- KFC,
Pour moi il faut inscrire l'enseignement des mathematiques dans une vision beaucoup moins utilitariste mais historique, comme construction de la pensee au cours de l'Histoire. Comment saisir l'importance si ce n'est la necessite de l'analyse de Fourier sans introduire son contexte historique ? Comment saisir l'importance du calcul integral sans aborder a minima les besoins de Newton, la necessite des notations introduites par Leibniz, etc. Les mathematiques n'echappent pas a l'orientation d'une epoque, des contemporains et une necessite des concepts ou a defaut un environnement propice a l'elaboration des concepts (il faut avoir du temps a perdre, etre un bon aristocrate avec des servants pour se permettre de traiter toute la journee de la geometrie lemniscatique au 17 ou 18eme siecle).
Le probleme est a mon sens qu'on ne donne aucune envie d'apprendre en lancant des formules magiques sortis du chapeau comme si c'etait une evidence. Rappelez-vous que ce qu'on apprend en CPGE, bien que tres vieux est tout de meme le resultat d'annees de sacrifices individuelles et de tourmentes intellectuelles de la part de centaines de mathematiciens durant des siecles. Un excellent professeur que j'ai pu avoir en theorie de la mesure, en equivalent L3, Erik Lenglart1 pour ne pas le citer, rassurait ses eleves a la fin du cours en disant: "ne vous inquietez pas si cela vous semble difficile, cela semblait egalement extremement difficile pour les mathematiciens du debut du XXieme siecle. Vous en savez autant sur la theorie de la mesure que les plus grand noms de cette epoque".
Un grand probleme est que l'on ne donne pas les clefs de comprehension dans les cours pour en comprendre la portee. On donne simplement de quoi faire manipuler des equations. C'est valable tres generalement en sciences: combien d'eleves de CPGE et d'ecole d'ingenieurs ont une vision aristotelicienne de la mecanique. Pour reprendre l'exemple d'Etienne Klein dans beaucoup de ses conferences, prenons un systeme Soleil / Terre, dont les deux corps ne sont soumis qu'a la force de gravite. Posez la question: que se passe-t-il lorsque l'on remplace la Terre par une theiere, et observez un tiers de theiere qui partent a l'infini, un tiers de theiere qui s'ecrasent sur le soleil et un tiers de gens qui ne se prononcent pas. C'est a dire que ces gens la ont vu les equations de la gravitation, savent faire un PFD mais sont incapables d'en saisir les implications et de penser les equations. La reponse est pourtant evidente a la vue des equations: le mouvement d'un corps dans un champs gravitationnel ne depend pas de sa masse2.
Comment remedier a cela ? Alleger allegrement les programmes de CPGE et scolaires pour eviter de former des machines de calcul sans aucun recul, et forcer la construction de la pensee et la conceptualisation des idees simples sous-jacentes en contextualisation le cours dans un environnement historique depassable et en guidant l'eleve dans les implications des concepts sous-jacents (c'est le "depassable" du contexte historique).
A defaut d'etre la solution miracle, cela permettrait au moins aux eleves de comprendre, et je renvoie une nouvelle fois a Etienne Klein, que les sciences ne sont pas faites par des ruptures conceptuelles introduitent par des genies presque resultat d'un hasard genetique, mais le fruit d'une comprehension superieure de ce qui etait deja present dans les travaux acceptes par ses contemporains. C'est a dire que Galileo prouve l'independence de la masse dans la chute libre des corps par une incoherence logique de la pensee d'Aristote, Einstein developpe la relativite par une meilleure comprehension de ce qui est DEJA inscrit dans les equations newtoniennes (et peut etre par une influence de Poincare et de ses travaux geometriques - a verifier, je ne voudrais pas dire de betise), etc.
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Petite anecdote par rapport au premier message de Vayel pour initier ce message. Ce professeur refusait les phrases debutants par "On dit que […]" en se moquant "Ha bon ? C'est une rumeur ?", ce qui montre en quelque sorte le rejet des definitions dogmatiques. A savoir qu'il donnait assez rarement les noms des theoremes qu'il enseignait (ceux portant un nom de mathematiciens, pas ceux du type theoreme spectral, theoreme ergodique, etc.), sauf quelques tres importants et les nomme par rapport a l'idee qu'ils representent. C'est ainsi que j'ai appris 3 ans plus tard le nom du Théorème de Radon-Nikodym alors que j'en connaissais le contenu, l'utilisation et les demonstrations. ↩
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Notons
$m_1$ et$m_2$ respectivement la masse de la Terre et du Soleil. On rappelle que la force de gravitation attractive qui s'applique a un objet de masse$M_1$ par un objet de masse$M_2$ eloigne d'une distance$d$ s'exprime par$F = G\frac{M_1 M_2}{d^2}$ avec$G$ constante (modulo une notation vectorielle correcte). On peut deduire la position de la terre par rapport a son acceleration par simple double-integration. Un petit PFD sur la Terre nous donne$m_1 a = \text{Somme des forces}$ , avec$a$ acceleration de la terre, c'est a dire en l'occurrence uniquement la force de gravitation:$m_1 a = G\frac{m_1 m_2}{d^2}$ . On voit bien que$m_1$ , la masse de la Terre, se simplifie. ↩