Quand la musique fait vendre

Initiation au marketing auditif

L'influence de la musique sur les consommateurs fascine les responsables marketing : en effet, la musique est créatrice d’émotions, d'images et d'univers, elle influence donc les capacités cognitives, affectives et comportementales de la personne qui l'écoute. Elle crée une atmosphère et donne ainsi une âme aux objets, aux évènements et aux lieux.
La puissance du marketing sonore a été découverte très tôt, étant donné que Monoprix a commencé à utiliser de la musique sur ses points de vente dès les années 1930. Depuis, le marketing sonore a été exploité selon différentes optiques, chacune potentiellement très productive : plusieurs études ont affirmé qu'une bonne utilisation de la musique augmentait le chiffre d'affaires de 17 à 20% 1 .

Nous allons donc voir les possibilités qu'offre la musique aux responsables marketing et, puisqu'il y en a beaucoup, nous tâcherons d'avoir une approche globale. Il s'agit donc d'un article d’initiation, sans prérequis :) .


  1. « Impact de la communication sonore et des messages magasin : croissance forte de ventes (15 à 20% du chiffre d'affaires) » Alain Goudey In: Marketing sonore et marketing sensoriel en magasin, 2012, diapo 25. « Lorsque la musique est adaptée selon les caractéristiques sociodémographiques de la population cible, le temps passé en magasin et les achats augmenteraient respectivement de 18 % et de 17 % » Mylène Rajotte. In: Le marketing sensoriel. 4ème trimestre 2010. Les cinq sens - 2. p. 9. 

Marketing auditif dans le magasin

L'utilisation de bandes sonores sur les points de vente est un moyen qui a fait ses preuves : la musique influence les gestes du consommateur et ses déplacements. Dans ce cas-là, la musique fait plus que de donner une âme aux produits : elle manipule le consommateur, lui fait perdre la notion du temps et lui indique des articles à acheter.

Dans les grandes surfaces, la musique est mise en sourdine, pour que les clients ne se sentent pas agressés dès leur entrée. Souvent, on ne remarque pas du tout la musique de fond, ou alors on suppose que les morceaux proviennent de la radio.
En réalité, il n'en est rien. Des sociétés comme Mood Media transmettent en temps réel des playlists qui sont ensuite diffusées dans les magasins. Les playlists sont compilées par des DJ qui choisissent les morceaux exprimant la tendance générale des produits : la musique diffère donc selon le rayon. On associe par exemple l’électro aux vêtements modernes, la musique classique au linge de maison, la musique zen aux produits sanitaires et ainsi de suite.
Les musiques diffusées varient selon l'heure et même le jour (musique différente le lundi, le samedi, etc.), non seulement en fonction de l'affluence, mais aussi afin d'inciter les consommateurs à adopter un certain comportement : tranquillité ou consommation effrénée.
Voici la description de l'évolution volume sonore d'une journée type : l'intensité de la musique est initialement très faible, pour ne pas brusquer le client, puis augmente augmente peu à peu, pour retomber à midi. Durant l'après-midi, la musique s'intensifie à nouveau, jusqu’au milieu de l'après-midi, moment de la journée où l'afflux – et donc le chiffre d'affaires - est maximal. Bien sûr, la musique diffusée est plus forte les jours d'affluence.

Comme on l'a déjà vu, l'intensité de la musique, son genre et son rythme influencent le consommateur. En effet, ce dernier prend inconsciemment l'habitude de calquer ses mouvements sur les rythmes de la musique. Par conséquent, en déterminant le type de musique diffusé, on détermine les gestes des consommateurs : tandis que la musique calme pousse à la flânerie, la musique énergique incite à une consommation frénétique.
Par exemple, la chaîne de restaurant Hippopotamus utilise une musique énergique pour accroître la rapidité de la mastication et augmenter ainsi la consommation. Plusieurs études ont été réalisées pour montrer l'efficacité de la musique sur les consommateurs. En voici deux qui concernent respectivement le type de musique diffusé et l'intensité des chansons.

Études et expériences marketing

Quelle musique diffuser dans les magasins ?

Expérience de C. Areni et de D. Kim (1993)

Cette étude a été réalisée aux États-Unis, dans la section « Vins » d'un magasin. Dans un premier temps, de la musique classique a été diffusée, puis, dans un second temps, elle a été remplacée par une musique Top 40. Pendant les deux périodes, on a noté le nombre de bouteilles examinées, le nombre de bouteilles prises en main, le nombre de bouteilles achetées, le montant moyen déboursé par client et le temps passé en minutes. Il s'agit donc d'une étude détaillée qui étudie scrupuleusement chaque action, ce qui permet de bien saisir la différence, même si l'on peut déplorer l'absence de toute expérience-témoin (c'est-à-dire sans musique) :

Comportements étudiés (par client) Musique classique Musique Top 40
Nombre moyen de bouteilles examinées 3,93 3,85
Nombre moyen de bouteilles prises en main 1,36 0,97
Nombre moyen de bouteilles achetées 0,12 0,07
Montant moyen déboursé (en dollars américains) 7,43 2,17
Temps passé en moyenne dans le rayon (en min) 11,01 8,97

On remarque donc que la musique classique a été largement plus efficace que la musique de style Top 40. C'est compréhensible. En effet, le vin est meilleur lorsqu'il est vieux : c'est donc un produit fortement lié à la notion d'authenticité et d'ancienneté. La musique classique est beaucoup plus adaptée à cette sorte de produits.
Le choix du style de musique est donc prépondérant, puisque non seulement il influence les mouvements du client, mais il pousse aussi à la consommation si le style est adapté. Mais à quelle intensité diffuser cette musique ? C'est la question que se sont posés Guéguen et Jacob.

À quelle intensité diffuser une musique ?

Expérience de N. Guéguen et de C. Jacob

Cette fois-ci, l'étude a été réalisée en 2002 dans un bar français, en zone rurale, avec une clientèle assez jeune. On étudie la consommation du groupe d'individus, en fonction du sexe des consommateurs et de l'intensité de la musique (pop-rock). La seule donnée fournie par cette étude a été la quantité globale consommée :

Comportement et catégorie étudiée Intensité élevée Intensité modérée Faible intensité
Consommation moyenne dans un groupe de 10 hommes (en verres) 5,8 3,9 4,1
Consommation moyenne dans un groupe de 10 femmes (en verres) 4,4 2,5 2,4

On remarque tout d'abord que la consommation a été plus faible chez les femmes et que les réactions aux changements d'intensité ont différé selon le sexe.
Chez les hommes comme chez les femmes, la consommation augmente lorsque le volume augmente ; pourtant la réaction face à la diminution du volume n'est pas la même. L'influence de la musique divergerait donc selon le sexe de la clientèle : c'est pour cela qu'il faut adapter l'intensité sonore en fonction du public visé. Les résultats de cette étude sont à utiliser avec prudence, étant donné que l’échantillon considéré est assez réduit.

Bon, c'est sympa tout ça, mais ce n'est utile que lorsque le consommateur rentre dans le magasin. Comment l'influencer en dehors du magasin ?

Bonne remarque ! C'est vrai que conquérir le consommateur en dehors du magasin est beaucoup plus compliqué. Heureusement (ou pas), la publicité s'en charge et elle utilise énormément le marketing auditif. C'est ce que nous allons voir précisément.

Marketing auditif en dehors des points de vente

Ici, la stratégie change insensiblement : la finalité est toujours la même (la consommation), mais elle est plus difficile à atteindre. Il faut donc marquer les esprits, se faire connaître durablement par un slogan, un jingle, une voix particulière dans les publicités, à la télévision, dans la rue, ou par téléphone.

Tout d'abord, les publicités. Bien que tous les sens soient stimulés au maximum durant les pauses publicitaires, l'ouïe l'est particulièrement. Pour empêcher que les publicités ne soient trop intrusives, le niveau sonore a été limité au « niveau sonore moyen du reste du programme » 1 .
Mais ne vous inquiétez pas, les agences publicitaires ont trouvé le moyen de contourner cette interdiction. En effet, l'oreille humaine perçoit les sons de fréquences différentes à des intensités différentes : il y a donc des sons perçus plus facilement que d'autres par l'oreille humaine. Un diagramme a été réalisé pour déterminer à quelle intensité les sons étaient perçus à une fréquence donnée. Il s'agit du diagramme de Fletcher et Munson (connu aussi sous le nom de courbes isosoniques) :

Diagramme de Fletcher et Munson, par A7N8X (CC-BY-SA)

Les publicitaires utilisent donc des sons plus facilement perceptibles par l'oreille humaine, pour être marquants au maximum2 . Ils utilisent par ailleurs des jingles marquants pour que, même en ne regardant plus la publicité, notre cerveau le ressasse machinalement. Tout est donc fait pour pénétrer profondément la vie du futur client.

Mais la publicité n'est pas le seul terrain de jeu pour les responsables marketing : influencer par communications téléphoniques n'est pas un enjeu moindre. En effet, une partie non négligeable des échanges commerciaux se fait par téléphone. Prenons l'exemple des jingles d'attente : plus le temps d'attente est long, mieux le morceau joué est retenu. Après, il faut bien sûr trouver un juste milieu : si le temps d'attente est trop long, le client garde une image négative de l'entreprise. On peut élargir ce que l'on vient de dire à la publicité radio, qui est aussi un très bon outil.

Quelques exemples :
- Le jingle du S.A.V. Orange, une mélodie bien connue (de bons souvenirs, n'est-ce pas ? ;) ) ;
- Dans le film Intouchables, lorsque Driss entend les Quatre saisons de Vivaldi, il s'exclame : « Je la connais celle-là, mais si si… tout le monde la connaît ! C’est “Bonjour, bienvenue aux Assedic de Paris toutes nos lignes sont actuellement occupées… le temps d’attente est d’environ 2 ans !” » ;
- La firme Leclerc utilise toujours la même voix pour ses offres.

Sur le web grandissant, cette technique commence à être utilisée : des fonds sonores illustrent certains sites. Encore une fois, la musique ne doit pas être intrusive, cela provoquerait un effet désagréable sur le visiteur : c'est ce qu'on pourrait appeler le Syndrome de l'autoplay. Depuis quelque temps, pour continuer à séduire l'internaute par des musiques sans le déranger, une nouvelle pratique est apparue : identifier l'internaute pour lui proposer des musiques qu'il préfèrerait.
Par exemple, des sites offrant des prestations de relaxation et de détentes utilisent une musique zen pour l'inciter à participer à une cure de relaxation : Ban Sabai Royal Spa en est une illustration.

Pour finir

Cet article touche maintenant à sa fin : nous avons dressé un portrait général de ce qu'est le marketing sonore et ce qu'il fait. Malgré leurs apparences ridicules, les stratégies sonores ont une efficacité redoutable, elle-même décuplée lorsqu'elle est combinée avec d'autres techniques de marketing.
Savoir tout cela est une très bonne chose mais, même avertis, nous sommes toujours vulnérables face aux techniques de marketing. Pour compléter ce tableau et faire que nous soyons plus avertis, je ferai peut-être d'autres articles sur le marketing (olfactif, neuro-marketing, etc.).

Aller plus loin

Internet regorge d'articles sur le sujet :

  • Voici une fiche synthétique, qui traite aussi de l'identité du produit à travers le son qu'il produit (Harley Davidson, etc.) ;
  • Bien sûr, l'éternel Wikipédia, qui parle plus généralement du marketing sensoriel ;
  • Enfin, une infographie intéressante, qui rend aussi compte des effets sur les employés du magasin.

Remerciements

  • Un grand merci à Vayel et à Arius pour leurs relectures avisées ;
  • Merci à Vecteezy, dont les réalisations m'ont aidé à faire l'icône de cet article ;
  • Merci plus généralement à toute la communauté de Zeste de Savoir, notamment à son staff.

27 commentaires

Je viens de tomber sur ceci dans un livre de statistiques et ça m’a fait penser à cet article.

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(la source de l’article cité : https://www.researchgate.net/publication/284217240_Effects_of_Music_in_Advertising_Three_Experiments_Replicating_Single-Exposure_Musical_Conditioning_of_Consumer_Choice_Gorn_1982_in_an_Individual_Setting )

+2 -0

Je viens de repenser à cet article en lisant une revue qui évoque une étude de 2023 nommée Understanding how music influences Shopping on Weekdays and Weekends. Cette étude montre que diffuser de la musique durant la semaine augmente les vente de 11% mais n’a pas cet effet le weekend, pire les auteurs de l’étude évoquent même un risque de perte de volume de vente dans ce second cas.

Leur hypothèse pour expliquer ce phénomène c’est que la semaine nous sommes plus fatigués lorque nous faisons nos course et donc notre « énergie mentale » (guillemets de citation) serait plus basse, nous amenant à faire nos achats sur un mode plus émotionnel que le weekend où nous sommes plus reposés et concentré sur l’acte d’achat et sa rationalité.

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