Salut,
Que ceux qui me connaissent un peu se rassurent : je n’ai pas viré complotiste.
Ça fait quelques semaines que les réseaux sociaux1 s’enflamment de nouveau sur la question du Rivotril.
Pour ceux qui n’ont pas suivi cette affaire, je vous explique. Il existe de nombreuses maladies, notamment infectieuses, qui donnent ce que l’on appelle un SRAS2 - un Syndrome Respiratoire Aigu Sévère -, c’est-à-dire une détresse respiratoire grave (sévère) et qui se manifeste rapidement (aigu). Dans les cas les plus graves, notamment chez les personnes âgées et/ou immunodéprimées, la détresse est tellement sévère qu’on ne sait pas les guérir et on ne peut qu’assister impuissants à leur décès.
Ces décès se font en l’espace de quelques heures voire quelques jours et chez les patients conscients (qui ne sont pas intubés, notamment parce qu’ils sont trop âgés et/ou fragiles pour bénéficier d’une réanimation) c’est une véritable torture. Ils ont la sensation de s’étouffer voire de se noyer et doivent lutter pour chaque bouffée d’air le temps que dure leur agonie. C’est pour cela qu’il existe une mesure de soin palliatif qui s’appelle la sédation terminale. Avec des médicaments de la classe des benzodiazépines (et en particulier le midazolam qui possède l'AMM sur cette indication), on parvient à sédater le patient pour ses dernières heures. Bien évidemment, ces médicaments ne sont pas une euthanasie3 : les benzos ne raccourcissent pas la durée de vie des patients, elles ne font que rendre leurs derniers moments un peu plus confortables.
La sédation terminale au midazolam est une procédure palliative maîtrisée depuis de nombreuses années. Pendant la crise sanitaire et devant les très nombreux décès soudain dus à des SRAS, la communauté médicale est tombée à court de Midazolam. Les autorités ont donc donné une autorisation temporaire permettant d’utiliser le clonazépam (de son petit nom commercial, le Rivotril) à la place.
À la base, le clonazépam ne possède pas d'AMM pour la sédation terminale mais simplement pour la sédation vigile (soulager temporairement un patient pour la durée d’une intervention anxiogène ou douloureuse). Ne possédant que cette AMM, le clonazépam est strictement contre-indiqué chez les patients présentant un SRAS (puisque les benzodiazépines sont des dépresseurs respiratoires). C’est également le cas du midazolam lorsqu’il est employé pour la sédation vigile mais pas pour la sédation terminale : ça n’aurait pas de sens, le but étant justement de soulager les patients qui décèdent d’un SRAS.
Or, malgré cette ATU, la fiche médicament du clonazépam n’a pas été mise à jour (ce qui est logique, l'ATU est temporaire) et par conséquent il est toujours contre-indiqué chez les patients SRAS. N’importe qui d’un peu logique comprendrait que dans le cadre d’une ATU pour remplacer le midazolam, on reprend l'AMM de celui-ci sur cette indication et donc que le SRAS n’est plus une contre-indication sur la sédation terminale, mais pas les complotistes qui se sont emparés de la fiche médicament où la contre-indication est notée pour essayer de prouver qu’on a assassiné les personnes âgées au Rivotril.
J’ai essayé moi-même de discuter avec certains d’entre eux pour essayer de leur expliquer que leur raisonnement n’avait pas de sens (oui, j’ai du temps à perdre je crois), sans résultat, bien évidemment. Ils s’appuient sur des « preuves » comme des reportages dont on ne peut pas vérifier l’authenticité, des témoignages pas tellement plus convaincants, des articles de loi tordus dans tous les sens pour qu’ils donnent l’impression de confirmer leurs théories, etc.
En voyant toutes ces justifications et en lisant leurs messages m’exhortant à ouvrir les yeux et accepter leurs preuves, je me suis souvenu de ce que font certains qui discutent avec les complotistes : avant tout débat ils leur demandent le genre de preuves qu’ils sont prêts à accepter pour reconnaître qu’ils ont tort. Et je me suis dit qu’il serait intéressant voir même indispensable pour faire preuve d’honnêteté intellectuelle de me poser la même question sur l’histoire du Rivotril.
Je suis intimement et sincèrement persuadé que cette histoire est totalement inventée et, pour ne pas me retrouver dans la même position qu’eux, à défendre une thèse contre vents et marées armée de ma simple conviction profonde, il est nécessaire de se poser la question des preuves que je suis prêt à accepter pour me montrer que j’ai tort.
Et c’est là que le bât blesse : je n’en ai pas la moindre idée. Si on fait l’hypothèse que ce complot est vrai (bien que, encore une fois, je n’en croie pas un mot), comment pourrions-nous le démontrer ? À partir de quel niveau de preuve peut-on commencer à se dire qu’on se trompe ?
Merci par avance pour vos éclairages.