Des infos autour de la précarité alimentaire

J’ai travaillé pendant 6 mois, la durée de mon stage, sur une approche cartographique de la vulnérabilité à la précarité alimentaire. C’était super intéressant, et comme j’ai appris quelques trucs, je me suis dit que ça pouvait être intéressant de juste partager quelques informations autour du sujet !

Qu’est-ce que c’est, la précarité alimentaire ?

La précarité alimentaire, quand on entend le terme, on pense directement à ceux qui n’ont pas assez de moyens pour se nourrir. C’est une forme de précarité, la plus extrême, quand on n’arrive même plus à manger à sa faim. Mais il y en a d’autres, et comme souvent, il y a plusieurs niveaux.

Si on reste pour l’instant sur des notions quantitatives, il y a des personnes qui doivent lutter quotidiennement pour manger. Qui vont devoir faire la manche pour se nourrir, et pointer quotidiennement aux Restaurants du Cœur, ou à la soupe populaire. De l’autre côté du « spectre », on trouve des gens qui ont des métiers précaires, mal rémunérés, peut-être à temps partiels, et des charges trop lourdes. Et de temps en temps, peut-être toutes les deux semaines, ou une fois par mois, ils iront à une distribution de paniers qui leur permettront de boucler leur budget nourriture.

Et on va trouver des personnes partout entre les deux.

Mais si on sort de l’approche quantitative, on va trouver une précarité alimentaire plus qualitative. Celle-ci est due à un déséquilibre nutritionnel dans l’alimentation. En gros, c’est s’écarter des repères nutritionnels pour jusqu’à avoir un impact conséquent sur la santé. Il y a des tas d’impact possibles. Les plus connus sont sans doute l’obésité et le diabète. Mais on peut citer aussi les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose, ou même des cas extrêmes comme le scorbut. Il pourrait également y avoir des impacts sur le sommeil, ou la dépression.

En France, et probablement dans beaucoup d’autres pays, la précarité alimentaire concerne en majorité un manque de fruits et légumes dans l’alimentation. C’est pourquoi c’est le repère le plus mis en avant. On a aussi des difficultés avec les produits contenant trop (beaucoup trop) de sucres libres.

La précarité alimentaire, c’est donc beaucoup plus compliqué que n’avoir pas assez à manger.

Un phénomène multifactoriel

Les revenus restent probablement le principal facteur de précarité alimentaire. Mais il faut dire que c’est un peu lié à tous les autres facteurs négatifs. Cependant, c’est loin d’être le seul.

En effet, la précarité alimentaire peut tout à fait toucher des personnes aisées, même si c’est moins fréquent. Ce peut être pour des raisons d’habitudes alimentaires, ou en fait tout un tas d’autres raisons. Je vous invite à regarder le schéma ci-dessous :

Schéma des différentes dimensions de la précarité alimentaire : relations entre alimentation et santé, populations vulnérables, pauvreté et inégalités monétaires, aide alimentaire, accès à une offre alimentaire de qualité - PATUREL D., SOULARD C.-T., VONTHRON S.
Schéma des différentes dimensions de la précarité alimentaire : relations entre alimentation et santé, populations vulnérables, pauvreté et inégalités monétaires, aide alimentaire, accès à une offre alimentaire de qualité - PATUREL D., SOULARD C.-T., VONTHRON S.

Retranscription textuelle du schéma en spoiler.

  • Relations entre alimentation et santé :
    • Prévalence de sous-nutrition et de mal-nutrition
    • Accès aux prescriptions nutritionnelles
    • Éducation et cultures alimentaires
  • Populations vulnérables :
    • Vulnérabilité socioéconomique : monoparentalité, grandes familles, chômeurs, étudiants, etc.
    • Vulnérabilité nutritionnelle : nourrissons, jeunes, personnes âgées, etc.
  • Pauvreté et inégalités monétaires :
    • Niveau de vie des ménages : revenus, taux d’imposition, prestations sociales, etc.
    • Précarité économique d’une population : taux de pauvreté, répartition des revenus (indice de Gini), revenu, éducation et espérance de vie (indice de Sen), etc.
  • Aide alimentaire :
    • Offre de redistribution alimentaire
    • Qualité des aliments distribués
  • Accès à une offre alimentaire de qualité :
    • Alimentation en milieu scolaire (+ hôpitaux, EHPAD)
    • Accès aux commerces et marchés alimentaires
    • Production et autoconsommation en ville

Quelques populations vulnérables

Je vous propose simplement d’illustrer quelques populations vulnérables et pourquoi elles le sont.

Populations à bas revenus

Bon, je suis bien obligé de les citer. La raison intuitive, c’est d’avoir peu de moyens pour les courses. Mais les faibles revenus sont également corrélés au manque d’éducation, à des emplois précaires, au stress, etc.

Étudiants

Les étudiants sont une population un peu particulière. En fait, ils échappent aux statistiques sur les revenus, parce qu’ils sont rattachés aux foyers fiscaux de leurs parents. Ils ont longtemps été ignorés, et c’est seulement depuis la crise du covid que l’on s’en rend (enfin) compte. On peut rajouter que le milieu estudiantin n’est pas le plus propice à une bonne alimentation…

Familles monoparentales

Souvent cumulé à de la précarité économique, on se retrouve à un parent qui doit s’occuper de gagner de l’argent, gérer la maison, s’occuper des enfants, et au milieu de tout ça prendre le temps de cuisiner et de convaincre des sales gosses des enfants de manger leur assiette. Le critère temps est ici majeur pour cette population, ainsi que les connaissances en cuisine pour préparer les légumes de manière appétissante.

Personnes âgées

Les personnes âgées ont des besoins nutritionnels particuliers. En plus de cela, ils peuvent avoir des difficultés de mobilité qui vont leur rendre plus difficile de faire des courses et de préparer des repas.

Enfants

Ce qui est pratique avec les enfants, c’est qu’on peut étudier la population via les données des écoles, et en même temps agir concrètement sur leur alimentation grâce aux cantines scolaires. Ils ont des besoins nutritionnels précis. En même temps, c’est à ce moment que leurs habitudes alimentaires se construisent. Également, les problèmes de santé qu’ils subissent risquent de les poursuivre derrière et seront d’autant plus graves qu’ils commencent tôt.

Inadaptation de l’offre

Un facteur important de précarité alimentaire est l’offre inadaptée au consommateur.

Bien sûr, cela implique les différentes gammes. C’est pour cela qu’une petite épicerie bio ne suffit pas, et qu’il peut être très important d’avoir un LIDL, qui est un supermarché de hard discount à certains endroits. Mais le plus compliqué, c’est d’avoir des fruits et légumes adaptés à la culture de la population locale.

C’est une problématique que vont rencontrer surtout les populations immigrées ou issues de l’immigration, qui sont plus familières d’aliments très différents. Il y a deux solutions. La première consiste à fréquenter des boutiques d’importation de produits exotiques, qui vont ramener les légumes appréciés par ces personnes. La deuxième, qui passe par l’aide publique, est de donner des cours de cuisine adaptés à ces populations, afin de leur apprendre à préparer et apprécier les produits locaux.

Il est fort probable que les cours de cuisine ne puissent pas suffire, le patrimoine culinaire pouvant être important, culturellement parlant.

Le paysage alimentaire

La notion de paysage alimentaire correspond à l’offre commerciale d’alimentation accessible et visible par une personne. Cela peut comprendre les commerces à proximité de son domicile, ou sur son trajet quotidien, par exemple.

Comme vu précédemment, le paysage alimentaire peut être inadapté à la population locale. Cependant, je voulais apporter deux autres notions.

Les food deserts (déserts alimentaires) sont des territoires où l’offre d’aliments sains et surtout de fruits et légumes est nulle. Cela veut dire que la population n’a pas facilement accès à une alimentation saine.

Les food swamps (marais alimentaires) sont des territoires marqués par une surabondance de l’offre alimentaire de mauvaise qualité. Cela veut dire, trop de fast-foods. La population est incitée à mal consommer.

Les deux notions sont cumulables : on peut habiter dans un food desert et un food swamp en même temps.

Ce qui est intéressant, c’est que c’est quelque chose qui peut être étudié de manière cartographique.

Aperçu des food deserts sur Nantes Métropole, en rouge - Image issue de mon mémoire


Voilà ! C’est un peu en vrac, mais j’espère que ça peut vous intéresser quand même :)

Quelques sources :

5 commentaires

Merci pour le billet !

J’ai beaucoup ta carte de la métropole Nantaise. Tu peux rajouter une légende afin que je comprenne mieux ? C’est quoi le blanc, le rouge et le vert ?

Par exemple, la Rue Maréchal Joffre qui a quand même essentiellement des fast-food et est verte alors que ça me semble un food desert (Kebabs, Chip & Chips, Subway, …). Est-ce qu’elle est également considérée également comme un food swamps à cause d’un supermarché deux rues plus loin ?.

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Très intéressant !

Si je comprends bien, on part du principe que l’offre est localement bien adaptée à la demande.
La carte que tu as produite mérite une légende et des explications sur les sources de données.
Je me demande si on peut faire une corrélation avec le niveau de vie des habitants des lieux cartographiés.
Quelles sont les limites de cette analyse ? Comment prendre en compte ceux qui font les poubelles ou collectent les rebuts en fin de marché ?

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Merci pour vous retours.

Concernant la légende, j’ai coupé l’image tout simplement parce qu’il y a mon nom dans les crédits :) Mais ce n’est pas forcément très important, c’était juste pour vous montrer le rendu d’une telle étude. Je vous encourage plutôt à aller voir une des sources So What?, qui vulgarise une méthode plus simple que celle que j’ai utilisée ( https://chaireunesco-adm.com/No16-Cartographier-les-inegalites-d-acces-aux-commerces-alimentaires-dans-le )

Edit : le blanc, c’est juste là où il n’y a personne

@ache : Sur ma carte, les carreaux représentent des points de population. S’ils sont en verts, c’est que dans les 500m à pieds autour de chez eux, il y a suffisamment de commerces de fruits et légumes. C’est une approche uniquement quantitative, et donc ce n’est pas un food desert. Par contre, il faudrait une autre carte pour les food swamps, et donc de ce que tu me dis ça en est probablement un (tout le centre de Nantes, de toute façon).

@etherpin : Il y a bien sûr des liens entre niveaux de vie et offre commerciale, mais ça va atteindre des limites. Notamment, en centre urbain, ça va se montrer plus facilement, mais dès qu’on sort des zones denses, ça devient très différent. En effet, les grandes zones résidentielles très étendues apparaissent vite très défavorables, tout simplement parce que les gens prennent la voiture.

Il y a énormément de limites à l’analyse. La première, c’est que c’est uniquement cartographique, ça ne rend pas compte des réalités locales, des phénomènes culturels, ça dépend des données… Et ensuite l’approche ici est purement quantitative. On pourrait imaginer une méthode qualitative, qui valide des points selon qu’on trouve un supermarché classique, un commerce bio fancy, une épicerie produits exotiques… Mais il faudrait plutôt rapprocher ça avec des données ethniques, et on n’en a pas en France. Il y a un moment, il faut obligatoirement passer par du terrain, et des méthodes d’enquête.

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Très intéressant. Je serais curieux de savoir quelle sera la valorisation de ton travail ? Va-t-il être inclus dans une étude lié à la qualité de l’alimentation ? Ou va-t-il servir à mettre en place des mesures ?

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Salut,

Ça c’est encore en cours de discussion. La Santé Publique veut s’en servir pour pouvoir guider ses actions, type sensibilisation, ateliers cuisines, voire distributions alimentaires. Mais c’est un peu compliqué parce qu’ils sont débordés.

C’est aussi l’occasion de faire de la sensibilisation en interne, auprès des élus, notamment. Ce qui permettrait peut-être d’inciter à y consacrer plus de moyens.

Sinon, récemment, les directions de l’aménagement et celle de développement économique m’ont demandé à voir tout ça. Notamment, il y a une étude en préparation sur le quartier étudiant, qui est un quartier que j’ai analysé de manière cartographique.

Je dois présenter les réultats à notre agence d’urbanisme, également, ainsi qu’à Simon Vonthron, le chercheur spécialisé qui nous a beaucoup aidé dans tout ça. Et il est possible que de nouvelles orientations se dégagent petit à petit, avec du temps, parce que tout le monde à Nantes Métropole est plus ou moins débordé.

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