Si vous suivez les informations radio ou télévisées, vous devez entendre régulièrement les nouvelles de la croissance, la fameuse croissance qui crée des emplois et augmente la richesse des populations. Mais savez-vous ce qu'est la croissance ? Si la réponse est non, alors ce cours palliera votre ignorance.
- Si il y a croissance, qu'est ce qui grandit ?
- Et à quoi sert la croissance ?
- La croissance : quand le PIB monte, monte, monte...
- Quand les économistes entrent en scène
Si il y a croissance, qu'est ce qui grandit ?
La croissance, mais la croissance de quoi ?
Eh oui, le terme croissance indique que quelque chose grandit et la croissance économique ne fait pas vraiment exception à la règle. On pourrait se dire que c'est l'économie qui grandit, et ce serait une première intuition pas trop éloignée de la réalité. Pour répondre rapidement, la croissance économique est l'augmentation au fil du temps d'une grandeur économique qu'on appelle le Produit Intérieur Brut, ou PIB.
Produire, toujours plus
Le PIB est une mesure de la production, la quantité de biens et de services produits en un an dans un pays. Une première mesure de celle-ci consiste à additionner les quantités produites de chaque produit. Mais savoir que tant de pommes de terre et de consoles de jeu ont été vendues l'année dernière n'est pas vraiment instructif. En effet, une pomme de terre n'a pas vraiment la même valeur qu'un jeu vidéo : les objets n'ont pas le même prix, ni la même valeur subjective. Additionner les quantités vendues ne tiendrait pas compte de cet état de fait. Pour cela, on peut multiplier chaque quantité produite par le prix, et additionner le tout.
Des ventes comptées en double
Mais en faisant ainsi, des choses sont comptées en double, en triple, voire plus. En effet, quand une entreprise crée un produit, elle n'est pas à l'origine de tout le produit : elle a dû utiliser des matières premières, des pièces détachées, ou des services. Par exemple, un constructeur de voiture achète des pièces détachées (autoradio et airbags, par exemple) et des matières premières (acier, plastique). Dernier exemple : un fabricant de mobilier a besoin d'acheter du bois (matière première), mais aussi des machines qui taillent ou travaillent le bois ainsi que l'électricité pour les faire fonctionner. Ces biens ou services sont appelés des consommations intermédiaires : ils sont achetés à des entreprises, et permettent de produire un autre produit ou service.
Sans précaution particulière, le prix des consommations intermédiaires est donc pris en compte deux fois dans le calcul du PIB : une fois dans le prix de vente des consommations intermédiaires, et une fois dans le prix de vente du produit final. Par exemple, imaginez qu'une entreprise achète du tissu pour concevoir des vêtements. Si on additionnait les prix multipliés par les quantités, le prix du tissu serait compté deux fois : une première fois lors de l'achat du tissu par l'entreprise, et une autre fois inclus dans le prix du vêtement. Dans le calcul du PIB, le prix du tissu n'est compté qu'une seule fois.
Pour résumer, le prix des consommations intermédiaires est inclus dans le prix total du produit : le prix du produit sert en partie à rémunérer l'achat des consommations intermédiaires, ce qui reste étant appelé la valeur ajoutée. Pour que le calcul de la production ne compte pas certains prix en double ou triple, on ne doit prendre en compte que la valeur ajoutée. Le PIB nominal n'est ainsi que la somme des valeurs ajoutées de chaque produit vendu dans un pays.
Quand les prix mettent le bazar
On pourrait croire être tiré d'affaire avec le PIB nominal, mais ce serait trop beau. Le problème du PIB nominal est qu'il ne tient pas compte des variations des prix. En effet, les prix augmentent régulièrement, de quelques pourcents chaque mois ou chaque année : c'est ce qu'on appelle l'inflation. Cette variation a un impact sur le PIB. Par exemple, si la quantité vendue ne change pas, la valeur ajoutée peut changer à cause de l'inflation. Ainsi, l'inflation peut faire augmenter ou baisser le PIB sans que cela se traduise par une variation de la production de biens ou de services.
Pour obtenir des chiffres plus fiables, il est important de supprimer l'effet de l'inflation. Pour simplifier, les économistes divisent le PIB nominal par le prix moyen des produits (les économistes parlent aussi de déflateur du PIB). Ils obtiennent ce qu'on appelle le PIB réel. En faisant cela, tout variation des prix fera varier l'indice des prix et le PIB nominal, mais le PIB réel sera corrigé de l'effet de l'inflation. Par exemple, si le PIB nominal et l'inflation augmentent tous les deux de 3%, le PIB réel sera inchangé.
La croissance, enfin
Le PIB d'un pays n'est jamais stable d'une année sur l'autre : il augmente de quelques pourcents chaque année. La croissance économique n'est que cette augmentation du PIB d'une année sur l'autre. Si la croissance est nulle, le PIB est stable. Elle est positive si le PIB augmente, et négative si le PIB diminue. Dans les faits, la croissance s'exprime en pourcentage du PIB : elle indique si le PIB a augmenté de 0,5, 1 ou 4 % comparé à l'année précédente.
Et à quoi sert la croissance ?
Mais pourquoi les politiques veulent-ils toujours plus de croissance ?
La question est légitime, d'autant qu'on voit mal le lien entre production et certains objectifs politiques du style baisse du chômage et hausse de la qualité de vie. En quoi la production d'un pays est-elle utile ?
De la richesse des nations
Premièrement, on peut remarquer que le PIB est une mesure assez approximative de la richesse d'une nation et de la vigueur de son économie. Le PIB nominal donne le total de l'argent dépensé dans un pays, alors que le PIB réel donne la quantité de produits vendus. Et cet argent dépensé est un profit qui sera ultimement transformée en revenu pour quelqu'un, que ce soit des salaires, mais aussi les intérêts de l’épargne, les revenus de l'État (impôts et taxes) et les profits des entreprises. Plus le PIB est fort, plus l'argent gagné par les habitants d'une nation le sera aussi. C'est donc un signe de prospérité.
Reste que le PIB donne une indication indirecte de la richesse des personnes : la richesse d'un pays ne vaut rien si elle est concentrée sur un faible nombre d'individus. Mais on peut obtenir une bonne approximation des niveaux de vie des habitants d'un pays en tenant compte du PIB et de sa population. En divisant le PIB par le nombre d'habitants, on calcule la richesse qu'une personne gagne durant un an en moyenne (PIB nominal) ou le nombre moyen de biens qu'elle peut acquérir (PIB réel). Évidemment, le PIB par habitant ne tient pas compte des inégalités de revenu à l'intérieur d'un pays, mais nous pouvons laisser cela de côté pour l'instant.
C'est une première raison qui fait que le PIB est un indicateur qu'on souhaite augmenter. Pour augmenter le PIB par habitant, on est obligé d'avoir une augmentation du PIB. Si la population reste stable, une hausse du PIB donnera lieu à une hausse du PIB par habitant. Et si on prend compte la croissance de la population, on devine rapidement que cette croissance doit être plus importante encore : la croissance du PIB doit être supérieure à la croissance de la population pour faire augmenter le niveau de vie. Dans le cas contraire, le niveau de vie stagne ou diminue.
Il parait qu'on a tout essayé1
Mais pourquoi les politiques invoquent la croissance quand on leur pose la question du chômage ?
Cette question est légitime, d'autant plus qu'on ne voit pas très bien quel est le rapport entre PIB et chômage. Mais il fait savoir qu'il existe une relation entre emploi et PIB : le chômage sera d'autant plus faible que le PIB est élevé, et réciproquement. Cette relation n'est cependant pas gravée dans le marbre, vu qu'il ne s'agit que d'une loi statistique qui est parfois mise en défaut. Cette relation statistique est appelée la loi d'Okun.
Cependant, on observe que la croissance ne crée des emplois que si elle dépasse un certain seuil (environ 2% de croissance en France, à l'heure actuelle). Il faut signaler que ce seuil dépend fortement de l'époque considérée et du pays : la France de 1950 n'a pas le même seuil qu'à l'heure actuelle, par exemple. Les variations de ce seuil sont relativement difficiles à expliquer.
Mais c'est pas un peu contre-intuitif ?
Effectivement, une logique un peu naïve voudrait qu'une croissance nulle signifie pas de hausse ni de baisse du chômage : si la production reste la même, pourquoi le nombre de travailleurs varierait ? Sauf que ce genre d'argument ne prend pas en compte deux petits paramètres : la croissance démographique et la productivité.
Prenons la croissance démographique en premier lieu. Si jamais la population en âge de travailler augmente, il faut que le nombre total d'emplois augmente en proportion pour garder un taux de chômage identique. Toute chose égale par ailleurs, cela demande donc d'augmenter la production en proportion. Ainsi, une croissance économique égale à la croissance démographique devrait, toute chose égale par ailleurs, stabiliser le chômage.
Et la même chose a lieu pour la productivité, à savoir la production d'un travailleur durant une heure de travail. Si la productivité augmente, cela signifie que le nombre d'emplois nécessaire diminue d'autant pour une production identique. Pour garder un nombre d'emplois identique, il faut donc augmenter la production au même rythme que la productivité : la croissance doit être égale à la production.
Et cet effet s'ajoute à celui de la croissance démographique. On comprend donc que ce seuil à franchir n'est autre que l'addition de la croissance démographique et de la productivité. Ainsi, si la population augmente de 0,5% par an et que la productivité a augmenté de 1,5% depuis l'année dernière, le seuil d'Okun sera de 2%. Ces chiffres ne sont pas choisis au hasard : la France a des seuils proches au moment où j'écris ces lignes (début 2016).
Un indicateur qui n'est pas sans défauts
Avec ce qu'on vient de dire, on pourrait croire qu'il n'y a que des avantages à faire grandir le PIB. En réalité, cette impression vient du fait que je n'ai pas parlé du défaut principal du PIB : c'est un indicateur purement économique, qui compte la production sans prendre en compte un grand nombre de paramètres.
L'environnement, le grand oublié
Il met totalement tout ce qui a rapport à l'écologie et l'environnement. Par exemple, la destruction d'une forêt tropicale pour fabriquer du papier augmente le PIB, mais peut se traduire par un désastre environnemental. Faire augmenter le PIB à tout prix demande de produire, et donc d'extraire des ressources naturelles qui ne sont pas toujours renouvelables. Viser la croissance à tout prix ne peut mener qu'à une surexploitation des ressources naturelles, chose que beaucoup considère comme nuisible. Et pire : si les activités polluantes sont comptées dans le PIB, les activités de dépollution le sont aussi !
L'argent ne fait pas le bonheur
De plus, il ne rend pas compte du bien-être des habitants d'un pays ou du niveau de développement d'un pays, même en annulant l'effet des inégalités de revenu.
Hé, mais tu viens dire qu'il s'agissait d'un bon indicateur du niveau de vie ?
Et dans les faits, ce n'est pas incompatible ! C'est ce qu'on appelle le paradoxe d'Easterlin : augmenter le PIB par habitant ne fait pas automatiquement augmenter le bien-être subjectif ressenti par sa population. Au-delà d'un certain niveau de richesse, il semblerait que le bien-être subjectif ne grimpe plus vraiment. Mais toutes les études sur le sujet ne sont pas d'accord, et il faut avouer que les mesures du bien-être subjectif ne sont pas des plus fiables, de même que leur interprétation statistique.
Les explications de ce paradoxe sont cependant assez difficiles à établir. Certains psychologues se sont penchés sur le sujet, mais rien de concluant pour le moment. Peut-être que la réponse viendra de l'économie comportementale, un domaine de l'économie qui tente de mêler psychologie, neurosciences et économie. Au passage, un cours sur le sujet existe sur ce site, mais il ne parle pas vraiment du paradoxe d'Easterlin.
Bon, on fait quoi ?
Bref, remplacer le PIB ne serait pas une mauvaise idée, même si le PIB a quelques avantages : il est simple à calculer, est une bonne approximation du niveau de vie d'un pays (une fois rapporté à sa population), donne des indices sur l'état de l'économie d'un pays, et ainsi de suite. Mais ses inconvénients ne plaident pas en sa faveur. Quelques économistes ont déjà fait quelques propositions de remplacement, mais rien n'a percé au moment où j'écris ces lignes (début 2016).
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Ce titre fait référence à une phrase bien connue de François Mitterrand, qui a dit un jour : "Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé.". ↩
La croissance : quand le PIB monte, monte, monte...
On vient de voir que la croissance a des effets assez désirables. Il est donc très important d'étudier ce qui peut faire varier la croissance, éventuellement pour le meilleur de nos concitoyens. Étudier comment la croissance a évolué au cours du temps pourrait nous donner des indices à ce propos. Si on remarque de fortes augmentations de croissance à une certaine époque, on pourrait peut-être tenter d'en déduire ce qui a causé cette flambée de croissance. Et avec un peu de chance, on pourrait en déduire quels sont les mécanismes à l'origine de la croissance.
Une petite histoire de la croissance
Avant la révolution industrielle, l'économie était totalement gouvernée par l'agriculture. Toute augmentation de la production permettait de faire vivre plus de monde, et n'augmentait pas le niveau de vie. Une telle situation où le le PIB par habitant reste constant alors que le PIB seul augmente est appelée une trappe malthusienne (du nom de Malthus, pasteur anglais auteur de quelques théories économiques et sociales assez anciennes).
Avec l’avènement de la révolution industrielle et la prise de pouvoir du capitalisme, l'industrie se développa. Celle-ci étant plus rentable, les capitaux affluèrent rapidement dans l'industrie. Cette transition entre société agraire et société industrielle entraîna une forte augmentation de production, mais aussi une amélioration du niveau de vie. Certains économistes pensent que des pays d'Afrique ou d'Asie sont encore à l'état de sociétés pré-industrielles, et qu'ils pourraient se développer en développant leur industrie.
Depuis, on constate une augmentation régulière du PIB et une croissance soutenue du à la fois du PIB et du PIB par habitant. Historiquement, ces dernières décennies ont été le moment d'une formidable augmentation du PIB par habitant. Depuis 1950, le PIB par habitant a triplé aux état-unis, plus que quadruplé en France, et décuplé au Japon. Reste qu'expliquer d'où vient cette croissance est loin d'être facile.
Mais d'où vient la croissance qui a suivi la révolution industrielle ?
Mais d'où est sortie cette croissance, pourquoi a-t-elle soudainement augmentée après la révolution industrielle, et pourquoi semble-t-elle cesser ces derniers temps ?
On sait que la croissance de la révolution industrielle s'est traduite par une forte augmentation de la production, industrielle notamment. Durant cette période, tout ce qui était produit pouvait être vendu sans problème: les entreprises n'avaient pas de problèmes à écouler leur production. On doit donc rechercher la croissance dans ce qui a causé cette soudaine augmentation de production industrielle. Dans une situation où tout ce qui est produit est vendu, la production dépend de plusieurs paramètres :
- le nombre d'employés : on produit plus avec 1000 employés qu'avec 100 ;
- le nombre d'heures travaillées : on produit plus en 100 heures de travail qu'en seulement 10 ;
- et la productivité, à savoir la quantité produite par personne et par heure.
Travailler plus pour produire plus
Et si c'était le nombre d'heures travaillées ?
Manque de bol, ce n'est pas le cas. Depuis la révolution industrielle, le nombre d'heures de travail a rapidement décliné, notamment depuis le début du siècle dernier. Pour donner un exemple, là où un ouvrier travaillait facilement plus de 50 heures par semaine au début du siècle, il ne travaille plus que 35 heures de nos jours. Et pourtant, la croissance a été assez soutenue entre ces deux périodes.
Alors c'est le nombre de travailleurs ?
Sur le très long-terme, la démographie est supposée jouer un rôle sur le nombre de travailleurs : il faut qu'il y ait un réservoir suffisant de travailleurs pour occuper les emplois induits par l'offre. C'est ce qui fait que certains économistes parlent souvent de l'effet de la natalité sur la croissance : ils parlent du cas où l'offre n'est pas assurée parce qu'il manque des travailleurs pour produire cette offre. Dans ce cas, le recours à l'immigration est une solution envisageable.
Mais les démographes nous donnent les armes pour abattre l'hypothèse de la natalité. Si démographie et croissance sont relativement bien corrélés, la révolution industrielle dans un pays fait varier la démographie quelques années ou décennies plus tard. En clair, on observe de fortes variations de la démographie à la suite de la révolution industrielle, et non avant celle-ci. Cela signifie que la démographie n'a aucun lien avec la croissance de l'époque industrielle. Pour les périodes récentes, on observe là encore une corrélation trop faible entre croissance et démographie pour que cela soit significatif.
En fait, c'est travailler autant pour produire plus !
Il ne reste donc que le dernier facteur : la productivité ! Mais on peut pousser l’enquête plus loin, en essayant ce savoir d'où est sortie cette productivité. L'apparition de l'industrie a joué un rôle : l'agriculture a une productivité relativement stable, contrairement à l'industrie. Mais on aimerait bien trouver une explication plus générale, qui explique les gains en productivité de notre époque, où l’industrie pèse peu dans l'économie. Et pour cela, quelque intuitions et observations vont nous aider.
Il est évident que la productivité s'améliore au fur et à mesure des progrès technologiques. Le progrès technique de ces derniers siècles a eu un effet considérable sur la productivité, que ce soit pour favoriser l'industrie ou d'autres secteurs économiques. Cette hausse a permis de maintenir une production assez importante, voire supérieure à la demande, tout en diminuant le besoin en heures de travail. On retrouve ainsi la baisse du temps de travail mentionnée plus haut.
L'augmentation de la productivité ne provient cependant pas que du progrès technologique : il faut aussi que les entreprises puissent en profiter. Pour cela, l'investissement et le capital sont nécessaires. Une entreprise doit fatalement emprunter pour acheter des machines, vu qu'elles seront rentabilisées qu'après un temps assez long. Cela demande d'orienter le capital vers des investissements productifs, rentables à court et long-terme.
Un autre paramètre important est la formation. Plus un employé est formé, plus aura tendance à avoir une productivité élevée. Et cela devient de plus en plus vrai avec le temps. C'est pour cela que les entreprises cherchent de plus en plus de profils avec un haut niveau d'études, et sont prêtes à payer plus pour des profils fortement qualifiés. Dans les années 2000, un salarié à temps plein gagnait presque deux fois plus s'il avait une licence que s'il avait seulement un bac. C'est nettement plus que dans les années 1980, ou la différence de salaire était seulement de 40%.
Et sur des périodes plus courtes ?
Alors c'est pour cela que la France manque de croissance ces dernières années ?
Oui et non.
En fait, il faut bien se rendre compte que ce qu'on vient de dire augmente la croissance sous certaines conditions. Durant les années qui ont suivi la révolution industrielle, tout produit vendu trouvait un acheteur (ou presque, mais passons). Dans ces conditions, simplement augmenter la production donnait de très bons résultats. Mais c'est occulter une bonne part du problème : il faut aussi écouler la production. On peut très bien se retrouver dans des situations de surproduction, où ce qui est produit n'est pas vendu et sert à faire des stocks. Dans une telle situation, ce qui est surproduit n'entre pas en compte dans le PIB (qui comptabilise les ventes).
L'offre et la demande, encore et toujours
Pour prendre en compte le fait que la production doit être vendue, les économistes ont tout simplement réutilisés le concept de base de leur discipline : la loi de l'offre et la demande. Dans les grandes lignes, le PIB est déterminé par la rencontre entre une demande agrégée, la demande totale de biens et services, et une offre agrégée, la production totale de la part des entreprises et de l'état.
Et tout ce qu'on vient de voir précédemment ne valait que pour l'offre : augmenter la productivité n'a jamais augmenté la demande, par exemple. Appliquer bêtement ce qu'on a vu précédemment ne pourrait donc pas marcher, si jamais la demande est insuffisante : cela permettrait juste de surproduire. Obtenir un équilibre entre offre et demande est donc assez difficile, mais permet de ne pas surproduire ou sous-produire.
Mais comment sait-on si surproduction ou sous-production il y a ?
Si l'offre est trop faible, les entreprises ne produisent pas assez : les entreprises s'adaptent en augmentant leurs prix. Par contre, une offre trop forte signifie que certains produits ne trouvent pas d'acheteurs : elles doivent baisser leurs prix pour vendre. Une demande abondante augmente donc l'inflation, alors qu'une demande insuffisante la fait diminuer. On en déduit donc que la production optimale est atteinte quand l'inflation reste constante au fil du temps : on atteint alors un PIB sans surproduction ni sous-production, appelé le PIB potentiel.
On pourrait aller plus loin, mais cela nous demanderait d'étudier des théories économiques comme le modèle IS/LM ou le modèle AS/DS. Nous ne le ferons pas ici, vu que cela mériterait plusieurs cours relativement complets.
L'évolution de la croissance au fil des ans
Sur le court ou le moyen-terme, on remarque que la croissance n'est pas stable : elle oscille autour du PIB potentiel. Des phases de croissance succèdent aux phases où la croissance est négative (le PIB diminue d'une année sur l'autre). Cette succession porte un nom : c'est le cycle économique. Si on élimine le bruit provenant de ce cycle économique, en effectuant des moyennes d'une décennie sur l'autre, on remarque que le PIB est globalement égal au PIB potentiel.
Ces variations du cycle économique, qui culminent lors des crises économiques, sont donc des variations de court-terme qui changent peu ce qui se passe sur de longues périodes. Reste qu'expliquer ce cycle économique serait compliqué : il faudrait parler des différentes théories des crises et du cycle économique (et dieu sait qu'il en existe un paquet), de la politique budgétaire, et de bien d'autres choses. Et cela mériterait plusieurs cours, ce qui fait que je laisse cela à plus tard.
Tout ce qu'il faut retenir, c'est que les causes du cycle économique semblent être totalement différentes des causes de la croissance du PIB potentiel. Dans ce qui suivra, nous ne parlerons que de la croissance du PIB potentiel, la croissance à long-terme.
Il faut savoir que les économistes ont séparé l'étude du cycle et des crises économiques de l'étude de la croissance à long-terme. Cette séparation fait que lorsqu'un économiste parle de croissance, il a de bonnes chances de parler de croissance à long-terme. D'où une certaine ambiguïté sur les propos tenus dans les médias, le grand public étant surtout concerné par le court-terme.
Quand les économistes entrent en scène
Mais tout cela n'est qu'une partie de la réponse : il reste à expliquer comment ces facteurs interagissent pour donner de la croissance. Et il semblerait que les mécanismes soient différents sur le court et le long-terme. Le court-terme est du domaine des théories des crises, qui étudient les causes du cycle économique. Mais à long-terme, le PIB est plus ou moins égal au PIB potentiel. Et les mécanismes qui font monter ce PIB potentiel sont différents de ceux qui sont à l'origine du cycle économique. En conséquence, les théories de la croissance n'expliquent pas le cycle économique, mais seulement le PIB à long-terme. Pour le moment, ces théories sont purement conceptuelles, ce qui est une première étape vers quelque chose de plus élaboré.
Créer un modèle mathématique de la force de travail est facile : on peut utiliser des modèles démographiques pour connaître le nombre de personnes en âge de travailler. Mais pour ce qui est du progrès technique ou de l'effet de la formation, c'est autre chose ! En conséquence, ces théories de la croissance peuvent se classer en deux types, suivant le statut qui est donné au progrès technologique :
- les modèles de croissance exogène, où le progrès technique n'est pas calculé par le modèle ;
- les modèles de croissance endogène, où le progrès technique est calculé par le modèle .
Fonction de production
Dans ce qui va suivre, nous noterons :
- $C$ le capital ;
- $T$ la force de travail ;
- $P$ la production ;
- $A$ le progrès technologique.
La première intuition des économistes était qu'il fallait calculer le PIB à partir des variables vues auparavant. Mathématiquement, cela se traduit par une fonction qui prend en variable le capital, le travail, et éventuellement d'autres paramètres.
Il est possible de placer quelques contraintes intuitives sur cette fonction, la première étant d'imposer ce qu'on appelle des rendements décroissants. Une augmentation d'un facteur se traduit par une augmentation moindre de la production. Par exemple, si on triple le travail sans tripler le capital, la production n'est pas triplée, mais augmente de moins de trois fois. Cette propriété est relativement crédible : si on double le nombre d'employés sans doubler le nombre de machine, l'entreprise ne pourra pas produire deux fois plus.
Par contre, doubler le nombre de machines et d'ouvrier permettra certainement de produire deux fois plus : si on multiplie la force de travail et le capital par deux, la production est doublée. De manière générale, augmenter les deux facteurs dans les mêmes proportions augmentera la production d'autant. On parle alors de rendements d'échelle constants.
Modèles de croissance exogène
Le modèle de croissance exogène le plus connu est le modèle de Solow. Ce modèle complet dit qu'il existe une limite à la croissance. Une fois cette limite atteinte, la croissance ne dépend que du progrès technologique $A$.
Intensité capitalistique
Cette théorie part d'une fonction de production qui dépend du travail et du capital, et qui respectent certaines conditions. La version originelle utilisait la fonction de Coob-Douglas, avec toutes les contraintes vues au-dessus. On peut considérer que la théorie s'attache à déterminer le PIB par habitant, plus que le PIB lui-même. Pour cela, il suffit de prendre la fonction de production, et de diviser par le nombre de travailleurs $T$. En prenant en compte les rendements d'échelle constants, on obtient les formules suivantes.
Ainsi, on voit que la production dépend uniquement de $\frac{C}{T}$. Ce dernier peut s'interpréter comme le capital par habitant, ou encore le rapport entre importance du capital et travail dans la production. On lui donne donc le nom d'intensité capitalistique, ou encore de capital par tête. Pour résumer, plus l'intensité capitalistique est importante, plus le PIB élevé. Dit autrement, une augmentation de l'intensité capitalistique se traduit par de la croissance. Le moteur de la croissance est donc l'investissement.
Cependant, il faut se souvenir que le capital seul a un rendement décroissant : on peut doubler le capital, cela ne doublera pas le PIB. Ainsi, on peut deviner que la production par tête augmentera de moins en moins vite, pour une même augmentation du capital par tête. En clair, la croissance ne pourra que diminuer avec le temps.
Variation de l’intensité capitalistique
On pourrait croire que la formule précédente que la croissance diminue progressivement avec le temps, mais ne s'annule pas. Mais dans les faits, il arrivera un moment où le capital par tête se stabilisera. Lorsque cela arrivera, la croissance du PIB par tête sera nulle. En clair, le PIB augmentera au même rythme que la population : la croissance sera égale à la croissance démographique. Et comprendre pourquoi demande de faire quelques développements.
Dans ce qui va suivre, nous n'allons pas prendre en compte l'évolution de la population et l'effet qu'elle peut avoir sur le capital par tête. Les développements mathématiques seraient alors plus compliqués, mais donneraient des résultats similaires.
Regardons ce qui se passe durant une année, et regardons comment la production augmente. Pendant ce temps, une partie du capital est dépréciée : elle perd de sa valeur régulièrement dans le temps. Ainsi, la variation du capital durant un temps $t$ se déduit avec la formule suivante, en posant $k$ la dépréciation du capital.
L'argent du PIB sera redistribué aux habitants du pays, qui pourront soit le consommer, soit l'épargner (on oublie les autres possibilités pour le moment). On va supposer que tout ce qui est épargné est investit d'une manière ou d'une autre, peu importe comment : l'investissement correspond à la part des revenus qui est épargnée. On pose $s$ le pourcentage du salaire qui est épargné. Pour résumer, le capital par tête à l'année $t+1$ est égal :
- au capital de l'année précédente ;
- auquel il faut retirer les pertes de la dépréciation du capital ;
- et auquel il faut ajouter l'investissement.
Si on étudie plus attentivement cette formule, on remarque que le capital par tête croit, mais de moins en moins vite. Il arrive un moment où il se stabilise : on atteint alors un état stationnaire. A l'état stationnaire, l'investissement compense exactement la dépréciation du capital.
On en déduit qu'à l'état stationnaire, le PIB par tête vaut :
Dit autrement, le taux d'épargne ne permet pas de faire monter le PIB indéfiniment. A vrai dire, il n'a aucun effet sur la croissance en elle-même : celle-ci n'est pas plus élevée avec un fort taux d'épargne. Mais il permet d'obtenir un PIB par habitant plus élevé. En suivant le raisonnement, on conclus qu'augmenter les conditions de vie passerait par une augmentation de l'épargne. Mais que font les marxistes ?
Et pour ce qui est des faits ?
Le modèle de Solow oublie volontairement deux facteurs de la productivité : la formation et la répartition du capital. Afin de rendre compte de l'effet de la formation, le modèle de Mankiw, Romer, et Weil a ajouté une troisième variable au modèle de Solow : le capital humain. D'autres modèles ont aussi fait subir le même traitement au progrès technologique. Dans les deux cas, les rendements sont décroissants et les conclusions similaires : ils augmentent la croissance durant un certain temps, mais jamais indéfiniment.
Le modèle de Solow et ses variantes disent que le travail et le capital ont un effet sur la croissance qui diminue avec le temps. Il arrive un moment où la croissance ne dépend que de l'augmentation de la population et le progrès technique. Cela donne une première prédiction : la part du capital et du travail dans la croissance des sociétés développées doit être faible, contrairement au progrès techniques.
Solow a tenté de vérifier si c'était le cas, et pense avoir établit que 87,5% de la croissance des États-Unis entre 1909 et 1949 était entièrement causée par le progrès technique. D'autres études similaires donnent des résultats qui vont dans le sens de l'hypothèse de Solow, mais avec des résultats un peu plus en faveur du capital. Mais il faut rester prudent : les méthodologies statistiques des économistes ne sont pas parole d'évangile. Cependant, le consensus actuel est que le progrès technique est la principale source de croissance dans les pays développés. Le cas des pays en voie de développement est volontairement laissé de coté dans ce cours.
Une autre prédiction du modèle provient de la première formule : celle-ci dit qu'augmenter une intensité capitalistique déjà importante aura moins d'effet qu'augmenter une intensité faible (rendements décroissants). Or, un pays pauvre a une intensité capitalistique plus faible qu'un pays riche, par définition. Ainsi, à augmentation égale de l'intensité capitalistique, un pays pauvre verra croître son PIB beaucoup plus vite qu'un pays riche. Les pays pauvres devraient rattraper progressivement les pays riches, du fait de leur croissance plus rapide. Ce phénomène de convergence des PIB par habitant est une prédiction importante du modèle de Solow.
Si on observe ce qu'il en est dans la réalité, c'est plus ou moins le cas, mais avec des réserves assez importantes. Les premières études sur le sujet ont montré que cette convergence des niveaux de vie avait bien lieu dans les pays européens et aux États-Unis. Quelques pays asiatiques font aussi partie de la bande. Par exemple, prenons les années 50 : le PIB par habitant aux USA était le double de celui de la France, et quatre fois supérieur à celui du Japon. En 2009, la différence entre France/Japon et USA est de seulement 20%. Mais ces études avaient un léger biais : elles ne regardaient que des pays développés, industrialisés. Si on regarde ce qu'il en est dans les pays africains, on s’aperçoit qu'ils ne convergent pas vers nos niveaux de vie et ont tendance à stagner.
On pourrait cependant faire remarquer que cette convergence ne signifie pas que les niveaux de vie s'égalisent. On a vu qu'à l'état stationnaire, le PIB par habitant dépendait du taux d'épargne et des taux de dépréciation du capital (ainsi que de la croissance démographique et de la productivité, que l'on a passé sous le tapis). En clair, des pays similaires économiquement doivent converger vers des niveaux de vie semblables. Mais rien n'oblige des pays économiquement différents à converger vers des niveaux de vie similaires : la convergence est dite conditionnelle. La mesure de ce genre de convergence est cependant assez difficile, mais elle semble coller assez approximativement au modèle de Solow.
Modèles de croissance endogènes
Dans le modèle de Solow, le progrès technique est une variable qui tombe du ciel, dont le modèle ne permet pas de déterminer la valeur. Et pourtant, le progrès technologique demande des investissements en recherche et développement, des chercheurs bien formés, des ingénieurs et techniciens capable de mettre en œuvre une idée, ainsi que des employés capables d'utiliser les nouvelles technologies. Tout cela demande d'investir de l'argent sur de longues durées.
Cela rendait insatisfaisant le modèle de Solow aux yeux de certains, et beaucoup d'économistes ont inventés des théories qui incluaient un progrès technique calculé dans le modèle. Ces modèles de croissance endogène ne disent pas que la croissance finit par s’arrêter : ils disent que la croissance à très long-terme dépendra des taux d'épargne et des dépenses dans l'éducation ou la recherche. Et pour cela, elles doivent systématiquement abandonner l'hypothèse des rendements décroissants.
Reste que justifier ces rendements constants ou croissants n'est pas une mince affaire, même si les économistes ont trouvé une parade mathématique. Cette parade porte le doux nom d'externalités positives : l'augmentation d'un facteur pourrait déborder sur les autres et augmenter leur rendement. Généralement, ces externalités impliquent la recherche, la formation ou le capital humain. Investir dans ces secteurs profiterait aux autres secteurs d'une manière telle que les rendements deviendraient croissants ou constants.
Les différents modèles de croissance à long-terme se basent sur des hypothèses différentes sur ces externalités positives, dont certaines peuvent passer pour irréalistes. Même les économistes en sont conscients, et je ne résiste pas à vous citer ce qu'en pense Paul Krugman, "prix Nobel" d'économie (citation traduite de l'anglais par mes soins) :
Beaucoup trop de ces théories impliquent de faire des hypothèses sur des choses non-mesurable, affectées par d'autres choses non-mesurables.
Expérimentalement, ces théories ne donnent pas de résultats empiriques facilement interprétables. Certaines études montrent que les rendements sont décroissants, y compris pour l'investissement dans la recherche, le capital humain et la formation, tandis que d'autres ne donnent pas ce genre de résultats. Le modèle de Solow reste encore une référence sûre du point de vue expérimental, même s'il n'est pas exclu (mais improbable) que cela change dans le futur.
Que penser de tout cela ? Bien malin celui qui pourrait répondre. Le sujet de la croissance et un sujet hautement important pour notre économie, celle-ci apportant emplois et prospérité. Mais méditons sur cette citation :
Celui qui croit à une croissance exponentielle infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste.
Force est de constater que cet adage a quand même une part de vérité : la quête de la croissance finira certainement par arriver au pied du mur, la croissance ne pouvant plus poursuivre sans cesse. De nombreux écologistes remettent en cause l'idée que la croissance peut progresser sans jamais cesser, des ingénieurs et physiciens doutent de l'infinité du progrès technologique, et j'en passe. Le problème est que la vision du monde partagée par de nombreux économistes se heurte à cette intuition.
Reste à voir ce que nous réserve l'avenir.
Pour aller plus loin
Au lieu de vous laisser méditer là-dessus, voici quelques liens pour complèter vos connaissances sur le sujet :