L’interview du jour est celle de Blackline, l’un de nos chimistes émérites.
Bienvenue Blackline !
- Pour commencer, parle-nous un peu de toi. Qui es-tu, que fais-tu ?
- Quels autres trucs, par exemple ?
- Que retiens-tu de ces années « horizontales » ?
- Peux-tu nous parler de ton métier ? Existe-t-il une journée type ?
- Qu'est-ce que tu aimes avec la chimie ?
- Un conseil à donner à ceux qui voudraient faire les mêmes études que toi ?
- Le mot de la fin ?
Pour commencer, parle-nous un peu de toi. Qui es-tu, que fais-tu ?
Une très bonne question, j’ai peur qu’en fait je ne puisse pas y répondre simplement. Peut-être puis-je citer ce que les gens diraient de moi ?
- Chimiste
Réponse claire et courte. En fait définir quelqu’un par sa passion c’est selon moi assez censé (même si ça reste incomplet).
Bon comment on obtient une telle réponse ?
Sur Zeste de Savoir par exemple, c’est sur le forum science que je traîne le plus et ce sont aux questions de chimie que j’aime répondre. Bien qu’il m’arrive aussi très souvent de questionner le forum ci et là.
Un aspect qui n’est pas précisé avec le simple mot "chimiste", c’est que j’aime beaucoup la création, sûrement ce côté "from scratch" qui m’attire dans la chimie organique d’ailleurs.
Mais aussi dans la composition musicale ou encore l’ébénisterie. C’est à partir de planches de bois qu’on arrive à faire des meubles. Comme c’est à partir, finalement, de peu de notes que l’on forme l’entièreté des musiques.
Je pense que pour créer il faut être curieux, ne pas s’arrêter à un problème de débutant et savoir avancer continuellement sans relâche. Et je dirais qu’avancer demande des efforts, sans motivation les efforts à fournir sont plus grands, donc la tâche devient plus fatigante que satisfaisante.
C’est généralement ce qu’on observe dans beaucoup de bulletins scolaires :
- Il y a de meilleures notes là où l’on aime la discipline
- Il y a de plus mauvaises notes là où l’on apprécie moins la discipline
D’accord, mais niveau études cela donne quoi ?
Maintenant, ce sont des idées que j’ai dans la tête. Si je devais formaliser un peu mieux pour que vous puissiez suivre ce que j’ai fait, et ce que je fais, il vous faut un plan. Bon je suis assez cartésien et j’aime présenter les choses graphiquement alors voici un tableau qui devrait résumer mon parcours un peu atypique :
Section générale | Section PRO. | Ligne droite | Faculté | Années | |
---|---|---|---|---|---|
M1PA | 2018/2019 | ||||
L3 PC | 2017/2018 | ||||
DUT | L2 PC | 2015/2017 | |||
DUT | 2014/2015 | ||||
STL | 2013/2014 | ||||
EB | BPCO | STL | 2010/2013 | ||
ISI/ISP | EB | 2008/2010 |
- ISI/ISP : Initiation aux sciences de l’ingénieurs, Informatique et systèmes de productions
- EB : Ebenisterie (CAP)
- CO : Commerce (Bac Pro)
- STL : Science et Techniques de Laboratoires
- DUT : DUT chimie option chimie analytique et de synthèse
- PC : Licence de Physique-Chimie (anciennement "Maths-Physique-Chimie")
- PA : Préparation à l’agrégation de chimie
N.B. J’ai plus parcouru l’éducation nationale à l’horizontale qu’à la verticale.
Alors ce parcours explique pourquoi j’ai plusieurs casquettes. J’suis un peu touche-à-tout, ça m’empêche de me canaliser mais avec le temps ça s’améliore, le plus important quand on fait trop de choses c’est de s’organiser.
J’étais le genre de type à pouvoir rater son BAC parce qu’il avait oublié la date. Alors l’organisation n’est pas mon fort.
Pour la faire courte : j’suis un jeune homme de 24 ans, qui aime la méthode scientifique et la pédagogie. Mais je fais un tas d’autres trucs. Et dans l’avenir j’aimerais passer l’agrégation de chimie.
Quels autres trucs, par exemple ?
Ce que j’aime étudier ou bien ce à quoi je touche :
- Botanique
- Chant
- Chimie organique
- Cosmétologie
- Do It Yourself
- Ébénisterie
- Électronique
- Graphisme 2D
- Guitare
- Impression 3D
- Musculation
- Neuroscience
- Pédagogie
- Pharmacochimie
Quelques projets sur le long terme :
- Scénariste/Graphiste pour un projet de jeux vidéo. Dans le genre science-fiction comme Half-Life, Portal, Deus-Ex.
- Compositeur pour un album de Punk-Rock / Skate-Punk avec des inspirations autour de : Green Day, Rancid, The Rabble, Lagwagon.
Que retiens-tu de ces années « horizontales » ?
Durant ces années j’ai eu le temps de rencontrer beaucoup de monde et ça m’en a fait plus savoir sur moi même et sur mes objectifs. Mais ça ne valait pas le coup. La question qu’on me pose plus fréquemment c’est plutôt :
Si c’était à refaire, le referais-tu ?
Ma réponse est non, là tel quel, je dirais que je me forcerais à suivre le trajet le plus court pour en finir avec tout ça et donc ne pas passer par les détours.
L’un des seuls aspects positifs c’est qu’ainsi certaines personnes ne me croient pas… Du coup à l’occasion je me marre bien en présentant mon cursus !
Un jour j’ai rencontré quelqu’un qui par pur hasard a effleuré des thèmes tels que l’électronique, l’ébénisterie, la pharmacochimie et la pédagogie dans la même après-midi et à chaque fois je rebondissais sur ce qu’il racontait pour corriger certaines imprécisions. (Oui aussi du coup j’passe pour un mec lourd )
Pour résumer : ces 10 années de secondaire ça m’a un peu rendu marteau. Vous voyez d’une filière à l’autre mes cours d’anglais était les mêmes par exemple, donc évidement pas spécifiquement adapté à une progression… mais en plus : ça aliène un peu. Si j’avais passé une ou deux années sabbatiques, je n’aurais pas vécu ces années de lycée tel que je les ai vécues. Chacune d’entre-elles validées…
Peux-tu nous parler de ton métier ? Existe-t-il une journée type ?
Alors le métier que j’ai endossé récemment c’est technicien chimiste, mais j’en ai fait d’autres. J’ai du coup été ébéniste, vendeur, médiateur, professeur particulier…
Le chimiste
J’ai pu en parler dans mon billet qui traite tout de ce qu’on peut voir autour de la chimie. J’y traite du quotidien d’un chimiste organicien, le pôle que j’affectionne.
Dans ces périodes je dessine beaucoup les étapes de synthèse pour avoir une idée structurée et propre dans ma tête. J’essaye aussi d’organiser mes idées pédagogiquement pour que les prochains qui me liront aient le maximum de facilité pour se plonger dans ce que j’ai fait (rapport de stage, cahier de laboratoire, compte-rendu…). Enfin aussi cette pédagogie me sert à re-comprendre des aspects que j’ai compris il y a un temps et que j’ai eu le temps d’oublier .
Notamment nous tenons ce qu’on appelle un cahier de laboratoire (mon premier cahier de laboratoire c’était en STL, donc au lycée). Ce cahier doit rester sur place au laboratoire et contiendra tout ce qu’on y fait et ce qu’on observe.
Géraldine à encore parler de son ex hier. Elle grignote beaucoup ces derniers temps. Tom quant à lui…
Non, non pas ça. Ce qu’on observe à propos de nos réactions, l’ordre dans lequel nous ajoutons nos réactifs et bien plus encore… Nous essayons de créer, grâce à cela une méthode où une répétabilité et une fiabilité permettent la vérification des résultats.
C’est ce que je trouve le plus intéressant : pendant une période de ma vie j’ai travaillé sur des projets de molécules et si quelqu’un dans ce laboratoire, un jour, doit continuer ce projet et bien il aura en quelque sorte mon coup de main, mon point de vue, mon rapport qui l’aidera à se plonger dans le travail.
Cela offre une belle micro-pérennité, "micro" car ce n’est pas accessible à tous, "micro" car il faut que ce soit dans le laboratoire où j’ai travaillé, précisément, "micro" parce qu’il faut que le sujet soit repris par le labo (beaucoup de projets étant abandonnés année après année…). C’est tout l’inverse qu’offre la pérennité d’une publication scientifique : que tout le monde peut consulter (moyennant finance).
L’étudiant
C’est peut-être enfin le moment de parler de ce que je fais réellement tous les jours. Je suis assis sur une chaise à écouter des cours magistraux. Souvent ceux des classes supérieures n+1 par rapport à ma promotion. J’essaye de garder une longueur d’avance sur ce que je dois savoir…
Je n’aime pas être pris au dépourvu quand je m’ennuie je préfère prendre les devants ! Dans le sens où lorsqu’on a une année "relax" généralement l’année d’après est plus dure pour cause de ce relâchement voire du manque d’acquis dû à la superficialité de l’année antérieure. Alors dans ce cas-là j’aime prendre de l’avance.
Mais surtout en tant qu’étudiant je m’ennuie et je pense que c’est ce sentiment qui me donne envie d’enseigner. J’ai envie de donner de meilleures aspirations aux élèves que j’aurai, être meilleur professeur que certains que j’ai eus. C’est surement prétentieux, mais n’avons-nous pas gouté à un système scolaire où les professeurs étaient souvent (>50%) des personnes peu passionnantes ?
Le musicien
Durant ces deux dernières années j’ai écrit les paroles et les deux guitares d’une quinzaine de chansons. Bah vu que je m’ennuyais en cours, j’ai essayé de m’occuper. Je suis donc en cours de constitution de mon groupe de musique.
J’essaye aussi de m’enregistrer/filmer histoire d’avoir des maquettes à proposer. Mais je ne sais pas pourquoi je n’y arrive pas, la qualité du son me semble pourrie après l’édition alors que j’ai un vrai microphone (Zoom H4N).
Tout ça pour dire que je n’ai pas vraiment de choses à présenter ici… peut-être dans de prochains billets musicaux !
Je dispose de 5 guitares, dont les plus intéressantes sont :
Respectivement deux épiphones, Les Paul Black Beauty et une Les Paul Special II TV Yellow . J’adore ces guitares… Ne me jugez pas parce que je leur ai donné des petits noms
Le proto-enseignant
Très récemment j’ai pu enseigner dans mon ancien lycée aux élèves qui me succèdent dans la filière . Cette aventure était très intéressante d’autant que les professeurs m’avez volontairement fait confiance pour le contenue, la forme et le maintien du cours.
Certain étaient surpris que je doive réaliser ma séquence en solo, mais c’est parce que le cours que j’avais envie de leur faire s’inscrivez dans une problématique du cycle terminal. En effet un gros manque de vocabulaire et de rigueur scientifique se fait ressentir entre les enseignements de la 1e et de la Ter. Ce lycée je le connais, j’y retourne tout les ans (portes ouvertes, diverses interventions au sein des équipes…) donc je savais très bien quoi faire pour essayer de leur donner une dernière chance avant les vacances scolaires pour rattraper le retard potentiellement accumulé.
J’ai donc passé mes semaines à rédiger des diaporamas ergonomiques avec des animations vectorielles. J’ai mis en place des exercices régulièrement dans mes séances et je m’inspirais de ces exercices pour le test de fin de séance que j’avais concocté. Histoire de forcer leur attention sur le cours et les exercices, le test avait pour but de valider ce que je leur avais demandé.
Finalement j’ai su anticiper pas mal de leur questionnement. Et bien qu’un rythme un peu différent puisse se ressentir entre différentes classes, les questions restent étrangement très similaires. En bref ce n’est pas l’enseignement qui m’a surpris.
Mais alors du coté évaluation, ça c’était vraiment pas ce à quoi je m’attendais. Premièrement, j’étais content de voir beaucoup d’élèves réussir à mes tests, et d’autres rendre l’équivalent d’une copie blanche. Ce qui ne m’a pas surpris c’est que ces élèves avaient bien sûr attiré mon attention en étant distraits ou inattentifs. Mais de là à ne pas rendre quelque chose de cohérent, ça m’as surpris.
Durant les séances je m’efforçais de voir chaque groupe d’élève et de demander si la résolution était en route, s’ils avaient besoin d’un coup de main.
Est-ce que quelqu’un a vraiment rien compris à l’exercice ?
À cette question, rares étaient les courageux à lever la main. Généralement une ou deux mains levée ce qui me permettait de choisir la personne la plus en retrait durant le cours, pour l’amener au tableau avec moi à résoudre le problème (pour être sûr qu’elle ne se fasse pas piéger lors du test). Ça n’a pas manqué, ceux qui sont allés au tableau ont toujours eu de meilleurs résultats !
Donc les élèves inattentifs, ne se manifestent pas. Par honte, par timidité ou encore par politesse car ils considèrent ne rien avoir à faire avec le cours ? Je ne sais pas, mais c’est ça qui rend l’apprentissage difficile. Si nous n’avions pas besoin de nous exercer et d’explications personnalisées, des vidéos youtube nous permettraient d’avoir le BAC.
Enfin, le vrai point surprenant, c’est que j’ai eu le malheur de demander à ce que le cours soit compris pour la fois d’après, car les sciences sont cumulatives (point que j’ai grandement souligné). Et cela n’a été fait que par les élèves les plus intuitifs (qui n’ont pas révisé, mais qui participaient). Sinon pour les autres, c’était un beau bordel.
Mon tuteur m’avait prévenu : Sur une journée t’avances d’un pas, lors de la nuit ils reculent au moins de deux !
Ils s’en sont tout de même sortis avec de belles notes, plein de modèles physico-chimique imageant la réalité. De nouveau concept à solidifier début septembre. À mon avis ils vont avoir un peu plus de chance que les précédentes promotions, pour mieux réussir leur année de terminale. Disons que j’ai au moins essayé de donner le cours que j’aurais aimé avoir quand j’étais à leur place.
Qu'est-ce que tu aimes avec la chimie ?
Je pense que ça me permet de mieux comprendre ce qui nous entoure et ça enlève une angoisse, l’angoisse d’un mystère pesant :
Comment ça marche ça ?
Je ne me souviens pas avoir ennuyé mes parents avec des mais intérieurement ces questions se posaient. Un jour j’suis tombé sur beaucoup de réponses à mes questions et ce jour là c’est quand j’ai commencé à comprendre ce dont la chimie parlait. Elle élucidait à elle seule beaucoup d’interrogations que j’avais, de près ou de loin. J’étais dans ma deuxième année de lycée. J’en avais déjà fait de la chimie mais je n’avais pas compris correctement des tenants et aboutissants de la discipline.
Comment lorsque l’on apprend une nouvelle langue, il est rare de savoir dire "ornithorynque", par contre "nique ta mère" ça, on le sait !
Le mot platypus la première fois où je l’ai lu :
Et c’est comme ça que j’en suis arrivé à étudier les savons et les arômes. Ah non pardon, les explosifs, feux d’artifice, les drogues, les poisons/armes chimiques et finalement les sciences forensiques. Ouais j’espère que les renseignements intérieurs n’ont pas trop jeté de coups d’œil à mes habitudes de navigation !
C’est un peu la porte la plus intéressante par laquelle on rentre dans la chimie. C’est d’abord ça qui m’a intéressé. Maintenant depuis ma spécialisation ce que j’aime surtout c’est la confection des molécules, les méthodes élégantes de synthèses totales.
Un conseil à donner à ceux qui voudraient faire les mêmes études que toi ?
Oui, un seul :
Ne faites pas les mêmes études quoi.
C’est aussi simple que ça . Personne ne voudrait faire ça, perdre des années dans ce foutoir éducatif. Du moins, moi ça m’a rendu partiellement fou de réussir 6 années consécutives sans avancer. D’une filière à l’autre vous saviez que les cours d’anglais ne variaient quasiment pas et qu’en substance j’ai fait 6 années identiques à ce niveau-là ? Ouais et bah j’ai pas bien digéré le principe.
Néanmoins pour devenir chimiste ou professeur je conseille mes derniers choix. Je pense qu’il est important d’avoir beaucoup manipulé quand on veut être dans le monde des sciences et sincèrement dans la filière française STL et DUT on y a le droit. Avec un total de 5 mois de stage en laboratoire de recherche, un nombre incalculable d’heures de travaux pratiques je me sens plus légitime à enseigner ce métier que si j’avais fais un parcours entièrement "faculté".
Mais chacun à ses propres visions des choses à ce niveau-là. Il est vrai aussi que les enseignants n’ont pas tous pour vocation d'enseigner un métier mais plutôt de faire apprendre des leçons.
Le mot de la fin ?
Je suis en Alsace et l’une des particularités de l’accents Alsaciens est de substituer les en . Mon professeur de chimie organique à l’IUT, alsacien si l’en est, nous a un jour parlé du :
Butanal sera donc le mot de la fin.
Merci à Blackline de s’être prêté au jeu.