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Chronique de médecine : c'est aigu ou c'est grave ?

Juste un petit point de vocabulaire

En acoustique, on définit notamment un son par sa fréquence, c’est-à-dire le nombre de vibrations par seconde qui constituent ce son. Plus la fréquence d’un son est élevée, plus le son est dit « aigu ». Plus elle basse, plus le son est dit « grave ».

Là où cette terminologie peut semer la confusion, c’est quand on commence à s’intéresser au vocabulaire médical. En effet, on entend souvent parler de « blessés graves » mais aussi de maladies « aiguës » (par exemple, une « distension post-prandiale de l’abdomen aiguë »1). Peut-on dire que « plus c’est aigu, plus c’est grave » ? Tentons donc d’éclaircir un peu cela.

En médecine, les termes « aigu » et « grave » font en fait référence à deux choses bien distinctes : la temporalité et la gravité. Lorsqu’un problème est récent (l’appréciation du caractère récent étant variable), on dit qu’il est aigu. Quand il s’installe dans la durée ou qu’il est déjà présent depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois, on commence à parler de problème chronique. Vous êtes maintenant en mesure d’apprécier le superbe jeu de mots dans le titre de ce billet !

Ainsi, ne paniquez pas si l’on vous dit que vous avez une maladie aiguë, ça ne veut pas forcément dire que c’est… grave ! Oui, cette fois-ci, c’est plus intuitif, le mot « grave » désigne généralement un problème médical qui affecte le pronostic vital de la personne concernée, c’est-à-dire qui affecte son espérance de vie à court terme. Son opposé, pour désigner un problème pour lequel il n’y a pas d’urgence vitale, est « bénin ».

Pour résumer2 :

  • une maladie est aiguë et grave si sa survenue est récente et qu’elle met en jeu la vie de la victime (exemple : une méningite) ;
  • elle est aiguë et bénigne si elle est récente mais sans urgence vitale (exemple : un rhume, ou rhinopharyngite pour les intimes) ;
  • elle est chronique et grave si elle est installée depuis longtemps et qu’elle menace la vie de la victime (exemple : la mucoviscidose3 ou la plupart des cancers) ;
  • elle est chronique et bénigne si elle est installée depuis longtemps mais qu’elle ne menace pas la vie de la victime (exemple : un bouton de fièvre).

  1. C’est-à-dire des crampes d’estomac, si l’on en croit le docteur McCoy dans Star Trek : Retour sur Terre.

  2. Les maladies citées ne le sont qu’à titre d’exemple, dans leurs manifestations les plus courantes. Ne les prenez surtout pas pour des vérités absolues.

  3. C’est une maladie génétique qui provoque notamment des difficultés respiratoires, et qui réduit l’espérance de vie de plusieurs dizaines d’années.



22 commentaires

Très bien d’avoir fait ce billet ! Je me souviens avoir parcouru ces définitions quand j’étais plus jeune. Je ne comprenais pas pourquoi Aiguë et Grave n’était pas antonyme en médecine.

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Merci pour vos retours ! :)

Chronique et bénigne, le paludisme qui est très bien soigné en occident.

Phigger

Oui voilà, en occident. Malheureusement, ça dépend beaucoup du lieu où l’on se trouve. :-°

Tu me dira, à raison, que c’est pareil pour toutes les maladies. C’est bien moins grave d’avoir un cancer en occident qu’au fin fond de l’Afrique.

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Très intéressant, merci beaucoup !

Détail amusant : en cas de tumeur, on parle également de bénignité pour juger de la nature non cancéreuse d’une tumeur (comme un kyste), une tumeur cancéreuse est dite maligne. Et comme il existe des tumeurs cancéreuses qui ne sont pas graves, on peut très bien avoir des tumeurs malignes dont le niveau de gravité est bénin mais on ne peut pas dire tumeur maligne bénigne (parce que ça semble se contredire). ^^
(Le vocabulaire médical, quel beau bordel. :D )

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(Le vocabulaire médical, quel beau bordel. :D )

Ekron

Ahah, en effet. Et même quand étymologiquement logique, la pronnonciation est souvent incertaine. Je me souviens encore de l’acétylcholinestérase (cc @Blackline). :D

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J’avais adoré faire cet article avec toi @Rezemika, quand tu veux on s’refait une saloperie neurotoxique lol (j’espère que rien ne sera d’actualité en revanche !)

Blackline

Pareil, on remet ça quand tu veux. Dans l’actualité récente, je pense à un gaz irritant, mais bon… :-°

@Goleand-croquant tu m’as tué1. :D


  1. En plus, un des derniers livres que j’ai lu, c’était Pierre Bourdieu qui parlait de la télévision. ^^

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Du coup on peut dire d’une allergie que c’est une affection chronique et bénigne ou alors ça ne rentre pas dans le cadre des maladies ?

Eskimon

Hum, c’est une très bonne question ! Une allergie est, selon Wikipédia, « un phénomène d’exagération pathologique de la réponse immunitaire », mais une allergie peut apparaitre à n’importe quel âge, donc ce n’est a priori pas totalement déterministe. Mais je ne saurais en dire plus. @Ekron, saurais-tu nous éclairer ? :)

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Excellente question !

Une allergie est bien une maladie. Il s’agit d’une réaction d’inflammation (en gros, le système immunitaire s’emballe) suite à un contact avec un élément que le système immunitaire identifie (à tort) comme nuisible, un allergène.

Il existe deux types différents d’allergies :

  • les allergies accidentelles qui peuvent se produire n’importe quand et pour n’importe qui (typiquement l’allergie à certains médicaments) et dont on ne connaît pas l’origine de façon certaine. Ces allergies sont aigües parce qu’une fois les symptômes disparus c’est un peu comme si la maladie avait disparu avec.
  • les allergies atopiques, l’atopie étant une prédisposition génétique au développement d’allergies chez un individu. C’est la plus fréquente et nous allons en parler plus en détail.

L’allergie atopique est une maladie extrêmement complexe parce qu’elle implique des facteurs à la fois génétiques et à la fois environnementaux. L’allergie en elle-même est une maladie chronique puisqu’elle est généralement présente à vie mais elle ne se manifeste pas tant qu’il n’y a pas de contact avec un agent allergène. Quand il y a à la fois atopie et exposition à des allergènes, se manifeste alors une crise aigüe allergique (qui est donc aigüe) avec des symptômes pouvant aller de la simple rhinite allergique (le nez qui coule) jusqu’au choc anaphylactique ou même l’œdème de Quincke.

Le souci étant que les crises aigües à force d’être répétées peuvent entraîner des lésions chroniques au niveau des organes qui sont la cible des crises (généralement le nez, les yeux ou la peau).

Voilà ! :)

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Si je me trompe pas on associe aussi les intolérance aux allergie à tort. Car je ne crois pas que le Nickel soit un Allergène (puisque ce n’est pas un fragment de protéine ??? à voir) pourtant certain se disent allergique aux bijoux en nickel.

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Attention, tout allergène n’est pas nécessairement de nature protéique. L’allergie se manifeste lors de la reconnaissance de l’antigène par un anticorps de type IgE, qui ne peut être produit que si il y a reconnaissance d’un antigène de nature protéique au moment de la maturation des anticorps c’est vrai. Mais ce qui se passe est qu’un allergène peut s’associer à une protéine non allergène (donc y compris des protéines du soi) et c’est l’ensemble allergène:protéine qui est alors reconnu par le système immunitaire, donc les lymphocytes B sont autorisés à produire des anticorps IgE anti allergène:protéine. Parmi ces anticorps, certains sont capables de reconnaître l’allergène sans même qu’il ne soit associé aux protéines —> allergies aux pénicillines, au latex etc.

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J’ai regardé pubmed rapidement pour trouver confirmation et oui : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4783936/ (ça devient vite assez ardu mais les schémas donnent une idée).

Ils n’ont pas l’air de dire quelles protéines du corps lient le nickel mais dans l’absolu rien de surprenant, on en trouve de nombreuses qui peuvent lier des ions métalliques.

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Merci @Goeland-Croquant ! ça pète :) Parce que justement j’comprenais pas.

Mais je tiens à repréciser alors mes dires sur l’intolérance, il y a aussi celle au lactose, et certains se disent, allergiques au lait. Hors c’est juste un problème de digestion (manque de lactase). Et là hein ? C’est pas une histoire d’allergène ?

Pareil, on peut être allergique au Gluten ? Pourquoi les signes ne sont pas les mêmes qu’avec les autres allergies ? (Les symptomes d’une allergie étant tous lié à ceux de l’histamine)

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Alors #réponseEnTempsEtEnHeures mais j’avais besoin de rentrer chez moi me replonger dans mes livres d’immuno pour l’intolérance au gluten.

Pour l’intolérance au lactose, oui c’est un manque d’activité enzymatique soit parce que la lactase n’est pas fonctionnelle soit parce qu’elle n’est plus produite, donc l’accumulation de lactose dans l’intestin mène à de la fermentation libérant beaucoup de gaz d’où une gêne pour les flaatulences mais aussi pour les crampes que ça peut engendrer. Pour les cas plus graves ça peut mener à des nausées ou des diarrhées où là c’est plus problématique mais autrement pas de réactions immunitaires donc globalement bénin.

Pour le gluten et son intolérance (la maladie cœliaque) : ce n’est pas non plus une allergie mais c’est une réaction immunitaire grave en présence de gluten. Il y a des prédispositions génétiques favorisant l’émergence de la maladie, qui est une maladie chronique. Chez les patients, la présence de gluten entraîne la présentation de peptides dérivés du gluten sur les cellules intestinales, reconnus par les T cytotoxiques et ça entraîne leur élimination, d’où une perte de l’intégrité de l’intestin et tous les problèmes qui s’en suivent. Pour le coup ce n’est certes pas une allergie mais les symptômes sont très handicapants aussi donc à la limite l’abus de langage se comprend.

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Ça dépasse encore mes compétences, mais je serais curieux de connaître la différence entre l’intolérance au gluten qui est - d’après ce que j’ai compris de ton propos - une réaction immunitaire avec des prédispositions génétiques et une allergie qui me semble être tout à fait la même chose.

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Oui j’étais resté vague pour éviter de partir dans tous les sens dans ma réponse puisqu’on commençait à dériver du sujet mais pas de soucis ! Alors effectivement quand je disais réaction immunitaire je voulais dire réaction immunitaire plutôt classique de type élimination de virus (sinon effectivement ça ne veut pas dire grand chose) par une réponse immunitaire adaptative classique, sauf que les cibles sont des cellules saines et l’élimination des cellules se fait à grande échelle.

La réaction allergique est une réaction immunitaire spécifique qui ne passent pas par des réponses de T cytotoxique mais par d’autres cellules qui libèrent, entre autres l’histamine dont parlait Blackline, et des protéases qui dégradent les tissus alentours. La réponse est particulièrement adaptée lors d’une infection par un organisme type parasite mais délétère lorsqu’elle est dirigée contre des molécules inoffensives puisque les tissus qui subissent les dégâts sont les tissus de l’organisme. C’est bien la libération de protéase et de l’histamine qui est spécifique à la réaction allergique (avec les symptômes d’éternuements, etc.) et qui mènent aux lésions qui s’accumulent au fur et à mesure des réactions allergiques.

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