Un format mathématique pour la philosophie

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Bonjour,

Habituellement, quand on pense à la philosophie, on s’imagine des érudits débitant de longues phrases incompréhensibles. Quand on s’intéresse de plus près à la question, le voile d’incompréhension se lève mais le format littéraire, la plupart du temps (d’expérience), reste.

Je me demandais pourquoi les raisonnements philosophiques ne prenaient pas la forme (ou une similaire) des textes mathématiques, avec un enchaînement clair d’arguments et de démonstrations de ces arguments. Il me semble que c’est ce que Spinoza a fait dans son oeuvre l’Ethique.

Auriez-vous une explication ?

Merci.

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Sans même parler de formalisme, existe-t-il des initiatives pour un format où apparaissent clairement les hypothèses, les arguments, les justifications et les exemples, en substitut au format littéraire où des phrases joliment formulées enrobent ces éléments ?

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Je ne pense pas que ça soit possible, car la philosophie se fait avec un langage naturel et non un langage formel comme les mathématiques. Ta quête est un graal hors d’atteinte.

En économie, l’école autrichienne à fait la même erreur au début du 20éme siècle, en cherchant à formaliser l’économie de façon déductive. A mon sens cette quête c’est arrêtée avec Gödel : quand les gens ont compris que même les maths ne seraient jamais "pures", ils ont arrêtés de vouloir aussi trouver des fondements logiques à leurs disciplines (sauf l’école autrichienne en économie, qui a ainsi quasiment disparue pour avoir refusée de comprendre que ses bases scientifiques étaient une illusion).

En un sens, la rigueur littéraire restera toujours une illusion. Cela dit, ça n’empêche d’essayer quand même de faire un peu semblant.

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Je ne sais pas vraiment ce que tu veux dire par :

des initiatives pour un format où apparaissent clairement les hypothèses, les arguments, les justifications et les exemples, en substitut au format littéraire où des phrases joliment formulées enrobent ces éléments

Sache en tout cas que si tu n’arrives pas à suivre le raisonnement, c’est peut-être tout simplement que les philosophes que tu lis sont de mauvais écrivains, qui n’arrivent pas à transmettre clairement leur pensée. Un peu comme un mauvais prof de maths arrivera à rendre incompréhensible des sujets relativement simples.

Normalement, il est très simple d’exprimer sa pensée proprement avec des phrases "littéraires". C’est même ce qu’on apprend à l’école : quelques paragraphes pour énoncé le contexte et la thèse défendue, différents paragraphes pour énoncer ses arguments et les appuyer par des exemples, voire réfuter préventivement des objections naïves, un paragraphe pour conclure.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas dit qu’un formalisme amené artificiellement clarifie beaucoup le raisonnement. Si ta mémoire de travail est occupée à retenir des morceaux dans tous les sens, tu peux avoir du mal à te concentrer sur le message.

Finalement, tu pourrais peut-être t’intéresser à la philosophie analytique. Je trouve que beaucoup de philosophes "classiques" raisonnent de manière absconse sur des problèmes mal posés et la philosophie analytique, à la source de laquelle se trouve notamment Bertrand Russell (très connu pour ses travaux sur la logique), tranche un peu avec cela, et je trouve qu’on y trouve souvent des arguments clairs (et pour une fois intéressant, mais c’est un avis subjectif :D ).

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Bonjour,

J’ai l’impression que la philosophie est bien rédigé avec une approche similaire1 à celle qu’on trouve en mathématique ou en physique. En tout cas c’est l’impression que j’ai en regardant en diagonal les articles de ce journal:

https://www.ergophiljournal.org/

Cependant je ne sais pas si ce journal représente la norme en philosophie ou pas (j’ai pris le premier résultat google pour "open access philosophy journals".

1 Avec moins de formalismes/simulations/résultats expérimentaux, mais l’idée d’articuler un raisonnement autour d’arguments me semble là. Tout en expriment ces arguments de manière clair sans fioritures littéraires.

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Je vais clarifier mon propos avec un exemple. Le premier chapitre de Dialogues on Ethical Vegetarianism par Michael Huemer est simple à comprendre, les arguments s’enchaînent de façon logique, les phrases ne sont pas maniérées.

J’ai lu ce texte il y a deux semaines et je ne me souviens que de façon partielle du contenu. Et, malgré la clarté du propos, je n’ai pas d’autre choix que de tout relire ne serait-ce que pour rafraîchir ma mémoire au sujet des arguments principaux. S’il avait été question d’un texte mathématique, je me serai contenté de relire les théorèmes (clairement distingués du reste).

En fait, je suis peut-être simplement à la recherche de résumés.

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Le texte que tu cites est, à mon avis, très mal écrit. La forme de dialogue ne permet pas de réaliser une structuration forte des arguments, car chaque phrase à le même rôle. Il n’y a pas de première phrase de paragraphe (l’argument souvent) ; il y a peu de mots de liaisons (par exemple, donc, or, …).

En plus, d’un point de vue force argumentaire, il est très faible, vu qu’il repose beaucoup sur un homme de paille. On a aussi droit à quelques arguments d’autorité ("un philosophe respecté à dit que", "Einstein blabla").

Je n’ai pas spécialement envie de m’étendre sur les 1000 façons qu’il y a de ne pas être convaincu par les arguments avancés, mais si tu structurais les arguments, tu pourrais sentir que les prémisses ne sont pas aussi universellement partagées que ce que voudrait l’auteur.

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Est-ce que la forme du dialogue est la norme en philosophie ou c’est plutôt cet écrit qui est à part ?

J’imagine qu’un dialogue est assez puissant pour confronter des arguments à des contre-arguments, mais ici je le trouve trop long et un peu décousu par moment.

@Aabu: Je ne vois aucun argument d’autorité dans le texte, Einstein n’est pas utilisé comme autorité (juste comme exemple d’un homme "plus intelligent" que les autres1), les "philosophes respectés" sont utilisés comme citations de travaux antérieurs (et des contre-arguments sont avancés).

Ni l’homme de paille, le dialogue oppose arguments/contre-arguments, il ne conclu jamais que les arguments de l’un ou l’autre sont caduques.

PS: Je suis d’accord que l’argumentaire n’est pas nécessairement convaincant (même si je n’arrive pas mettre exactement le doigt sur quoi).

1 Et ca c’est une partie du texte qui est inutile, juste du décor littéraire. Qu’il y a des êtres humains plus intelligent que d’autres, le texte aurait pu le considérer comme axiomatique. L’illustrer avec un exemple me semble fortuit. (Idem pour la partie décrivant le fonctionnement de l’industrie agro-alimentaire, citer une référence ca suffisait je trouve, là ca noie le reste du propos).

Je pense que vous avez un peu trop résumé la philosophie pour le coup.

Il y a un grand nombre de pratiques, donc les généralités font pas trop sens.

Ta question m’a fait penser au Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein. Je ne suis pas certain que cela corresponde entièrement à ton idée mais je pense que cela peut t’intéresser (outre ses travaux sur l’apprentissage des langues) …

Gawaboumga

Wittgenstein permet pas plus de comprendre l’ensemble de la philosophie qu’une tarte aux pommes permet de comprendre la cuisine.

Mr Phi en parle dans sa vidéo sur les idées reçues sur la philosophie.

https://m.youtube.com/watch?v=NUuL7g-r8GY

Première idée : la philo est une discipline littéraire. Il défend l’idée que c’est plutôt scientifique, ce sur quoi je pense qu’on sera d’accord. Alors pourquoi est-ce enseigné en L et dans les facs de lettre ? Et que justement c’est écrit dans un style littéraire ? Sans aller jusqu’au formalisme mathématique, je pense qu’il y aurait un juste milieu à trouver.

Je vais essayer de ranimer un petit ce topic en reprenant la question initiale de Vayel et en me détournant de son exemple de dialogue. En effet, Spinoza utilise un formalisme dans l’Ethique. Il ne s’agit pas d’écrire avec un langage mathématique mais plutôt de construire son argumentaire en utilisant la méthode géométrique. Je vous invite à consulter le PDF rapidement pour vous rendre compte vous même de la forme employée: axiomes, propositions, démonstrations, lemmes…

Une forme géométrique permet de faire ce que je considère être la pureté absolue de la philosophie, une théorie. Le livre de Spinoza n’est pas un simple condensé d’argumentaires sur divers sujets, ce n’est pas une pensée, une idéologie ou une opinion poussée. Il s’agit d’une théorie, que l’on soit en accord ou non avec les axiomes, il est impossible de retirer la validité de cette création dans son espace théorique.

J’ai vu la question de "pourquoi", j’identifie trois raisons simples et fondamentales de choisir une telle structure:

  • Borner les raisonnements: En utilisant une construction à partir d’axiomes, on sait exactement d’où on part, ce que l’on suppose vrai. On connait exactement l’imbrication logique qui nous permet de prétendre chaque proposition, on sait sur quoi elles reposent, comment les attaquer, comment les accepter.
  • Forcer le lecteur à accepter la conclusion des prémices qu’il a accepté: Puisqu’il s’agit d’axiomes et de proposition, que le raisonnement est borné, il est impossible de refuser une conclusion gênante lorsque l’on est en accord avec toutes les étapes du raisonnement. L’auteur vous prive toute liberté, vous n’avez pas le droit de réfléchir en dehors de la théorie.
  • De l’absolue, de la vérification, de la construction: Ici des choses plus générales mais nécessaires en science. Imaginez si chaque mathématicien recommençait une nouvelle théorie mathématique, on avancerait beaucoup moins vite. L’éthique de Spinoza, on peut construire par dessus simplement, on peut faire un dérivé, affiner une dimension de la théorie. C’est génial ! (Je suis conscient que les philosophes lisent d’autres philosophes, s’en inspirent et parfois construisent par dessus. Cependant c’est beaucoup plus difficile et brouillon).

J’ai également lu, que les sujets traités par la philosophie étaient trop difficiles pour être traités avec le formalisme mathématique. Plus précisément, je dirais que la rigueur intellectuelle nous impose l’utilisation d’un formalisme. Cependant, il est vrai que les sujets traités en philosophie sont complexes et l’on ne peut pas calculer la véracité de nos propos. Cependant, il est tout à fait possible de faire des démonstrations philosophiques qui s’approchent le plus possible des démonstrations mathématiques en construisant des théories, en utilisant une construction logique simple et rigoureuse.

Donc pourquoi on ne le fait pas ? Question intéressante à laquelle je répondrais sans connaissance particulière, parce que la tradition philosophique n’est pas celle là. Que la rigueur c’est difficile. Que l’objectif était d’abord de parler religion, politique, société et art de vivre plutôt que de construire des modèles métaphysiques qui cherchent à représenter justement le réel. Je pense que Spinoza est une perle rare dans un océan de livres médiocres, que personne n’a seulement approché les sommets touchés par Spinoza et qu’il faudra bien du travail avant qu’un autre philosophe réalise un pareil exploit.

Il y a encore beaucoup de choses à dire mais je préfère attendre des réponses pour réagir plus précisément et ne pas écrire 15 pages que personne ne va lire.

PS: Vers la fin je pisse un peu sur les philosophes mais je ne nie pas l’intérêt et le génie d’autres philosophes qui n’ont pas construit de théorie.

Une forme géométrique permet de faire ce que je considère être la pureté absolue de la philosophie, une théorie.

Bon dans l’idée je suis plutôt conciliant avec ce que tu dis. Mais il faut quand même rappeler que le modèle de la géométrie à l’époque, c’était Euclide. Et n’importe quel matheux qui lirait Euclide se jetterait par la fenêtre si on lui demandait de dire si c’est rigoureux ou non.

Dans les faits, la géométrie de ces siècles était imparfaite. Bâtir un modèle de pensée philosophique avec les mêmes méthodes donne donc quelque chose d’au mieux logiquement douteux.

Pour ce qui est de tes trois raisons :

  • Borner les arguments. C’est quelque chose qui est toujours possible même sans formalisme. Il suffit d’avoir des termes suffisamment circonscrits pour que cela se fasse. D’ailleurs la plupart des papiers de philo prennent le temps d’indiquer leurs thèses et la structuration logique (ça se fait dans l’introduction).
  • Forcer les lecteurs à accepter les prémisses. En fait, je crois que cet argument est un peu dangereux. Même en maths on n’a pas envie d’accepter de force. L’idée est de donner une argumentation suffisamment solide pour qu’elle soit vraisemblable, mais les philosophes n’ont pas plus envie que ça de forcer le lecteur. D’ailleurs les périodes de controverses sont très intéressantes aussi pour ça : les argumentaires sont très précisément attaqués de toutes parts et cela n’est pas forcément un affaiblissement de la connaissance mais plutôt un enrichissement en contre-exemple et aussi parfois de certitudes pour des choses qui ne "tombent" pas.
  • De l’absolue, de la vérification, de la construction. Ça c’est carrément utopique, quelque soit le formalisme. Pour des questions de langages principalement, mais aussi tout simplement du fait qu’humainement on peut pas éclaircir totalement tous les concepts.
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