’information et à se détacher de la douleur ». Puis la médiation, « moins immédiate, mais tout aussi efficace ». Sa finalité :
Les adeptes essaient de ne plus lutter contre la souffrance, mais de faire avec. Lorsqu’elle est chronique, il s’agit d’une chose que l’on ne peut pas changer, alors on l’accepte. C’est l’exact inverse de la résignation.
Pour finir, la sophrologie, qui permet de se détendre. Cités pêlemêle comme aidant, « Tai-Chi, le Qi Gong, le shiatsu ou le yoga ».
L’article se conclut par des sources, et la phrase suivante : « Malheureusement, l’ostéopathie, la mésothérapie, ou encore la sophrologie ne sont toujours pas remboursées par la Sécurité sociale, sauf si elles sont pratiquées par un médecin. »
Commentaires perso
Concernant la maladie, je suis allé voir sur Wikipédia, qui est souvent une très bonne source de première intention. Parce que je sais ce que c’est globalement, mais savoir quel pourcentage de femme ça touche, c’est m’en demander beaucoup.
Donc, on est bien autour de 10 à 15 %, douleurs vives principalement pendant les règles. Noter que c’est dû à la présence de muqueuse de l’utérus en dehors de la cavité utérine. Autrement dit, c’est complètement physiologique et non pas psychologique. Pour rappel, une douleur psychologique est une douleur réelle, mais ne se traite pas pareil qu’une douleur physiologique.
Précisons au passage que cette maladie est souvent mal diagnostiquée, et est encore aujourd’hui mal comprise. Le coup de l’inflammation et des nerfs est une explication probable, mais insuffisante. C’est surement en plus couplé à autre chose.
Mais continuons sur la partie médecine alternative.
Selon la professionnelle, 70 % de ses patientes se déclarent soulagées à 70 %, un peu moins de la moitié (45 %) le sont entièrement et 8 % lui échappent.
Ce qui est beau avec cette phrase, c’est qu’elle ne peut pas être contestée (ce sont ses chiffres), mais qu’elle n’apporte aucune information pour autant. Pour rappel, la douleur. C’est une sensation subjective, que l’on ne peut qu’estimer grâce au patient, qui la note. Trois façons de faire : une indication (absente, faible, modérée, forte), une indication sur une ligne (graduée côté médecin, donc chiffrable) ou un chiffre donné par le patient valant de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur extrême). On donne typiquement des antidouleurs à partir de 4.
Dans ce contexte, une réduction de 70 % chez 70 % des patientes, ça veut dire que 70 % des patientes quittent la zone médicamentée. C’est énorme. Je n’ai pas les chiffres, mais pour des douleurs intenses (et c’est le cas de l’endométriose), je doute très fortement que les antidouleurs faibles (type paracétamol) suffisent. Un truc aussi efficace il y a deux ans, on ne va pas tarder à voir une étude rigoureuse le montrant, et ce sera généralisé.
Ou alors c’est un sondage potentiellement biaisé, du type « de combien vous allez mieux », et donc ça ne veut rien dire. On ne sait pas. Mais si on n’en entend plus parlé, c’est soit que big pharma nous cache la vérité, soit que les chiffres étaient trop beaux pour être vrais.
Au passage, ils sont mal présentés. Dire que 45 % sont entièrement soulagés, 25 % soulagés à 70 %, 22 % soulagés, mais pas totalement, et 8 % pas du tout soulagés (si j’interprète bien les chiffres) serait aussi long, mais plus clair. Mais entièrement soulagé, c’est quoi ? 0 sur l’échelle ? Moins de 3 ? Sachant qu’on parle d’une maladie chronique, c’est durable, ou il faut revenir ?
Bref, des chiffres probablement vrais, mais dont on ne peut rien faire.
Dernier truc sur la douleur, qui va nous resservir par la suite : l’effet placébo est très important sur les douleurs. C’est l’un des domaines ou il est le plus efficace. Cas concret : vous avez mal, vous prenez une aspirine ou du paracétamol. Au bout d’un certain temps, ça va mieux. Combien de temps faut-il ? Posez-vous la question, puis découvrez le secret :
Le médicament met 20 à 30 minutes pour être efficace après ingestion.
Tout effet avant est donc de l’effet placébo. Vous savez que vous allez avoir moins mal, donc vous avez moins mal.
Reprenons :
Grâce à une manipulation douce concentrée sur la région du bassin, la technique redonne de la mobilité aux tissus internes. Elle agit ainsi sur le système digestif, vaginal, utérin et même les lombaires.
Deux possibilités :
- On parle ici spécifiquement de la fasciathérapie, méthode non prouvée malgré des tentatives.
- On parle ici d’ostéopathie viscérale, méthode non prouvée là encore.
Précisons que quand je dis ici « méthode non prouvée », ça ne veut pas dire « on ne sait pas tout est possible », mais, « malgré des études et un certain temps d’étude, on a jusqu’ici échoué à prouver que ça marche ». Dit encore autrement, on peut faire une revue de littérature (il existe des articles), mais ils ne permettent pas de conclure que ça marche.
La fasciathérapie a figuré de 2012 à 2017 dans le guide « Santé et dérives sectaires » avant d’être retirée sur décision de justice. L’article du Figaro Madame date de 9 mois AVANT le procès (et le retrait du guide).
Concernant la mésothérapie. J’ai vraiment besoin de détailler ? Bon, en vrac :
- Le principe de l’acuponcture, c’est de mettre des aiguilles dans les méridiens. Mettre des aiguilles tout court, ce n’est pas de l’acuponcture, rien à voir.
- Injecter un anesthésique local va avoir des effets, oui. Par contre, ce n’est plus une médecine non médicamenteuse.
- Désolé d’insister, mais on injecte un antidouleur là où il y a douleur, et diantre !, la douleur disparait. Ce n’est pas une approche non médicamenteuse, ce n’est pas de l’acuponcture. Par contre, c’est efficace (jusqu’à dissipation du produit).
Le sport et la nutrition, c’est bon pour la santé, c’est vrai. Mais comme on parle de présence de muqueuse utérine en dehors de l’utérus, ça risque d’être insuffisant. Au passage, manger équilibré, ce n’est pas manger « frais et bio », c’est manger plus de fruits et légumes et moins de produits transformés (je résume, mais c’est ça pour une bonne partie des Occidentaux). Ils peuvent être congelés ou en boite, de la semaine dernière ou pas bio, ce n’est pas le principal.
Concernant l’alimentation antiinflammatoire, j’ai la flemme, donc je cite l’article :
Faut-il adopter un régime antiinflammatoire ? Les avis des médecins divergent.
Donc, il ne faut probablement pas. Changer ses habitudes alimentaires, c’est une contrainte lourde. Pour des effets non garantis. Mais on va quand même consacrer près de 20 lignes sur le régime antiinflammatoire. Deux lignes de sciences, 20 lignes de pseudoscience. Voilà qui résume assez bien l’article. Je deviens méchant, il me faut vite finir.
L’hypnose. On sait que dans certains cas, ça marche. C’est très souvent surinterprété par les médias. Donc il faut en parler prudemment, intelligemment, et en toute connaissance de cause. Je ne me suis pas assez renseigné sur le sujet, donc je vais prudemment passer mon tour.
Ne vous inquiétez pas, je recommence à râler avec la méditation. J’ai du mal à voir la différence entre « accepter le mal » et se résigner, mais on touche de toute façon au travail d’un psychologue, et non de la méditation. Et on arrive sur un point hyper important de mon point de vue :
- Soit c’est efficace, et ça doit être suivi. Sinon, c’est de l’automédication à l’arrache, avec tous les risques que ça implique.
- Soit ce n’est pas efficace, et il ne faut pas le faire. En tout cas, pas pour cette raison.
Il est déraisonnable de recommander un traitement en automédication à des patientes souffrant de douleurs chroniques et importantes. Je ne sais pas si ce passage est pire dans le cas où ça ne marche pas ou dans le cas où ça marche.
Dernière chose, l’endométriose est une maladie physiologique, donc une approche psychologique (ici représentée par la méditation…) ne peut être que complémentaire. Mais peut aider (je parle du psychologue, pas de la méditation).
La sophrologie est une méthode de relaxation. On est plus dans le bienêtre que dans le soin. Et je n’ai d’ailleurs rien contre la sophrologie tant qu’elle reste dans le bienêtre. Par contre, dès qu’elle part dans le domaine de la santé, je demande des preuves. Et là encore, c’est bof.
Mais que faire une séance de sophrologie vous fasse aller mieux est tout à fait possible. Comme aller chez l’esthéticien, vous faire une manucure, ou du krav maga. Tout ce qui vous détend et vous fait aller mieux vous fera aller mieux. La défense de la sophrologie vous est offerte par M. de la Palisse.
Concluons. Je vais faire une conclusion ouverte, tiens. Un truc qui laisse le lecteur réfléchir et se faire un avis en toute objectivité après avoir lu un article pas du tout à charge. Un truc qui fait écho à la récente tribune anti-fakemed. Et en citant la dernière phrase de l’article du Figaro Madame,
Malheureusement, l’ostéopathie, la mésothérapie, ou encore la sophrologie ne sont toujours pas remboursées par la Sécurité sociale, sauf si elles sont pratiquées par un médecin.