Hello,
C’est un sujet extrêmement complexe que tu nous proposes là. Je vais tenter de te répondre au mieux, mais comme tu t’en doutes, c’est un phénomène qui est sujet à une très forte variabilité interindividuelle.
La première chose c’est de savoir précisément de quoi on parle car entre l’empathie, la sympathie, la compassion et la contagion émotionnelle, la frontière est assez fine. Les mécanismes de l’empathie sont complexes et encore assez mal compris, mais grâce à des expériences menées sous IRM cérébrale on arrive à identifier les zones mises en jeu. Il y en a une en particulier qui l’on appelle la zone des neurones miroirs. Cette zone est activée quand un être humain reproduit l’action d’un autre être humain ou s’imagine reproduire une action. Elle est particulièrement importante dans le développement de l’enfant puisqu’une grande partie de son apprentissage se fait par imitation.
Dans un contexte qui n’est pas celui d’une action mais d’une émotion, on constate que les neurones miroirs activent chez la personne sujette à l’empathie les zones qui correspondent aux émotions de la personne source de son empathie. Autrement dit, les neurones miroirs nous poussent réellement à ressentir les émotions des autres. Il existe un second mécanisme associé à ce ressenti qui permet au cerveau de distinguer le soi de l’autre pour bien identifier la source des émotions et ne pas les prendre pour les siennes.
Et je pense que tu me vois venir avec mes gros sabots, mais une partie de la solution au problème est là. L’empathie est "codée" dans le cerveau, impossible d’y échapper. Mais le mécanisme de dissociation permet de réguler ses émotions pour parvenir à venir en aide sans trop s’exposer émotionnellement.
De manière parfaitement concrète, plusieurs choses. La première c’est que l’empathie a été très étudiée chez les étudiants en médecine et médecins et assez peu chez les secouristes et équivalents (pompiers, ambulanciers, etc.). Du coup, je vais m’appuyer plutôt sur ça même s’il y a quelques différences (la relation médecin/patient n’est pas forcément la même suivant le type de spécialité médicale puisqu’on peut être sur du suivi long terme). On constate que l’étudiant commence avec une empathie très forte (parfois paralysante) et que celle-ci diminue avec le temps et l’acquisition de nouvelles compétences (on distingue 4 stades que je ne détaillerai pas, ce n’est pas forcément le but du sujet). Je ne sais pas dans quelle mesure ce que je dis est applicable au secourisme (encore plus au secouriste bénévole chez qui l’expérience est plus longue à venir que chez le personne médical ou paramédical puisqu’il ne fait pas ça tous les jours), mais j’aurais tendance à dire qu’avec l’expérience, l’empathie baisse et l’efficacité augmente.
Maintenant, si on veut essayer de forcer un peu le destin, il faut distinguer deux étapes. Premièrement, baisser son niveau d’empathie de façon à pouvoir agir, même si c’est de façon un peu froide. Deuxièmement, essayer de réguler plus finement l’empathie afin de ne pas en avoir trop pour ne pas se retrouver paralysé mais suffisamment pour être un secouriste bienveillant et plus seulement une machine à faire froidement des bilans.
Pour baisser son niveau d’empathie dans un premier temps, je pense qu’il faut que tu identifies précisément les situations dans lesquelles ton empathie est trop sollicitée. Qu’est-ce qui te touche particulièrement ? Les enfants blessés ? Les cas psychologiques ? Les femmes agressées sexuellement ? Il y a plein de cas qui pour des raisons très diverses peuvent pousser à éprouver de l’empathie. Tu dois essayer de les analyser pour extraire le dénominateur commun. Une fois ta réflexion à ce stade, tu as un moyen très court-terme de palier le problème : essayer d’éviter au maximum les situations qui posent problème. Évidemment, dans la vie de tous les jours, c’est relativement imprévisible, mais dans le cadre du secourisme, ce que je te conseille c’est d’en parler avec ton chef d’intervention afin qu’il puisse te laisse en retrait ou te relayer si jamais un cas que tu crains se présente.
Une fois cela fait, il va falloir essayer de comprendre les mécanismes qui actionnent cette surdose d’empathie pour y remédier. Et là, c’est beaucoup plus difficile parce l’empathie peut venir de plein de phénomènes différents (et qui s’additionnent), en vrac :
- l’histoire liée à la détresse de la victime (un exemple classique : on nous montre une photo d’une personne éplorée, on sera beaucoup plus empathique si on nous dit que c’est suite à un attentat, beaucoup moins si on dit que c’est suite à un match de foot)
- le contexte (est-ce que tu portes secours à quelqu’un de ta famille ? quelqu’un que tu ne connais pas ? quelqu’un que tu détestes ?)
- la mémoire autobiographie (est-ce que tu as déjà toi-même vécu la situation ?)
- beaucoup d’autres (une phobie par exemple)
De manière générale, le fait de comprendre d’où vient le sentiment d’empathie permet de relativiser en utilisant mieux le mécanisme qui permet de distinguer le soi de l’autre (dont je parlais un peu plus haut). On prend du recul, on intellectualise la situation. Bien évidemment, c’est plus difficile à faire qu’à dire. Et si on constate un blocage sur une ou plusieurs situations, il faut pas hésiter à en parler voire à consulter un professionnel (psychologue/psychiatre).
La deuxième étape, c’est d’essayer d’utiliser l’empathie pour augmenter la qualité des soins prodigués aux victimes. On ne la considère plus seulement comme une somme de symptôme que l’on doit recueillir (la dimension biologique) mais comme une personne à part entière pour laquelle il faut également tenir compte des dimensions psychologiques et sociales.
Pour cela, il n’y a pas de solution miracle, l’expérience est la meilleure conseillère (puisqu’on n’est pas psychologues). Toutefois, avec quelques conseils de bon sens on peut donner quelques pistes :
- être bienveillant
- ne pas avoir de préjugé (e.g. ne pas partir du principe qu’une victime se plaint pour rien même si sa détresse semble bénigne au premier abord)
- expliquer ce qu’il va se passer ("nous allons faire un bilan", "nous allons appeler le SAMU pour avoir un avis médical", etc.)
- écouter la victime ; un de mes profs de psychologie médicale m’a donné un très bon conseil qui n’est malheureusement pas enseigné en PSE : la règle des 15 secondes. Pour pousser quelqu’un à se confier, dans un premier temps il ne faut pas l’interrompre (on s’est rendu compte que les médecins ont tendance à interrompre les patients au bout de 6 secondes en moyenne) et il faut lui laisser le temps de s’exprimer. Si la victime se tait mais que tu sens qu’elle a quelque chose à dire encore, attends juste 15 secondes avant de reprendre la parole et dans pas mal de cas, ça va pousser la victime à se confier. Rien que 15 secondes de silence (en montrant à la victime qu’on reste à son écoute, évidemment, il ne faut pas passer les 15 secondes le nez sur son portable), ça paraît rien du tout mais c’est super efficace.
- la réconforter
Ces conseils (sauf la règle des 15 secondes) sont au programme du PSC1, donc tu dois probablement les connaître, mais ça ne fait jamais de mal de les rappeler.
Ensuite, pour parler du référentiel PSE, il y a tout un passage qui parle du stress de l’équipier et qui reprend en gros les conseils dont j’ai parlé plus haut (ils ajoutent qu’il est important d’avoir une bonne hygiène de vie).
Enfin, je ne sais pas si tu as déjà passé ton PSE2, mais si ce n’est pas le cas, sache qu’il contient un module de prise en charge des détresses psychologiques dans lequel tu vas apprendre des conduites à tenir face à plusieurs types de détresses psy (crise suicidaire, agression sexuelle, deuil, délire, etc.). Bien évidemment, ces conseils ne sont pas parfaits parce toute situation est unique, mais ils permettent d’orienter la prise en charge. Il ne faut également pas hésiter à s’appuyer sur ses équipiers expérimentés et sur son chef d’intervention puis, plus tard, sur sa propre expérience.
Bon, j’ai écrit un petit pavé finalement, mais j’espère que je t’aurais aidé à y voir (un peu) plus clair, même si comme je te l’ai dit au début, c’est un sujet très difficile à cause de la très forte variabilité interindividuelle.