Je suis formateur indépendant dans les domaines de la cybersécurité, des systèmes et des réseaux informatiques. Il y a quelques semaines, je reçois un coup de fil d’un partenaire. Un de ses clients a besoin d’un intervenant pour donner des cours. On échange au sujet du contenu à enseigner, de la durée, du lieu, bref, un échange entre professionnels tout à fait normal. On m’explique qu’il s’agit d’une formation payée par Pôle Emploi et dispensée auprès de demandeurs d’emploi, ok, très bien. Nous organisons un échange en visio avec le client, que nous appellerons Scam School, afin de discuter plus longuement et définir plus précisément les attendus. Nous nous mettons d’accord sur une date de début et tout va pour le mieux, du moins pour le moment.
Car cela ne dure pas. Pendant les quelques jours où j’interviendrai pour cet organisme, ce sera un enchainement d’histoires, de découvertes et d’aberrations toutes plus scandaleuses les unes que les autres. À partir des récits des étudiants, de mon expérience et de recherches, je vais tenter de reconstituer dans ce billet le calvaire vécu par une dizaine de demandeurs d’emploi qui pensaient passer une certification valorisée sur le marché du travail, et qui se sont retrouvés victimes d’une incroyable escroquerie.
Faux départ
Nous sommes à la fin de l’année 2021, une dizaine de personnes s’apprêtent à intégrer une formation centrée sur la sécurité informatique, financée par Pôle Emploi et dispensée par Scam School. C’est dimanche, mais les futurs étudiants reçoivent un e-mail les informant que la réunion d’information prévue le lendemain est reportée. Bon, ce n’est pas bien grave, pensent-ils. Du moins, pour ceux qui prennent connaissance du message. Quelques uns ne le voient pas et se présentent à l’endroit prévu, à l’heure prévue… et sont reçus comme prévu. Les autres reçoivent des appels de leur conseiller Pôle Emploi leur demandant pourquoi ils ne sont pas là. L’un d’entre eux répond à son interlocuteur qu’il doit être au courant de l’e-mail de la veille, vu qu’il fait partie des destinataires. L’échange devient vite lunaire : "mais non, cet envoi est une erreur, enfin, vous auriez pu vous en douter, on n’envoie pas de message le dimanche !". Ah. Bien évidemment. Ahem. Bon, ce n’est pas très grave, c’était juste une réunion d’information.
Viennent ensuite les premiers jours de formation à proprement parler. Il se trouve que Scam School ne dispose pas de locaux en propre dans cette ville, elle a donc recours à de la location de salles pour les besoins de son activité. Enfin, de son activité, peut-être, mais pas de ses apprenants… Le local fourni est un savant mélange entre une cave et une étuve. Pas de fenêtre, mais un puits de lumière qui rend le lieu infernal. La température monte au-delà des 30 degrés, en plein hiver, dans une région qui n’est pas réputée pour son ensoleillement. Un des étudiants prend même un coup de soleil à l’intérieur. Certains doivent se mettre sous les tables pour ne pas cramer. La réserve de la fontaine à eau se vide en quelques jours à peine, et il n’est pas prévu qu’elle soit renouvelée avant un bon moment…
Je ne sais pas comment cette période se finit, je ne connais pas l’intégralité de l’histoire. Toujours est-il que ceux qui veulent arrêter la formation sont coincés : ne plus venir, c’est ne plus percevoir d’indemnités. Le piège se referme sur les demandeurs d’emploi.
Un référentiel pédagogique ? Pour quoi faire ?
Un peu après, il est prévu une remise à niveau en français. Soit. Une adresse est communiquée aux apprenants, qui s’y rendent donc à la date et l’heure indiquées. Deux d’entre eux arrivent un peu plus tôt et commencent alors à chercher la salle où ils doivent se rendre, cette information ne leur ayant pas été communiquée. Ils demandent à l’accueil du bâtiment, à des personnes qui passent par là, mais personne n’est au courant. Quelqu’un d’autre semble chercher aussi : il se trouve que c’est justement la personne en charge de former les étudiants, ça tombe bien ! … Ou pas, puisque cela veut dire que ni l’enseignant, ni l’apprenant, ne savent où ils sont censé aller. Et bien évidemment, quand on téléphone au contact de Scam School, personne ne répond. Désemparés, ils s’adressent à l’accueil de l’immeuble, qui leur propose de s’installer où ils souhaitent, car c’est une période de vacances et les locaux sont quasiment inoccupés.
Les deux apprenants et le formateur s’installent dans une salle près de l’entrée, en prenant soin de laisser la porte ouverte pour pouvoir avertir les personnes qui arriveraient ensuite. Cette précaution ne sera d’aucune utilité, aucun autre étudiant ne se manifestera. Très vite, on se rend compte que quelque chose cloche. L’enseignant fait part de son malaise aux élèves : on lui aurait dit que ces derniers étaient à peine capables d’aligner deux mots et qu’il fallait prévoir des cours niveau CE11… Ce qui n’est absolument pas le cas.
En fin de matinée, une personne de Scam School appelle l’intervenant, et lui demande d’un ton excédé où il est, car une dizaine d’étudiants l’attendent. Le formateur le rembarre aussitôt en lui expliquant la situation et en lui faisant remarquer qu’il n’a pas répondu à son coup de fil quelques instants plus tôt. Pour une raison encore inconnue, tous les autres apprenants arrivés plus tard s’étaient réunis dans une grande salle vide et attendaient depuis 2 heures.
C’est vers cette période-là que des échanges tumultueux ont eu lieu entre étudiants, Scam School, différents intervenants mandatés par cette dernière, et Pôle Emploi. Plusieurs semaines après le début de la formation, on découvre le pot aux roses. Cette formation, à laquelle se sont inscrits une dizaine de personnes, pour laquelle Pôle Emploi rémunère Scam School avec de l’argent public, qui se déroule de manière extrêmement bancale… Cette formation n’existe pas.
Il n’y a pas de double sens. La supposée formation n’est référencée nulle part. Elle n’est pas inscrite au registre national des formations certifiantes, la liste officielle des parcours éligibles au financement public et au célèbre CPF. Scam School a ouvertement menti à Pôle Emploi pour remporter un marché juteux sans rien avoir à proposer derrière. Le retour de flammes ne se fait pas attendre : Scam School ne sera pas payée. Dans la foulée, en conséquence indirecte, la personne officiant comme formateur principal prend ses jambes à son cou.
De cette escroquerie, les principales victimes sont certainement les étudiants. Pendant 6 semaines, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans formateur, sans local, sans vrai référentiel. La formation est réorientée vers une autre certification approchante, réelle cette fois, mais bien en deçà du niveau initialement convoité. Pendant cette période, ils réalisent l’exploit de se former eux-mêmes, en visio, à la plupart des techniques et technologies qu’ils doivent connaitre pour valider leur certification. Mais la situation est telle que la formation est sur le point de fermer, notamment en raison de l’absence de formateur pour l’encadrer.
- En France, le CE1 correspond à la deuxième année de scolarité après l’école maternelle. Les enfants y ont généralement autour de 7 ans. ↩
Sauvée par le gong
Par chance, ou par malheur selon le point de vue, alors que la formation est sur le point de fermer, Scam School réussit à recruter en CDD un nouveau formateur que nous appellerons Bertrand. Il devient en quelque sorte le référent de la formation. Bertrand prévient d’emblée Scam School : il ne connait pas tous les éléments qui doivent être dispensés, mais cela ne semble pas poser de problème. Dès le départ, il rencontre plusieurs anomalies avec son contrat de travail… qu’il ne reçoit qu’après avoir commencé son activité : formalisme non respecté, erreurs de désignation du salarié.
Cette fois, le local assigné à la formation est tout à fait convenable, et même grand. Cela ne durera qu’un temps : sous prétexte de défaut d’accessibilité, le lieu est changé pour une salle plus modeste, dans le même bâtiment. Oh, à ce moment-là, il n’y a plus que 4 étudiants officiellement inscrits dans cette formation, alors bon, on peut bien bouger dans une pièce moins grande. Avec la moitié des fenêtres qui menacent de nous tomber dessus si on tente de les ouvrir. Et aucune prise Ethernet raccordée au réseau. Et un coin "laboratoire" exigu non climatisé. Quelle importance, de toute façon, il n’y a pas de matériel à faire tourner.
Il n’y a pas de matériel tout court. Pas même un ordinateur pouvant servir de machine de test. Bertrand ainsi qu’un intervenant extérieur ramènent un PC et quelques composants leur appartenant pour pouvoir commencer à travailler. Scam School prétend que leur politique de commande de matériel est telle qu’on ne peut passer de commande qu’une fois tous les 3 mois, et bien entendu, la dernière occurrence vient de passer. Par un moyen qui ne me revient pas, le groupe d’étudiants réussit à obtenir du matériel réseau… qui ne correspond pas à leurs besoins, à cause d’une erreur de saisie dans la commande.
C’est dans ce contexte que j’arrive pour mon premier jour. Avec une semaine de décalage sur ce qui avait été prévu, car Pôle Emploi devait valider mon profil avant que je ne puisse intervenir. La cause ne devait pas leur sembler suffisamment désespérée pour procéder à cette formalité rapidement. C’est lorsque je fais la connaissance de Bertrand et des apprenants que je commence à découvrir dans quoi je me retrouve embarqué. Le manque de matériel me frappe très rapidement, lorsque je veux griffonner un schéma… "Où est le tableau ?" demandé-je naïvement. Même pas de tableau. Je finirai par obtenir un paper board dans l’après-midi de mon deuxième jour.
Avec le peu de matériel à disposition, j’improvise quelques exercices pratiques pour avoir une idée de leurs connaissances. La différence entre ce qui m’a été communiqué par Scam School et l’état de leurs aptitudes est vite perçue. Je leur fais lire les e-mails qui m’ont été transmis avec ce que je suis censé leur enseigner. Non seulement ils ne sont pas au courant des référentiels que je leur montre, mais ils connaissent déjà presque tout. Au bout du troisième jour, je n’ai plus rien à leur proposer. Heureusement, avec tout ce qu’ils ont vécu jusque là, ils sont compréhensifs. Mais psychologiquement, pour moi, c’est très difficile. Je viens de quitter mon emploi d’ingénieur pour lancer mon activité de formateur indépendant. Je veux bien faire, montrer de quoi je suis capable, et je me retrouve dans cette situation. Pendant plusieurs jours, mon moral et mon sommeil en pâtissent.
Dans cette période, je prends connaissance en direct de nouvelles aberrations et de nouveaux scandales. Ainsi, la date d’évaluation des étudiants est avancée de plusieurs semaines et se déroulera dans une autre ville, à une centaine de kilomètres du lieu de formation. Et comme Scam School ne paiera certainement pas le déplacement, eh bien le responsable de Bertrand (lui aussi embauché en CDD le même jour, ça ne s’invente pas) se dévoue pour transporter les apprenants là-bas. Enfin, rien n’est sûr, même les informations de ce responsable sont au conditionnel.
Dernière "pépite" en date, parce que chez Scam School, on n’a honte de rien. Le responsable de Bertrand lui a transmis oralement une demande devant de sa hiérarchie… On lui demande donc de bien vouloir prendre des congés sans solde ( = congés non payés) pour pouvoir me rémunérer. Je vous laisse relire cette dernière phrase, il a fallu qu’on me répète l’information pour m’assurer d’avoir bien compris.
Au moment où j’écris ces lignes, les étudiants sont censés être en stage d’ici deux semaines. Scam School sachant pertinemment qu’aucun ne décrochera de stage dans l’informatique en août, elle a planifié des sessions de cours sur la période correspondante sans en informer les apprenants. C’est moi qui leur ai appris, apparemment j’étais le seul au courant.
Une bonne partie de ce que je raconte ici repose sur ce qui m’a été raconté par les étudiants eux-mêmes ainsi que par la personne que j’appelle Bertrand. La dernière section est essentiellement basée sur ce que j’ai vécu. Je n’ai pas de preuve de ce que je raconte et, à moins que vous ne soyez la justice, je n’ai pas à en fournir. Que vous croyez mon billet ou non (et je comprendrais que vous ayez du mal à croire certains passages), peu importe, j’espère au moins que vous aurez apprécié lire cette histoire. Dans la mesure du possible, j’essaierai de la mettre à jour jusqu’à avoir le fin mot de cette scandaleuse aventure.