En fait il faut séparer :
- La « réalité physique » (la chose vue, le son entendu, etc).
- Ce que nos sens ont perçu (au sens « capté », le signal sans interprétation).
- L’interprétation que notre cerveau a fait de cette perception, ce qu’on en a compris.
- S’il existe, le message porté.
Même phénomène, différentes interprétations
Le propos de la conférence, c’est de montrer que notre cerveau fait en permanence d’énormes suppositions à l’étape 3 ; et que si on a tendance à considérer que « ce qu’on a compris » (point 3) = « ce qu’on a perçu » (point 2) = « la réalité physique » (point 1), en fait c’est pas toujours le cas. C’est souvent le cas parce que notre cerveau est optimisé (dans un sens évolutif) pour arriver le plus vite possible à l’étape 3 et pouvoir réagir en fonction. Mais ça ne fonctionne pas toujours.
La suite de la conférence, c’est qu’on peut très bien ne pas être d’accord avec une personne parce qu’on a mal interprété une même réalité physique. Pour reprendre toujours le même exemple :
- Il y a un genre de cercle avec une queue visible au sol (réalité physique, point 1).
- Notre œil la voit – pas d’illusion ou de masques ici, seul change le sens (perception du signal, point 2).
- Interprétation par le cerveau :
- La personne de gauche voit la queue en haut et interprète le signe comme un 6.
- La personne de droite voit la queue en bas et interprète le signe comme un 9.
- @etherpin interprète le signe comme un g.
Ces trois personnes peuvent s’engueuler longtemps sur la présence d’un 6/9/g au sol. Or, c’est idiot : ces trois personnes parlent de la même chose, qu’elles ont juste interprété différemment. En particulier, chacune d’elle est de bonne foi quand elle dit avoir vu quelque chose de différent des autres : c’est le cas, on ne contrôle ni notre perception, ni l’interprétation donnée par notre cerveau.
La connaissance des illusions et de la fréquence et la puissance à laquelle notre cerveau interprète toutes les données sensorielles permet de mieux appréhender le fait que, pour un même phénomène, autrui peut être amené à avoir compris différemment sans que la perception d’autrui soit fausse. Toujours avec le même exemple, on ne peut dire à aucune des trois personne : « Non, tu n’as pas vu ça ».
Le message par-dessus tout ça
Un autre problème, c’est que même si on se met d’accord sur ce qu’on a perçu, on peut très bien – et de toute bonne foi – se tromper sur le message.
Par exemple, vous discutez par visio avec un ami américain et un contact asiatique, dans le but d’acquérir un produit vendu par ce contact. La connexion est mauvaise et la barrière de la langue est haute. Mais vous vous en sortez à peu près, quand soudain votre contact vous dit quelque chose.
- Vous comprenez /sɛt/, donc sept : il est prêt à vous vendre 7 objets ?
- Votre ami américain a compris /sɪt/, et se demande bien pourquoi on lui demande de s’asseoir.
Le son que vous avez entendu est pourtant exactement le même, c’est l’interprétation inconsciente de votre cerveau qui est différente. Les point 1 et 2 de la liste concordent, mais vous n’êtes pas d’accord sur le 3. Donc vous discutez avec votre ami, qui réfléchit et se dit qu’effectivement dans le contexte c’est sans doute pas /sɪt/ mais plutôt /sɛt/ qu’a dit votre contact, et donc qu’il est prêt à vous vendre l’ensemble des objets en sa position.
À ce point de la discussion, vous êtes d’accord sur ce que vous avez perçu : le son /sɛt/. Les 3 premiers points de la liste concordent, mais il subsiste un désaccord sur le 4.
Les chercheurs de vérité
L’image du 6 et du 9 est souvent utilisée par les « chercheurs de vérité » pour dire quelque chose comme : « la vérité est relative » ou « chacun sa vérité ». Comme si, une fois d’accord sur l’interprétation inconsciente du cerveau (point 3), toutes les interprétations étaient aussi vraies les unes que les autres.
Ça marche bien avec l’image du 6 et du 9 – c’est pour ça qu’elle est si utilisée d’ailleurs. En la voyant, on pourrait dire que tous les protagonistes ont raison d’affirmer qu’ils voient un 6 ou un 9 ou un g, ce qui est vrai d’un point de vue perceptif.
On pourrait aussi dire que tous les protagonistes ont raison de tenir pour vrai que ce qu’il y a au sol est un 6, un 9 ou un g. Ce qui, cette fois, est faux : si le symbole est volontaire, la personne qui l’a écrit lui a donné un sens, qui ne peut pas être à la fois 6, 9 et g. Et il reste la possibilité que ça soit une simple paréidolie, dépourvue de sens, auquel cas tout le monde a tort.
Pourtant, beaucoup de « chercheurs de vérité » (et ils ont été particulièrement actifs ces dernières années) continuent à prétendre que la réalité des choses n’est qu’une question de point de vue.
On le voit bien avec l’exemple du /sɛt/ : vous et votre ami américain avez beau vous mettre d’accord sur le son entendu, vous n’êtes pas d’accord sur ce qu’il signifie. Or, il est évident que votre contact n’a pas dit quelque chose qui doit être interprété par « sept » et par « ensemble » selon le locuteur !
D’ailleurs, votre contact est Coréen, et dans un moment de stress, il a donné ce mot en coréen. Et pour lui, /sɛt/ signifie « 3 ».
Et donc, si on vous dit : « Ça n’est pas comme ça que je vois les choses » : c’est probablement vrai. La personne a sans doute une vraie perception, totalement authentique et de bonne foi, différente de la vôtre, qui ne peut pas être remise en cause. Par contre, ça n’implique en aucun cas que les conclusions qu’elle tire de sa perception – ni celles que vous tirez de la vôtre, d’ailleurs – sont conformes à la réalité physique.
Par contre c’est important de ne pas rester bloqué sur une possible simple erreur de perception.