La vraie thérapie génique

Une avancée médicale majeure

Avec l’arrivée des vaccins à ARN, une frange non négligeable de la population craint qu’il ne s’agisse de thérapie génique et refuse donc l’injection. Dans cet article, je ne compte pas vous prouver que ce n’est pas le cas et que l’ARN contenu dans le vaccin ne peut pas modifier le génome1, j’aimerais plutôt vous parler de ce qu’est la thérapie génique.

En effet, dans la bouche des anti-vaccins, ça semble être le mal absolu. Est-ce vraiment le cas ? Et si la thérapie génique était au contraire un espoir formidable pour des millions de patients atteints de maladies génétiques ?


  1. Pour être tout à fait exact, ce n’est pas strictement impossible, mais c’est tellement improbable que même si on l’injectait à 1 million de fois la population mondiale, la probabilité pour qu’une seule personne voit son ADN altéré à cause du vaccin est infime. Et on ne parle même pas de la probabilité pour que cette modification ait une conséquence.

La myopathie de Duchenne

Des maladies génétiques, il en existe des milliers. Dans les plus connues et qui condamnent à relativement brève échéance (quelques années à quelques dizaines d’années), on peut citer la mucoviscidose ou encore la maladie de Huntington (N°13 dans Dr House pour ceux qui connaissent ;) ).

J’ai choisi de vous parler de la myopathie de Duchenne. Il s’agit d’une maladie neuromusculaire.

Les différents types de maladies neuromusculaires

Les maladies neuromusculaires sont - comme leur nom l’indique - des maladies des muscles ou bien de la partie du système nerveux chargée de générer ou de transmettre l’information motrice.

Schématiquement, la voie motrice contient les structures suivantes :

  • les aires motrices primaires, situées dans la partie postérieure du lobe frontal du cerveau. C’est de là que naît le mouvement. Une atteinte de cette zone empêchera tout ou partie des muscles de fonctionner correctement. C’est ce que l’on appelle une neuropathie centrale (c’est un terme générique, il existe beaucoup de maladies dans cette catégorie).
  • les fibres nerveuses motrices (ou motoneurones) partent des aires motrices primaires, font un relai au sein du tronc cérébral (qui est situé dans la partie basse du crâne qui fait le lien entre le cerveau et la moelle épinière) puis descendent le long de la moelle épinière dans sa partie antérieure. L’ensemble (ou presque) de ces fibres forme le faisceau pyramidal. Une atteinte de ce faisceau (le plus souvent traumatique, suite à un accident de la circulation par exemple) donne une également neuropathie centrale (parce que la moelle épinière fait partie du système nerveux central au même titre que le cerveau et le tronc cérébral).
  • Au niveau de chaque vertèbre, la moelle épinière va donner des nerfs qui vont aller innerver les muscles. Par exemple, au niveau des dernières vertèbres cervicales (situées à la base du cou) vont naître plusieurs nerfs qui sont chargés d’innerver les muscles des bras. Une maladie touchant un nerf s’appelle une neuropathie périphérique (parce que les nerfs font partie du système nerveux périphérique).
  • Le nerf arrive au niveau du muscle qu’il innerve et le contact entre les deux se fait par le biais d’une zone qui s’appelle la jonction neuromusculaire. Son rôle : transmettre l’information nerveuse jusque dans les fibres musculaires. Les maladies de la jonction neuromusculaire sont appelées des myasthénies.
  • Enfin, les maladies du muscle lui-même sont appelées des myopathies.

La myopathie de Duchenne

Parmi les myopathies, la myopathie de Duchenne est la plus grave. Elle touche un gène qui code pour une protéine appelée la dystrophine (c’est pour cela qu’on l’appelle aussi la dystrophie de Duchenne1). Les mutations sont si graves que la protéine n’est pas du tout exprimée.

Dans le cas où les mutations sont moins importantes et que la protéine existe quand même mais sous une forme tronquée, on parle de myopathie de Becker, une maladie moins grave que la myopathie de Duchenne.

Le gène de la dystrophine est porté par le chromosome X (un des deux chromosomes sexuels). Les hommes ne possédant qu’un seul chromosome X, si la mutation est présente ils sont forcément atteints. Les femmes possédant deux chromosomes X, il faut que les deux soient atteints pour qu’elles aient la maladie (ce qui est rarissime) ; elles sont le plus souvent porteuses saines. Cette position particulière du gène explique pourquoi les enfants touchés sont en immense majorité des garçons.

La dystrophine est une protéine qui joue un rôle majeur dans le maintien de l’intégrité musculaire. Son absence conduit à une destruction progressive du tissu musculaire par nécrose.

Les enfants atteints de myopathie de Duchenne manifestent des troubles de la marche dès 2–3 ans (le diagnostic est souvent posé à cet âge-là, l’enfant présentant des difficultés à se relever), doivent se déplacer avec un fauteuil roulant à partir de 10–12 ans. Ils deviennent ensuite tétraplégiques au cours de l’adolescence puis décèdent vers 25 ans d’une insuffisance respiratoire provoquée par une atteinte des muscles de la respiration.

Illustration d'un enfant atteint de la myopathie de Duchenne (wikipedia)
Illustration d’un enfant atteint de la myopathie de Duchenne (wikipedia)

Cette chronologie est une évolution sans traitement, aujourd’hui de nouvelles thérapeutiques permettent d’allonger voire de quasiment doubler l’espérance de vie des patients et - à terme, en tout cas on l’espère - de les guérir complètement.


  1. Pour être parfaitement exact, une myopathie est une maladie qui touche les protéines contractiles du muscle, c’est-à-dire celles qui lui permettent de réduire sa longueur et donc d’initier un mouvement. En revanche, la structure du muscle en lui-même est intacte. Dans une dystrophie, les protéines contractiles sont parfaitement fonctionnelles : c’est la structure qui est altérée, entraînant une dysfonction du muscle puis des nécroses. Stricto sensu la myopathie de Duchenne est donc une dystrophie, mais en pratique on fait assez peu la distinction.

Modifier le génome

Le fonctionnement du génome

On en a tous entendu parler au collège de manière plus ou moins approfondie, mais une piqûre de rappel ne fait jamais de mal.

Notre corps est constitué de milliards de cellules qui forment des organes. Ces cellules fonctionnent grâce à de très grosses molécules que l’on appelle des protéines. Les protéines sont au cœur du fonctionnement des cellules et y sont extrêmement polyvalentes : elles permettent de synthétiser l’énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule, de communiquer au sein d’une même cellule ou avec d’autres cellules, elles font office de récepteur pour les hormones qui transitent par le sang, etc. Bref, il existe une quantité faramineuse de protéines différentes : elles ont des rôles innombrables et sont donc absolument indispensables au bon fonctionnement des cellules.

À titre d'exemple, voici une protéine qui porte le doux nom de CYP2D6. C'est une protéine du foie qui a de très nombreux rôles parmi lesquels transformer la codéine (un antidouleur) en morphine (wikipedia).
À titre d’exemple, voici une protéine qui porte le doux nom de CYP2D6. C’est une protéine du foie qui a de très nombreux rôles parmi lesquels transformer la codéine (un antidouleur) en morphine (wikipedia).

Toutes ces protéines sont conçues à partir de briques de bases que l’on appelle les acides aminés et qui, mis bout à bout dans un certain ordre, permettent de former une protéine particulière avec un rôle particulier. Cependant, mettez un acide aminé au mauvais endroit et tout l’édifice peut s’écrouler : la protéine sera instable ou n’aura pas le rôle escompté.

Pour éviter cela, il est nécessaire d’avoir un plan précis pour construire les protéines. Ce plan, c’est le génome.

Au centre de chaque cellule (enfin pas toujours au centre et pas dans toutes les cellules, mais la plupart du temps !), il existe un compartiment particulier qui s’appelle le noyau. Dans le noyau se situent 23 paires de chromosomes : 22 paires de chromosomes dits autosomes et 1 paire de chromosomes sexuels (XY si vous êtes un homme, XX si vous êtes une femme).

Les chromosomes d'un homme (car XY). La technique permettant d'aboutir à ce résultat s'appelle un caryotype (wikipedia).
Les chromosomes d’un homme (car XY). La technique permettant d’aboutir à ce résultat s’appelle un caryotype (wikipedia).

Pour être tout à fait précis, à l’état normal, l’information génétique n’est pas aussi bien structurée. Elle se présente plutôt sous la forme d’un gros sac de nœuds que l’on appelle la chromatine. Il n’y a qu’au moment de se diviser qu’une cellule fait l’effort de mettre son génome sous la forme de chromosomes puis les coupe en deux au niveau du centre (ou centromère) afin d’en envoyer une moitié (ou chromatide) dans chacune des cellules filles.

Ces chromosomes sont chacun formés d’une très longue molécule qui s’appelle l'ADN (pour Acide Désoxyribonucléique). L’ADN a une forme en hélice double brins caractéristique.

La structure de l'ADN (wikipedia)
La structure de l’ADN (wikipedia)
Structure de l’ADN

L’ADN est composé de deux brins qui s’entremêlent pour former cette structure en double hélice dont nous avons déjà parlé. Les brins sont composés de sucres (ou oses) et de phosphates, d’où l’appellation « colonne sucre-phosphate » sur le schéma. Cette double hélice constitue, en quelque sorte, le squelette de l’ADN mais l’information génétique en elle-même est située au centre. Elle est portée par ce que l’on appelle des nucléotides. Il en existe 4 types : l’adénine, la guanine, le thymine et la cytosine (il y en a également un cinquième : l’uracile, spécifique à l’ARN, il y remplace la thymine qui n’existe que dans l’ADN).

La nucléotide est une partie d’une structure un peu grande que l’on appelle la base azotée. Une base azotée comprend un nucléotide plus la portion de la double hélice qui lui est liée. Les bases azotées vont toujours par deux : une portée par un brin et l’autre portée par le brin qui lui fait face. Ces deux bases sont liées entre elles au milieu. La structure formée par deux bases azotées l’une face à l’autre est appelée paire de bases. La longueur des gènes est mesurée en paires de bases (ou bp en anglais pour bases pairs).

L’ADN contient des gènes. Certains gènes sont des plans de construction d’une protéine. Ces gènes sont appelés gênes codants pour des protéines1.

Des protéines (oui, encore : elles sont partout !), que l’on appelle les ARN polymérases, scannent le génome et quand elles repèrent un gène codant pour une protéine, elles vont synthétiser une version de ce gène sous forme d'ARN (Acide Ribonucléique) qui n’est constitué cette fois-ci que d’un simple brin. Il existe plusieurs types d’ARN qui ont des fonctions différentes, celui qui porte l’information génétique en dehors du noyau est appelé ARN messager ou ARNm. Cette étape s’appelle la transcription.

L’ARN sort ensuite du noyau direction une région précise de la cellule qui s’appelle le ribosome. Ici, l’ARN va être lu et à partir des informations qu’il contient, le ribosome va synthétiser une protéine. Cette étape s’appelle la traduction.

Synthèse d'une protéine
Synthèse d’une protéine

Comme on l’a vu un peu plus haut, l’ADN est formé d’une chaîne sans fin de quatre nucléotides : la guanine, la cytosine, la thymine et l'adénosine (GCTA). Ces quatre nucléotides constituent les briques de base de l’ADN, un peu comme 0 et 1 le sont pour l’informatique. Trois nucléotides mis ensemble forment un codon (exemple : GAG, GCA, TAG, etc.) - l’équivalent informatique serait un octet. À chaque codon correspond un acide aminé (il existe également un codon stop qui permet de signifier au ribosome que la protéine se termine ici). En associant les acides aminés en fonction des codons rencontrés, on parvient à reconstituer la protéine.

Vous pouvez aller voir la liste complète des codons et de leurs acides aminés associés sur Wikipedia, si vous le souhaitez. Notez que, la conversion se faisant depuis l’ARN et non l’ADN, le quatrième nucléotide est l’uracile (noté U) qui remplace la thymine de l’ADN.

Tout ceci est une mécanique bien huilée, mais il peut arriver pour des raisons diverses et variées que le génome subisse une modification au niveau d’un gène, que l’on appelle une mutation génétique. Il en existe plusieurs types différents, plus ou moins embêtantes. Certaines n’ont pas d’impact, d’autres vont déformer une protéine la rendant moins efficace, d’autres encore sont si graves que la protéine formée est dans l’incapacité totale de remplir son rôle et peut se dégrader.

Mais comment guérir une maladie quand c’est l’ADN lui-même qui est corrompu ? Eh bien tout « simplement » (entre guillemets car ça n’a absolument rien de simple), en modifiant l’ADN : c’est ce que l’on appelle les thérapies géniques.

Accéder au génome

Le premier problème et pas des moindres, c’est d’accéder au génome. En effet, celui-ci est dans un noyau qui lui-même est dans une cellule. La cellule et le noyau sont tous les deux constitués d’une membrane qui est spécifiquement conçue pour ne pas être facilement franchissable (surtout celle du noyau) et ne laisser passer que certains éléments très précis.

Il existe cependant des organismes spécialistes pour ce qui est de pénétrer à l’intérieur des cellules : les virus. Un virus est micro-organisme constitué d’un peu de matériel génétique et de quelques protéines virales à l’intérieur d’une enveloppe (ou capside). Contrairement à une bactérie, le virus n’est pas capable de se répliquer par lui-même : il va envahir une cellule, y déverser son matériel génétique et pirater le système de synthèse protéique de la cellule pour qu’au lieu de produire des protéines cellulaires, elle se mette à produire des protéines virales en série. Les protéines se regroupent, des capsides se forment autour et voilà de nouveaux exemplaires de notre virus prêts à aller infecter d’autres cellules.

Il existe une très grande diversité de systèmes de réplication virale : la plupart des virus se contentent de déverser leur matériel génétique dans le ribosome qui va aussitôt produire des protéines virales. Mais certains virus plus complexes sont capables d’injecter leur matériel génétique dans le noyau d’une cellule, celui-ci s’intègre au génome de la cellule puis suit le cycle classique de synthèse de protéine (transduction en ARN messager puis traduction en protéine dans le ribosome).

C’est le mode de fonctionnement de certains virus de la famille des lentivirus (famille à laquelle appartient le tristement célèbre VIH qui donne le SIDA). Ce sont donc souvent ces lentivirus rendus inoffensifs que l’on utilise en tant que vecteurs viraux pour injecter le matériel génétique qui nous intéresse au cœur des cellules (mais ce ne sont pas les seuls vecteurs viraux).

Les ciseaux moléculaires

Bon, on sait comment atteindre le génome. Le problème c’est que les lentivirus que l’on utilise ce sont des bourrins : à l’état naturel ils prennent leur matériel génétique et l’insèrent un peu n’importe où dans le génome cible. Pour nous qui souhaitons au contraire réparer un gène bien précis, ce n’est guère intéressant. Il faut trouver un moyen de cibler la modification.

Ce moyen s’appelle CRISPR-Cas9 (« crispeure-casse-naïne »). CRISPR-Cas9 est une protéine qui nous vient d’une bactérie (Streptococcus pyogenes si vous voulez tout savoir) et qui est capable de couper le génome à un endroit très précis. CRISPR-Cas9 utilise un guide ARN qui lui permet de savoir où couper (elle coupe la séquence ADN correspondant au guide ARN). Il suffit donc de modifier le guide pour que CRISPR-Cas9 puisse couper où l’on veut dans le génome.

CRISPR-Cas9 a été découverte par une chercheuse française, Emmanuelle Charpentier, en collaboration avec une chercheuse américaine, Jennifer Doudna. Cette découverte leur a octroyé le prix Nobel de chimie en 2020.

CRISPR-Cas9 est une découverte révolutionnaire, probablement l’une des plus importantes du 21e siècle. Avant ça, les outils d’édition de génome étaient beaucoup moins efficaces, beaucoup moins précis (et donc beaucoup plus risqués) et surtout, beaucoup plus chers. En effet, jusque là, à chaque fois que l’on voulait couper le génome à un endroit précis, on était obligés de modifier la protéine utilisée (ce qui est relativement complexe et coûteux). Avec CRISPR-Cas9, il suffit de modifier le guide ARN.

Une fois l’ADN coupé, il est réparé. Pour cela il existe plusieurs techniques. L’une d’elle permet de réparer l’ADN en recollant simplement l’extrémité avant la séquence supprimée avec l’extrémité d’après (c’est ce qu’on appelle la jonction d’extrémités non homologues). Cette technique permet de retirer un gène. Une autre technique permet de remplacer la séquence coupée par une séquence fournie (et cela se nomme la recombinaison homologue).

La découverte de CRISPR-Cas9, aussi prometteuse soit-elle, est encore très récente. Il n’existe pour le moment que peu de thérapies géniques au stade de l’essai clinique qui l’utilisent : beaucoup d’autres techniques peuvent être employées.

Quels espoirs pour la myopathie de Duchenne ?

Tous les espoirs sont permis, y compris celui - à terme - de guérir cette maladie. Mais pour l’heure, nous n’y sommes pas encore : la recherche médicale avance, mais elle avance lentement.

Il existe globalement trois types de traitements complémentaires pour la myopathie de Duchenne :

  • permettre aux cellules musculaires de produire de la dystrophine. Il existe pour cela plusieurs techniques, l’une d’elles est la thérapie génique.
  • régénérer les muscles grâce à des cellules souches qui sont ensuite capables de former des fibres musculaires saines.
  • traiter les symptômes annexes (fibrose qui devient nécrose, inflammation…) pour limiter les conséquences liées à la destruction de la protéine.

La thérapie génique

L’un des médicaments qui fait le plus parler de lui ces derniers temps (car l’essai international a démarré en avril 2021) est développé par la société Généthon et sobrement baptise GNT-004.

L’idée c’est d’insérer dans l’organisme le code génétique d’une version fonctionnelle de la dystrophine permettant à la cellule d’en produire. Problème : le gène qui code pour la dystrophine est immense (2,3 millions de paires de bases). En raison de sa taille, il est pour le moment impossible d’insérer la séquence correcte en entier2.

Pour contourner cette difficulté, on utilise une protéine qui s’appelle la micro-dystrophine : c’est une version de la dystrophine beaucoup plus petite mais à peu près fonctionnelle. C’est en observant les différentes formes de la dystrophie de Becker (la version allégée de la dystrophie de Duchenne, dans laquelle la dystrophine est seulement altérée et non pas absente) que les chercheurs ont réussi à déterminer quelles étaient les séquences de la protéine indispensables à son fonctionnement et devaient former la micro-dystrophine.

Ce médicament utilise un vecteur viral qui est un adénovirus modifié. En revanche, il ne fait pas appel à la technologie CRISPR-Cas9 : l’approche est différente et consiste à entourer l’ADN délivré d’une séquence particulière que l’on appelle un promoteur et qui permet d’ordonner à la cellule de fabriquer la protéine associée au code génétique.

Le premier patient concerné par cet essai clinique est un français qui a reçu l’injection à l’hôpital Trousseau à Paris, courant avril 2021. Il est bien entendu encore beaucoup trop tôt pour s’avancer sur une quelconque efficacité, il faudra pour cela attendre la publication des résultats.

Il existe d’autres molécules avec le même principe qui en sont à des stades d’avancement à peu près similaires.

Le saut d’exon

Le saut d’exon est une autre technique qui n’est stricto sensu pas une technique de thérapie génique mais plutôt de modification de l’expression du gène : le code génétique de la protéine ne change pas, mais on va changer la façon dont la cellule le comprend et l’interprète.

Les médicaments qui exploitent cette technique agissent au niveau de l’ARN messager qui est synthétisé à partir du gène codant pour la dystrophine (DMD). DMD est composé de plusieurs séquences que l’on appelle des exons. Le principe du saut d’exon est d’injecter un ARN qui va interagir avec l'ARNm et faire en sorte que lors de la synthèse protéique, l’exon dysfonctionnel soit sauté, donnant ainsi une protéine plus courte mais fonctionnelle (un peu comme la micro-dystrophine).

À l’heure actuelle, il existe des essais cliniques prometteurs. Un médicament utilisant cette approche, l'Eteplirsen, est actuellement en essai (il vise l’exon 51 de la protéine). En phase II il a montré un effet de détérioration moins important de la fonction respiratoire, mais malgré ça, les résultats restent encore trop modestes pour conclure à un effet significatif.

Et CRISPR-Cas9 dans tout ça ?

Tous les thérapeutiques d’édition génomique ne font pas usage de CRISPR-Cas9 et de façon plus générale, toutes les techniques de thérapie génique ne font pas forcément appel à l’édition génomique. (GNT-004 dont nous avons parlé un peu plus haut par exemple est une thérapie génique mais avec une autre approche.)

Toutefois, étant donné les promesses associées à cette nouvelle technologie, il est légitime de se demander s’il existe des recherches concernant la myopathie de Duchenne dans ce champ. Et c’est le cas ! CRISPR-Cas9 étant très récente, les essais sont encore en phase préclinique (sur des modèles cellulaires puis animaliers), mais les résultats sont impressionnants : on parle de guérisons partielles.


  1. Il existe toute une partie du génome ne codant pas pour des protéines. En effet, la partie des gènes qui codent pour des protéines est d’environ 2% de la totalité du génome et elle est appelé exome. Le reste du génome a des rôles complexes et pas encore tous élucidés.
  2. En réalité, sur les 2,3 millions de paires de bases, seules 11 000 codent réellement pour la protéine (le reste à d’autres rôles). Mais même 11 000 c’est beaucoup trop gros pour être inséré en entier.

Les thérapies géniques sont des techniques permettant de modifier le génome avec toutes les utilisations problématiques que l’on peut imaginer étant donné que le génome définit en grande partie qui l’on est. C’est pour cela qu’il est évidemment nécessaire que cette technologie soit accompagnée d’un débat éthique et d’une règlementation stricte.

Mais à l’heure actuelle, bien avant d’être une menace sur laquelle il faut garder un œil, les thérapies géniques sont surtout un espoir formidable pour des millions de patients atteints de maladies génétiques incurables.

Un grand merci à @Arius pour la validation !

Sources

GNT-004

Eteplirsen

CRISPR-Cas9

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8 commentaires

Merci pour ce chouette article !

Est-ce que tu sais s’il y a d’autres applications prévues à court terme ?

Peut-on, à ton avis, prévoir d’utiliser cette technologie pour prévenir des maladies avant la naissance pour une meilleure efficacité (plutôt qu’après, quand le corps est plus développé) ? Ou ce serait peut-être trop risqué ?

Merci pour ton retour. :)

Est-ce que tu sais s’il y a d’autres applications prévues à court terme ?

Court terme est assez relatif en médecine puisque qu’on est obligés de procéder avec d’infinies précautions, mais oui, la thérapie génique a énormément d’applications potentielles.

Au début, on l’envisageait surtout pour les maladies dites monogéniques, c’est-à-dire les maladies qui ne sont dues qu’à la mutation d’un seul gêne. Parmi celles-ci, les plus simples à soigner sont les mutations d’homogénéité allélique : un seul gène est responsable de la maladie et d’un malade à un autre, c’est toujours le même gêne avec la même mutation. L’exemple le plus classique étant celui de la drépanocytose, une maladie dans laquelle le gène qui code pour l’hémoglobine est touché. En quelques mots, l’hémoglobine est une protéine contenue dans les globules rouges qui leur permet de transporter l’oxygène. La mutation induite par la drépanocytose change la structure de l’hémoglobine qui altère la structure même du globule rouge et conduit à sa destruction prématurée (un globule rouge normal vit environ 120 jours) et donc à une anémie (c’est comme ça qu’on appelle le manque de globule rouges).

Sur ce type de pathologies, la thérapie génique donne de très bons résultats. Maintenant, ces dernières années, la thérapie génique a commencé à être utilisée pour les maladies monogéniques (donc dues à la mutation d’un seul gêne, toujours) mais à type d'hétérogénéité allélique, c’est-à-dire qu’une même maladie n’est provoqué que par la mutation d’un gène mais que d’un patient à un autre, cette mutation n’est pas la même. C’est l’exemple typique de la mucoviscidose (le gêne touché est toujours le même, mais il en existe plusieurs mutations). Cette fois-ci, il n’est pas toujours possible d’utiliser le même médicament pour tous les patients : il est nécessaire de personnaliser la thérapie pour chaque mutation différente et là CRISPR a de sérieux arguments face à ses concurrents (outre sa très grande fiabilité) : il n’est pas nécessaire de modifier la protéine elle-même, mais seulement l’ARN guide ce qui rend les changements beaucoup moins chers. La recherche étant entre autres limitée par son coût (exorbitant), c’est une excellente nouvelle pour toutes les maladies de ce type.

Et puis parce que l’édition avec CRISPR est vraiment un pas de géant dans la thérapie génique, on a même pu commencer à cibler des maladies multigéniques, c’est-à-dire dont l’apparition est conditionnée à plusieurs mutations voire même à plusieurs facteurs (c’est-à-dire qui sont dues aux gènes et à l’environnement, des maladies multifactorielles). Dans ces maladies extrêmement complexes, le modèle simple qui vaut pour les maladies monogéniques (qu’on appelle le modèle Mendelien et qui permet de déterminer comment ces maladies se transmettent entre les générations) n’est plus valide, on doit inventer d’autres modèles beaucoup plus compliqués. En résumé, on définit des seuils génétiques et des expositions à risque qui permettent de considérer que tel ou tel patient, au vu de l’histoire génétique de sa famille et de son mode de vie est à risque ou non de développer telle ou telle maladie. Contrairement aux maladies monogéniques où le diagnostic est génétique (on séquence le génome et on voit la mutation donc on conclue à la maladie), ici le diagnostic est clinique : on observe les symptômes (rapportés par le patient, observés par le clinicien et détectés par les examens de biologie ou d’imagerie) et on diagnostique la maladie. La recherche génétique ne survient que dans un second temps (et elle n’est pas systématique, ça dépend des maladies : certaines sont très bien stabilisées avec des médicaments simples donc on ne pousse pas plus loin, sauf à des fins de recherche).

Ces maladies il en existe énormément : hypertension artérielle (ou HTA), la plupart des maladies psychiatriques (schizophrénie, troubles bipolaires, dépression probablement) mais le groupe dans lequel la thérapie génique est la plus active, ce sont les cancers.

Les cancers sont aussi des maladies génétiques, puisqu’outre les facteurs de risques connus (tabac, alcool…) certaines mutations génétiques sont bien connues pour favoriser l’apparition de cancers (et c’est pour ça qu’on s’intéresse toujours aux antécédents familiaux). Il existe de très (très) nombreux gènes concernés, mais c’est notamment le cas de ce qu’on appelle les gènes suppresseurs de tumeurs : des gènes qui permettent de réguler la reproduction cellulaire (une tumeur étant une prolifération non contrôlée de cellules). Lorsque ces gènes acquièrent certaines mutations, ils ne fonctionnent plus correctement et la personne est à risque de cancer. (Il existe également des oncogènes qui ont l’effet inverse : ils favorisent la reproduction cellulaire.)

Aujourd’hui, la majorité des essais de thérapie génique concernent le cancer. C’est d’ailleurs le cas d’une thérapie baptisée CAR T Cells qui est un espoir incroyable pour certains patients atteints de leucémies (cancer du sang) ou de lymphomes (cancer des lymphatiques) : on récupère leurs lymphocytes, on leur fait subir des mutations génétiques en laboratoire (grâce à diverses approches parmi lesquelles CRISPR est très bien représentée) pour les éduquer à combattre les cellules mutées et on les réinjecte au patient.

Dans les recherches un peu plus exotiques (mais tout aussi intéressantes), certains tentent de modifier d’autres espèces pour les rendre moins nocives pour l’homme (exemple : des moustiques qui deviendraient résistants au paludisme).

Peut-on, à ton avis, prévoir d’utiliser cette technologie pour prévenir des maladies avant la naissance pour une meilleure efficacité (plutôt qu’après, quand le corps est plus développé) ? Ou ce serait peut-être trop risqué ?

C’est une possibilité et cela se fait chez des embryons fécondés in vitro (sinon, le médicament pourrait toucher la mère) puis si la mutation fonctionne et que l’embryon est stable, il est inséré dans la mère porteuse (qui peut ou non être la donneuse d’ovocytes). Toutefois, ça cumule la thérapie génique et l’expérience sur les embryons, donc ça pose un énorme souci éthique (l’idée étant d’éviter un scénario à la Bienvenue à Gattaca pour ceux qui connaissent). Il n’y a, à ma connaissance, que la Chine qui poursuive des expériences dans le domaine (et même là-bas c’est super mal vu : un chercheur a été au cœur d’une polémique en 2018 pour avoir donné naissance à deux jumelles génétiquement modifiées pendant la phase embryonnaire afin de les protéger du VIH).

Actuellement en France, chez des parents atteints d’une maladie génétique et à risque de la transmettre à leur enfant, l’approche est toute autre : des gamètes mâles et femelles sont prélevés chez les parents puis la fécondation de l’ovocyte est faite in vitro. À la phase précoce du développement de l’embryon, quelques cellules sont prélevées (sans conséquence pour son développement) et leur génome est analysé pour déterminer les embryons sains. Finalement, un certain nombre d’embryons sains sont implantés dans la mère porteuse et on espère le développement d’un fœtus (l’implantation n’est malheureusement pas toujours réussie, ce qui explique pourquoi on implante toujours plusieurs embryons en même temps, ce qui peut donner parfois des grossesses gémellaires voire multiples).

Bon, j’ai écrit beaucoup plus que ce que je pensais au départ, mais je trouve le sujet passionnant. 😅

J’espère avoir correctement répondu à tes questions. :)

+1 -0

Tu sais s’ils arrivent à estimer le temps nécessaire pour évaluer l’efficacité d’un traitement ? Ça dépend peut-être de chaque cas/patient ?

Je dirais que ça dépend plutôt de la maladie et de son évolution dans le temps. Contrairement au nombre de patient nécessaire à l’étude que l’on est capable de calculer pour s’assurer un minimum de puissance statistique, le temps de suivi est plutôt un genre de norme empirique qui dépend du type de maladie étudiée et qui se rapproche finalement du suivi médical nécessaire pour la maladie en question.

Si on prend l’exemple d’une maladie comme la grippe, classiquement un patient va chez son médecin qui lui donne du doliprane. Il peut éventuellement y retourner une semaine plus tard si ça ne va pas mieux mais on ne voit jamais de patient retourner chez leur médecin six mois plus tard pour la même grippe parce que la maladie a disparu (… ou l’a tué). Du coup, si je développe un nouvel antiviral contre la grippe, ça n’aurait pas de sens de suivre les patients pendant des années et des années, un ou deux mois me suffiront.

Pour un cancer a contrario, le suivi médical se fait en années (un indicateur classique est le taux de survie à 5 ans voire à 2 ans pour les cancers les plus agressifs). Et même après qu’un patient soit déclaré en rémission, pour certains d’entre eux il continue à y avoir un suivi (parfois à vie) pour dépister les récidives.

Dans une étude médicale toutefois, il n’est pas possible de suivre un patient toute sa vie si elle dure des dizaines d’années après son cancer (ce qu’on lui souhaite !) parce que c’est beaucoup trop compliqué de maintenir une étude sur un temps aussi long. On définit donc généralement un temps de suivi à l’avance (souvent autour de 5 ans) et les événements qui se produisent après ce temps de suivi sont dits censurés, c’est-à-dire qu’on n’en tient pas compte dans les statistiques.

+1 -0

Elle est portée par ce que l’on appelle des nucléotides. Il en existe 4 types : l’adénine, la guanine, le thymine et la cytosine (il y en a également un cinquième : l’uracile, spécifique à l’ARN, il y remplace la thymine qui n’existe que dans l’ADN).

C’est inexacte, car un nucléotide contient un base azotée. Le nucléotide est donc formé de :

  • Un phosphate lié à
  • un ose lié à
  • une base azotée

Il y a je pense une confusion entre base azotée et nucléotide ici :)


Comme on l’a vu un peu plus haut, l’ADN est formé d’une chaîne sans fin de quatre nucléotides : la guanine, la cytosine, la thymine et l’adénosine (GCTA).

Si si, il y a bien une fin, qu’on appelle le télomère…

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Il y a je pense une confusion entre base azotée et nucléotide ici

En effet, j’ai inversé les deux, merci pour ta vigilance, je vais corriger. :)

Si si, il y a bien une fin, qu’on appelle le télomère…

Ce n’est qu’une simple figure de style pour le coup, il est bien évident qu’une molécule infinie ça n’existe pas. ;)

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Je m’auto-up, mais dans la nuit est paru un article incroyable : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2120238

En quelques mots, comme vous le savez sans doute, le manque d’organe est un immense problème pour les gens en attente d’une transplantation. La xénotransplantation (transplantation d’une espèce à une autre) a déjà été tentée mais ne fonctionne pas parce que les autres espèces ont des antigènes particuliers reconnus par notre système immunitaire qui les attaque. Ici, on parle de cochons génétiquement modifiés par CRISPR-Cas9 ce qui a permis de supprimer les principaux antigènes et ainsi de transplanter leurs reins dans des humains.

Alors il y a évidemment tout un débat éthique à avoir autour de la condition animale, mais voilà quand même une avancée médicale assez incroyable due à CRISPR ! :)

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Bonjour,

Merci Ekron pour cet incroyable article, je souffre d’une dystrophie musculaire très invalidante avec beaucoup d’épuisement (celle très fréquente chez nos cousins québecois), pour ma part je suis très sceptique sur le fait qu’un jour (tout du moins de mon vivant) il y aura un véritable traitement à ma dystrophie, mais vu que c’est une maladie à expansion de triplets comme celle de Steinert un peu plus fréquentes en France, alors d’après ce que j’ai pu en lire, si la recherche trouvait un traitement à une de ces maladies, alors les autres bénéficieraient aussi de cette avancée pour qu’un traitement soit mis en œuvre rapidement en fonction du type du gène répété, mais peut-être que j’ai lu de travers.

J’avais tenté sans grand espoir de réponse de contacter un généticien québecois par courriel afin de savoir s’il y avait au Québec une solution moins lourde que des patchs transdermiques de fent_anyl pour soulager la douleur continue des gens, j’ai été agréablement surpris qu’il m’ait répondu, bon hélas, pour le traitement de la douleur, on est toujours aussi nul peu importe le pays et la maladie, et il m’a également indiqué qu’au Québec le nombre de répétition du gène PABPN1 en très très grande majorité était à 13, alors que la mienne est à 17 et qu’il n’avait pas d’expérience avec une plus grande répétition de ce gène, c’est quand même là, qu’on se dit, purée, c’est quand même bien la merde et que c’est pas pour rien que cela fait des décennies que la recherche patine.

Même si aujourd’hui il y a eu des avancées sur la mucoviscidose et qu’un traitement a été trouvé, et ça c’est génial !

Bon c’est certain que s’il y avait beaucoup plus de gens atteints et de fric à se faire, les grands groupes de labos pharmaceutiques investiraient plus dans la recherche au lieu d’engraisser des actionnaires déjà plus que fortunés… Au lieu de demander l’obole des gens chaque année avec le téléthon… Je me demande ce qu’on aurait pu faire avec 1 milliard et demi d’euros au lieu de les donner à Sanofi… Désolé de ce coup de gueule hors sujet.

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