Aujourd’hui, j’ai gagné.
J’ai enfin obtenu le recouvrement d’une facture impayée depuis des mois. Alors, j’ai gagné quoi, des indemnités ? Oui, mais surtout une expérience et des compétences. À chaque fois que je me retrouve avec un litige, j’ai l’impression de passer des mois en fac de droit tellement j’apprends. Si mon expérience peut servir à quiconque, autant la partager.
Pour contextualiser : j’exerce le métier de formateur en freelance, la structure légale de mon entreprise est une SASU immatriculée en France. Ce que je décris ici n’est donc valable qu’en France, en vertu du droit applicable à date, c’est-à-dire début 2025.
La menace pas fantôme du tout
Avant tout, je ne citerai aucun nom d’aucune personne concernée par cette affaire. Je n’en veux à personne, ce post est purement informatif et il n’y a aucune rancœur ou vengeance derrière. Le cas est simple et certainement courant : un client qui ne paye pas une facture. Après plusieurs relances écrites par e-mail, au bout de plusieurs mois, je procède à une mise en demeure : j’envoie un courrier recommandé avec avis de réception exigeant le paiement de la facture due, que je joins à l’envoi. Attention, cette lettre doit obligatoirement comporter certaines mentions obligatoires, utilisez un modèle proposé par un cabinet d’avocats par exemple, plutôt qu’une IA. Je précise bien qu’en l’absence de règlement sous quinzaine, l’affaire sera portée devant le tribunal compétent.

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Retranscription textuelle des éléments affichés dans l’image précédente à des fins d’accessibilité :
Objet : mise en demeure
Madame, Monsieur,
En date du […] 2024, nous n’avons pas reçu votre règlement de la facture numéro […] d’un montant de […] euros correspondant à […]. Cette facture, dont vous trouverez une copie jointe au présent courrier, a été transmise par courriel à […], envoi qui a été suivi d’une relance […], puis d’un appel téléphonique […] et d’un ultime rappel par courriel […]. […] m’a confirmé avoir bien reçu cette facture et l’avoir transmise au service concerné.
Constatant l’absence de règlement, nous vous mettons formellement en demeure de régler cette facture sous 15 (quinze) jours calendaires à compter de la première présentation de ce courrier recommandé. Passé ce délai, l’affaire sera portée devant le tribunal de commerce. En plus de la somme due au titre de la facture susmentionnée, nous exigeons le paiement d’une indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 (quarante) euros ainsi que d’une pénalité de retard telle que définie dans ladite facture, à savoir de […]. Nous vous prions donc de nous verser la somme de […] euros dans le délai imparti. Les coordonnées bancaires de notre société sont indiquées sur la facture.
Envoyé par courrier recommandé avec avis de réception le […] 2024.
En général, dès que je sors le mot "tribunal", j’obtiens mon dû. Mais pas cette fois. Mon courrier, bien que distribué, avec une preuve de dépôt, de distribution et de contenu, reste lettre morte. Qu’à cela ne tienne, quand je dis que je vais faire quelque chose, je le fais. Plus facile à dire qu’à faire. C’est là que j’ai appris énormément. Dans le cas d’une facture impayée entre deux sociétés, c’est le tribunal de commerce du débiteur (la personne qui doit payer) qui est compétent. Si le client est en Seine-Saint-Denis, c’est celui de Bobigny, s’il est à Villeurbanne, c’est celui de Lyon, etc. Heureusement, pas besoin de se déplacer ni de mandater un avocat : cela peut se faire en ligne ! Le service "Tribunal Digital" permet de constituer un dossier entièrement numérique. Et là, il faut s’accrocher. Saisir toutes les informations est quelque peu compliqué et prend du temps. Dans mon cas, j’ai dû solliciter une "requête en injonction de payer". Les informations à remplir sont spécifiques à chaque affaire, je ne me souviens plus de la totalité du processus tellement j’ai galéré. Une fois mon dossier complet, avec tous les éléments nécessaires au tribunal pour prendre une décision (copie de la mise en demeure, copie des échanges avec le client justifiant le litige, etc.), c’est fini, plus qu’à attendre.
Navigation à vue en plein brouillard
Après une dizaine de jours, je reçois un e-mail m’informant que le greffe du tribunal a accepté mon dossier. Youpi ! Euh… Ça veut dire quoi, en fait ? Que la justice m’a donné raison et condamne le débiteur ? Pas du tout ! Juste que le dossier est recevable et transmis au président du tribunal de commerce. Ah… Eh bien on va encore attendre. Près d’un mois plus tard, n’ayant pas reçu de notification ou de message, je vérifie sur le site web "Tribunal Digital" l’avancement du dossier… Et je constate que j’ai obtenu gain de cause ! Super, je vais enfin être réglé ? Pas encore…
Le juge a rendu une "ordonnance portant injonction de payer", que je peux télécharger. Cette décision de justice spécifie bien que ce document doit être signifié au débiteur par un huissier de justice (oui, on doit dire "commissaire de justice" depuis 2022 mais tout le monde dit encore "huissier"). Ok, allons donc trouver un huissier, ça devrait être facile à Paris… Eh bien, des huissiers, on en trouve, mais des huissiers qui daignent répondre quand on leur demande de nous expliquer la procédure parce qu’on n’y comprend à moitié rien et de nous donner leurs tarifs, ça ne court pas les rues ! Au bout de 2 semaines, une fois que je comprends qu’une "signification", c’est une procédure légale par laquelle un huissier porte à la connaissance du débiteur l’ordonnance rendue par le tribunal, je tombe enfin sur un cabinet qui me répond "on peut s’en occuper, ça coûte tant, voilà notre RIB" et 3 jours plus tard, je reçois un compte-rendu de l’acte. Ça y est, je vais être payé ? Toujours pas.
Comme me l’explique le document de l’huissier, le débiteur dispose de 30 jours pour régler sa dette, plus des pénalités et frais de justice divers. Et s’il ne paie pas ? Deux cas de figure : soit il conteste, et s’ouvre alors un procès en bonne et due forme. Risqué pour le client. S’il perd, les frais de justice risquent d’être bien plus salés, et (si j’en crois l’article 32–1 du code de procédure civile) il risque une amende de 10.000 euros si la procédure est jugée abusive. Passé le délai de 30 jours, si la dette n’est pas réglée, je peux solliciter auprès du tribunal un certificat de non-opposition. Cela certifie qu’il n’y a pas eu de contestation dans le délai imparti et clôt tout recours. C’est assez simple : sur le site web du tribunal concerné, il suffit de saisir ses informations comme le numéro de l’affaire, de régler une petite somme (2,59 €) et quelques jours plus tard, le certificat est transmis par e-mail. Muni de ce document, l’huissier de justice peut procéder à une saisie des biens du débiteur, même en son absence (il a le droit de faire intervenir un serrurier pour pénétrer dans les lieux), même s’il refuse (il peut faire appel à la police pour exécuter son devoir). Mais il y a plus simple pour tout le monde ou presque : la saisie-attribution.
Une méthode saisissante
Cette méthode de recouvrement est… Humiliante ? Le concept : puisque le débiteur ne règle pas sa dette, on va se servir auprès de ses propres débiteurs, par exemple ses clients. Considérons que le mauvais payeur X a pour client Y, qui le paye chaque mois pour ses services. L’huissier peut aller voir Y et l’informer que X est un mauvais payeur et que, au lieu de régler sa facture mensuelle, Y va envoyer l’argent à l’huissier plutôt qu’à X. En pratique, le plus simple est de passer par la banque du débiteur. Les huissiers, s’ils ne disposent pas d’informations suffisantes pour l’identifier, peuvent rechercher dans le fichier des comptes bancaires (FICOBA).
Ça y est, le compte bancaire est saisi, je vais enfin être payé ? Encore un peu de patience… Pour le moment, les fonds dus sont bloqués. Le débiteur doit être informé formellement par l’huissier qui dresse procès-verbal de cette acte : on parle de dénonciation de saisie-attribution. Elle doit être réalisé sous 8 jours. Une fois que l’information a été signifiée par l’huissier, le débiteur peut encore contester la saisie sous un mois en attaquant en justice le créancier. Mais dans ce cas, les fonds restent bloqués jusqu’au délibéré du procès ! De plus, le risque d’être condamné pour procédure abusive est toujours présent. Seulement une fois cet ultime délai de contestation écoulé, ou le cas échant, lorsque le délibéré du procès a été rendu, les fonds sont enfin remis à qui de droit.1
Au final, il aura fallu 4 mois entre le moment où j’entame la procédure légale par mise en demeure formelle et le moment où je récupère mon dû. Pendant la procédure, cela parait long, on avance par petits à-coups, mais au final, ce n’est pas si long que ça. Cela nécessite juste du temps, de la résilience, un peu d’argent (qu’on finit par récupérer si tout se passe bien), et surtout, un minimum de connaissances juridiques. J’ai beau avoir quelques notions, c’était ma première action en justice auprès d’un tribunal de commerce et j’ai tout appris sur le tas. Gardez en tête qu’il s’agit uniquement d’un retour d’expérience et non d’un cours, je n’ai aucune formation en droit. J’espère que ce billet permettra à d’autres personnes de mieux comprendre ce sujet, de faire valoir leurs droits et de se défendre plus facilement.