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L'industrie électronique en Corée du Sud

Partie 1 : 1948 - 1976

Samsung, LG ou SK Hynix, ces noms vous disent probablement quelque chose. Ce sont en effet des entreprises du domaine des semi-conducteurs qui sont localisées en Corée du Sud. Après une petite histoire de l’industrie des semi-conducteurs à Taïwan, je vous propose un nouveau tour d’horizon en Corée du Sud cette fois-ci.

Cette première partie va se concentrer sur les balbutiements de l’industrie électronique la seconde partie se focalisant un peu plus sur l’industrie des semiconducteurs à partir des années 80.

Fin de la guerre et premier plan économique (1948 - 1966)

Contexte historique

Annexée par le Japon au début du XXe siècle, la péninsule de Corée est libérée à la fin de la Second Guerre Mondiale. Si les Coréens souhaitent leur indépendance, Américains et Soviétiques préfèrent une administration temporaire de la Corée, au Nord par les Soviétiques et au Sud par les Américains.

Ces divergences et l’affrontement des deux blocs mène à la Guerre de Corée entre 1950 et 1953 et se termine par une armistice et la partition de la péninsule entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. La guerre détruisit l’essentiel des infrastructures, notamment au Nord, et fit plusieurs millions de morts civils. C’est donc deux pays totalement détruits et meurtris qui sortent de ce conflit.

Premier président du gouvernement provisoire de la République de Corée en exil en Chine (1919–1925), pendant l’occupation japonaise, Syngman Rhee est élu président de la République de Corée en 1948 et est soutenu par les Etats-Unis. Il exerce son pouvoir de manière autoritaire et modifie plusieurs fois la constitution pour rester au pouvoir. Il est déchu en avril 1960 suite à une révolution populaire mais cette dernière sera de courte durée. En effet un coup d’état le 16 mai 1961 porte au pouvoir Park Chung-hee qui instaure une dictature de 1961 à 1979.

Syngman Rhee et Park Chung-hee (portraits officiels)
Syngman Rhee et Park Chung-hee (portraits officiels)

Contexte économique

Après la guerre, la priorité est de reconstruire le pays, ce qui sera fait avec l’aide massive des Etats-Unis. Mais malgré cette aide, un retard est pris dans l’essor des PME et de l’industrie lourde. L’économie se focalise autour de trois produits principaux : sucre, farine et coton. C’est donc une stratégie économique visant à limiter les importations qui se met en marche. C’est seulement à partir de 1957 que la Corée du Sud commence à se rétablir mais les relations diplomatiques avec les Etats-Unis sont fragiles jusqu’à la fin des années 50.

En mai 1961 le coup d’état de Park Chung-hee mène à un changement de politique économique qui va se focaliser sur les exportations et l’ouverture vers l’extérieur. En effet les ressources naturelles sont limitées en Corée du Sud et une stratégie similaire à celle de Taïwan se met en place avec le développement d’une industrie lourde. Les relations avec les Etats-Unis vont en s’améliorant.

Séoul (Novembre 1950)
Séoul (Novembre 1950) (Source)

Développement d’une industrie nationale

A la fin des années 50 la demande pour les radios grandi, l’importation et la contrebande de radio provenant de l’étranger permet de combler la demande.
A la recherche de nouveaux marchés Koo In Hoi, président de Lak-Hui Chemical, fonde la société Goldstar le 1er octobre 1958 avec comme secteur d’activité l’industrie électronique alors inexistante en Corée du Sud. Une décision importante fût d’essayer de fabriquer le maximum de composants en interne plutôt que d’importer des composants de l’étranger. C’est ainsi que la première radio sud-coréenne, la Goldstar A-501, fût commercialisée le 15 novembre 1959. Seulement un tiers des composants étaient importés de l’étranger.

Radio Goldstar A-501 - Première radio de Corée du Sud
Radio Goldstar A-501 (CHA)

On remarquera que la radio est faite d’un boitier en plastique. Il se trouve que Lak-Hui Chemical produisait du plastique depuis le début des années 50. Coïncidence ? :-°

La production était modeste avec environ 2000 unités par mois au début et bien que le prix soit inférieur aux radios étrangères, c’était toujours ces dernières qui dominaient le marché. En juillet 1961 lorsque Park Chung Hee visita l’usine de Busan, la société se plaignit de la contrebande qui mettait en péril la production domestique de radios.
En parallèle d’une une campagne pour équiper les villages ruraux de radios, le gouvernement mena des opérations pour lutter contre la contrebande. Les ventes de radios passèrent alors de quelques milliers d’unités en 1960 à 137 000 en 1962, ce qui représentait 40% de parts de marché.

Usine Goldstar - Personne recevant une radio à la campagne
Usine de radio Goldstar en 1962 (Source) - Personne recevant une radio à la campagne en 1962 (Source)

A la fin de l’année 1961, le gouvernement lance une chaîne de télévision, HLKA-TV (maintenant connue sous le nom KBS1). Il décide d’importer quelques milliers de télévisions et recommande à Goldstar de démarrer une production locale de télévisions. Face à des difficultés économiques globale la production est retardée et ce n’est qu’en 1966 que Goldstar sort le premier modèle coréen de télévision noir et blanc, le VD-191, développé en partenariat avec Hitachi.
De même qu’avec les radios, Goldstar demande au gouvernement, qui acceptera, des dispositifs de taxes douanières spécifiques pour pouvoir vendre sa production par rapport à la concurrence étrangère.

Mais pourquoi parler autant de Goldstar ?
Et bien si Goldstar est une société pionnière vous la connaissez aujourd’hui sous un autre nom… LG ! En effet Lak-Hui Chemical a changé son nom pour Lucky en 1973 (notez la prononciation assez proche) la société a fusionné en 1983 avec Goldstar pour former… Lucky-Goldstar avant de changer de nom pour LG en 1995. ^^

Logo Lucky (gauche) et  Goldstar (droite) en 1964
Logo Lucky (gauche) et Goldstar (droite) en 1964

Premier plan économique (1962 - 1966)

Pendant la période Syngman Rhee la politique économique s’est focalisée sur la reconstruction, notamment les infrastructures et le système scolaire. Mais début des années 1960 l’aide internationale diminue et Park Chung-hee décide de changer de politique économique.

Cela passera par l’établissement d’une économie pilotée par le gouvernement au travers de plans économiques de 5 ans. Mais aussi avec l’aide des chaebols, ces conglomérats qui se sont développées à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le coup d’état de 1961 a vu les militaires, menés par Park Chung-hee, vouloir éradiquer la corruption entre les chaebols et le gouvernement de Syngman Rhee. Un compromis fut trouvé entre les deux parties au travers de simples amendes payées par les dirigeants des chaebols en échange d’une coopération avec le gouvernement pour mettre en place sa politique économique. C’est sous cet aspect qu’il faut voir le développement de Goldstar à partir de 1961.

Le premier plan économique de 5 ans a pour objectif de développer une industrie indépendante des aides internationales. C’est en partie une certaine continuité de la politique économique du gouvernement Syngman Rhee avec le développement de certaines industries lourdes :

  • Energie : centrales électriques
  • Chimie : engrais, raffineries, produits de synthèse
  • Ciment

Plus concrètement on peut voir la construction des barrage de Chuncheon et Seomjingang entre 1961 et 1965, la création en 1962 du complexe industriel d’Ulsan (Sud-est de la Corée) avec une raffinerie, une usine d’engrais et une aciérie. Ulsan est le cœur industriel de Hyundai dont nous reparlerons un peu plus tard.

1 & 2 : Raffinerie d'Ulsan - 3 & 4 : Barrage Chuncheon
1 & 2 : Raffinerie d’Ulsan - 3 & 4 : Barrage Chuncheon (Source / Source / Source / Source)

Ces 5 années servent à mettre en place les fondations d’une économie qui va être tournée vers l’exportation. Transformation qui aura lieue à partir du second plan, qui aura la particularité d’avoir une composante dédiée au secteur électronique.

Traité nippo-sud-coréen du 22 juin 1965

En 1964 un nouveau premier ministre est en place au Japon, il décide d’envoyer son ministre des Affaires Etrangères en Corée du Sud pour tenter de normaliser les relations entre les deux pays. En effet les deux pays n’entrenait plus de relations diplomatique depuis 1952 et Syngman Rhee développait un nationalisme antijaponais. Ce n’est pas le cas avec Park Chung-hee qui a été formé au Japon.

Suite à des négociations un traité est signé entre les deux pays le 22 juin 1965. Outre le rétablissement des relations diplomatique par la reconnaissance de la République de Corée et une réponse à la question des ressortissants coréens au Japon, il y a la signature d’une assistance économique par le biais de dons de 300 millions de dollars et 200 millions de dollars de prêts. Cette assistance économique permet de donner une dynamique d’investissements japonais en Corée du Sud qui se verra dans les années qui suivront.

L’assistance économique fournie par le Japon ne représente pas des réparations de guerre pour l’occupation de la péninsule de 1905 à 1945, ce qui engendrera de nombreuses protestations en Corée du Sud.

Mise en place d'une industrie (1967 - 1976)

Premiers investissements étrangers et second plan économique (1967–1971)

A partir du milieu des années 60 des sociétés étrangères investissent en Corée du Sud pour la production de composants électroniques, attirées par une main d’œuvre bon marché et des lois favorisant les investissements étrangers. Des co-entreprises (joint-venture) se créent dès 1965 avec Komy ou Royal Pac. Signetics ouvre une usine en 1966 puis Fairchild Semiconductors (à Bucheon) et Motorola en 1967 ainsi que Toshiba en 1969 au travers d’une co-entreprise entre Toshiba (Japon) et des investisseurs coréens.

Année Société (Corée du Sud) Investisseur Montant
Décembre 1965 Kommy Semiconductor Kommy (USA) $76 000 (25%)
Avril 1966 Semikor Fairchild (USA) $2.25 millions (100%)
Juillet 1966 Signetics Signetics (USA) $1.75 millions (100%)
Décembre 1966 Korea-Micro KMI (USA) $224 000 (49%)
Mars 1967 Motorola Motorola (USA) $8 millions (100%)
Janvier 1969 MinSung Hahn-American (USA) $145 000 (35%)
Juillet 1969 Toshiba Toshiba (Japon) $1.4 millions (70%)

Le premier plan permet la mise en place d’infrastructures permettant le développement économique de la Corée du Sud de manière auto-suffisante. Les objectifs du second plan sont la modernisation du pays par le développement d’industries lourdes permettant de se passer progressivement d’importations et de s’orienter vers l’exportation. Cela inclut le développement d’aciéries, de fabrication de machines-outils et de la chimie avancée (plastique).

Plans de promotion de l’industrie électronique (1967–1976)

Le secteur électronique n’est pas une priorité en soit néanmoins suite à des discussions avec Kim Ki-Hyung, le président montre un intérêt pour le secteur électronique en tant qu’industrie exportatrice. C’est ainsi qu’un plan de promotion de l’industrie électronique est promu en décembre 1966 pour la période 1967–1971. Le président Park Chung-hee fera mention de cet effort lors d’un discours en janvier 1967.

Ce plan était très ambitieux puisqu’il avait pour objectif de réaliser 100 millions de dollars d’exportation dans le domaine électronique, alors qu’en 1966 le montant des exportations était de 3,6 millions de dollars.

Le gouvernement invita le Dr. Kim Wan Hee, professeur d’électronique à l’université de Columbia, pour proposer des pistes pour atteindre ces objectifs très ambitieux. Il fit un compte-rendu au président Park Chung-hee le 16 septembre 1967. Il continue à travailler au cours de l’année 1968 et proposa trois pistes majeures pour développer l’industrie électronique :

  • Promulgation d’une loi de promotion de l’industrie électronique, dans la lignée de ce qui avait été fait en 1967 pour la construction navale par exemple
  • Sécuriser un budget pour la promotion de l’industrie électronique sur plusieurs années
  • Etablir un centre de promotion de l’industrie électronique

En 1969, le gouvernement promulgua la loi de promotion de l’industrie électronique et mis en place un plan sur cinq ans qui sera étendu à huit ans (1969–1976) pour suivre le troisième plan économique. Outre des mesures d’ordre économique comme des exemptions de taxe et d’un budget spécifique (~40 millions de dollars à l’époque), un complexe industriel dédié à l’électronique est créé à Gumi dans le centre du pays ainsi qu’une zone de libre échange à Masan pour attirer des investissements japonais.

Carte Corée du Sud avec Séoul, Gumi et Masan
Carte Corée du Sud avec Séoul, Gumi et Masan

Si les premiers investissement étaient localisés dans la région de Séoul, à partir de 1969 la répartition des investissements étrangers se fait entre les trois régions. Toshiba s’installe à Gumi de même qu’Electrovoice, Varadyne et Korea IC, investissements américains. Tandis que Toko et Sanken, deux sociétés japonaises, investissent à Masan. Goldstar poursuit son développement en installant des usines à Gumi.

Liste de promotion

Le gouvernement dresse une liste de produits électroniques à promouvoir, dans le tableau ci-dessous quelques exemples :

Pour la première phase entre 1969 et 1971 :

Catégorie Produit
Composants de base Résistances, condensateurs, hauts-parleurs, relais, prises électriques
Semiconducteurs Diodes, transistors, composants, petits moteurs, oscillateurs
Electronique grand public Radios, télévisions, instruments électroniques
Electronique industrielle Transmetteurs radios, radars maritimes, équipements de communication filaire
Appareils de mesure Multimètres, alimentations, oscilloscope, électrocardiographe
Matériaux Matériaux isolants, céramiques

Pour la seconde phase entre 1972 et 1976, qui correspond au troisième plan économique :

Catégorie Produit
Composants Mémoires
Semiconducteurs Têtes de lecture magnétique, bandes magnétiques
Electronique grand public Enregistreurs
Electronique industrielle Caméra TV, télécopieur (fax), microscope électronique
Appareils médicaux Audiomètre, polygraphe, hématomètre
Matériaux Matériaux magnétique, PET
Calculateurs Calculatrice de table, industrielle, machine à cartes perforées

Limites

Le gouvernement ne réalisa pas la mesure concernant la création d’un centre de promotion de l’industrie électronique. En effet le président Park Chung-hee souhaitait que le Dr. Kim Wan Hee prenne la tête d’un tel institut mais ce dernier préférait encore travailler aux Etats-Unis.

Sans cet outil permettant de guider le développement de l’industrie (d’une manière similaire à ce qui sera fait à Taïwan avec l’ITRI), un système où les sociétés privée financent elles-mêmes la R&D se met en place.

Néanmoins le gouvernement charge dès 1969 trois instituts, le KIST (Korean Institute of Science and Technology fondé en 1966), le FIC (Fine Instruments Center) et le NIRI (National Industrial Research Institute), d’offrir du support pour le développement à l’exportation et la recherche technologique.

Enfin le fonds de promotion ne sera mis en place qu’en 1979, ce qui limitera fortement l’effet du plan. Le développement se fera essentiellement par les produits électroniques grand public.

Les efforts du gouvernement permettent à l’industrie des semiconducteurs d’atteindre 5% des exportations en 1973. Si les investissements étrangers sont nombreux, le transfert de connaissances reste limité dans les semiconducteurs du fait des contraintes que fixe le gouvernement sur la participation des entreprises étrangères. Si la production est présente, l’innovation reste limitée.

D’autre part l’industrie électronique coréenne ne fait que transformer de nombreux produits d’importations en produits électronique grand public. Aucune filière pour fabriquer des composants par exemple ne se met en place, une grande majorité est importée du Japon.

Séoul (Mai 1969)
Séoul (Mai 1969) (Frank Keillor)

Création de Samsung (1969)

Lorsque le Dr. Kim Wan Hee fit son étude en 1967, il remarqua qu’aucun chaebol de l’époque (Samsung, Samho, Gaepung, Samyang, Ssangyong, Hwashin, Panbon, ou encore Dongyang) n’était présent dans le secteur électronique à part Lak Hee (LG). Mais plus encore, aucun n’avait vraiment de plan pour entrer sur ce nouveau marché.
En septembre 1967 Kim Wan Hee rencontra le président du groupe Samsung, Lee Byung-Chul pour discuter de l’industrie électronique.

Lee Byung-Chul, fondateur de Samsung (1982)
Lee Byung-Chul, fondateur de Samsung (1982) (Source)

Après quelques mois de réflexion et d’étude, Samsung décide de se lancer. Plutôt que de partir de zéro, Samsung préfère créer des co-entreprises pour acquérir les technologies nécessaires. C’est ainsi qu’est créé Samsung Electronics en janvier 1969 et qui consiste en deux joint-ventures :

  • Avec Sanyo Electric (Japon) pour produire des produits finaux comme des télévisions
  • Avec NEC (Japon) pour produire des composants électroniques et sous-ensembles comme les tubes électronique et tubes cathodiques
Logo Samsung Electronics (1969)
Logo Samsung Electronics (1969)

sous la pression des autres sociétés de produits électroniques, voyant d’un mauvais oeil un futur concurrent profitant des nouvelles mesures gouvernementales, le gouvernement pose deux limites, qui seront levées en 1971 :

  • la production devra entièrement être exportée
  • les types de produits fabriqués seront limités

Limites du développement électronique

Contexte historique

1966 - 1969 : conflit de la DMZ coréenne

L’armistice entre les deux Corées a été signée en 1953 mais une zone démilitarisée sépare les deux pays depuis. Kim Il-Sung, dirigeant de la Corée du Nord met en place une nouvelle stratégie militaire en 1962 fondée sur la guerre irrégulière. En parallèle la Corée du Sud normalise ses relations avec le Japon en 1965 et signe en 1966 un accord militaire avec les Etats-Unis. L’optique d’un conflit conventionnel s’éloigne pour la Corée du Sud.

Mais à partir du 5 octobre 1966 les hostilités commencent, déclenchées par un discours de Kim Il-sung remettant en cause l’armistice de 1953. Cela se fait au travers d’infiltrations de petites unités nord-coréennes au travers de la DMZ et par le littoral sud-coréen. Les accrochages se multiplient et il devient clair que les nord-coréens souhaitent mettre en place une guérilla au coeur de la Corée du Sud.

Le point culminant fut le raid de la Maison-Bleue, demeure du Président de la République Sud-Coréenne à Séoul, en janvier 1968 où un commando nord-coréen de 31 hommes tenta d’assassiner, sans succès, Park Chung-hee. Notons aussi quelque jours plus tard la capture par les nord-coréens du navire USS Pueblo.

Maison-Bleue (Séoul, Corée du Sud)
Maison-Bleue (Séoul, Corée du Sud)(Steve46814)

Ces deux évènements permettent d’accélérer les mesures de contre-insurrection, outre le déploiement de nombreux soldats, la ligne de défense de la DMZ côté sud-coréen est améliorée pour éviter les incursions. Mais le littoral sud-coréen reste perméable comme le montre les débarquements de commando nord-coréen sur la côte nord-est sud-coréenne en octobre 1968. Ces raids seront repoussés par les sud-coréens et américains.

A la fin de l’année 1968 devant l’échec de deux années d’opérations d’infiltrations, Kim Il-sung met fin à cette stratégie de guérilla même si des accrochages continuent ici et là pendant l’année 1969.

1969 : doctrine Nixon

En 1969 Richard Nixon est élu président des Etats-Unis. Il met alors en place sa doctrine de politique étrangère qui consiste notamment à réduire la présence militaire américaine (à cause de la Guerre du Vietnam) dans les pays amis en leur demandant d’assurer eux-mêmes leur sécurité avec l’aide américaine (notamment le parapluie nucléaire).
Cela signifie pour la Corée du Sud le départ d’environ 20 000 soldats américains (environ un tiers du contingent) au début des années 1970.

Fin des accords de Bretton Woods

A partir de la fin des années 1960, les accords de Bretton Woods organisant le système monétaire mondial autour du dollar et son rattachement à l’or, commencent à s’essouffler. Cela impacte la Corée du Sud qui a dépend beaucoup des crédits étrangers, ce qui était avantageux en étant couvé par les Etats-Unis.

1973 : développement de l’industrie lourde et chimique

Ces différents points, notamment la doctrine Nixon et le conflit de la DMZ vont mettre en lumière le fait que la Corée du Sud dépend principalement des Etats-Unis pour son armement et sa défense là où l’industrie nord-coréenne sert l’armée.
Park Chung-hee décide de développer l’industrie lourde et chimique en 1973 via un programme en 3 points :

  • Promotion de 6 industries stratégiques : acier, pétrochimie, automobile, machines outils, chantiers navals et électronique
  • Production tournée vers l’exportation sauf une petite partie pour remplacer les importations
  • Construction d’usines de grande taille et compétitives

Du fait de son haut potentiel d’exportation l’industrie électronique fait partie des industries stratégiques. Les exportations étaient principalement le fait de sociétés japonaises installées, notamment, dans les zones de libre échange. Park Chung-hee souhaite s’appuyer sur les chaebols pour promouvoir les exportations.

On voit donc le développement de l’industrie lourde avec par exemple :

  • Création de la compagnie publique sidérurgique Pohang Iron and Steel Company (POSCO) en 1968
  • Création de Hyundai Heavy Industries (chantiers navals) en 1972 à Ulsan
  • Création de la filiale Sunkyong Oil par Sunkyong Group (SK Group) en 1973, le groupe produisait déjà des fibres polyesters
  • Ouverture d’une usine d’assemblage automobile par Kia en 1973, lancement d’une automobile de conception interne en 1974
Posco et Hyndai HI
Usine sidérurgique POSCO (gauche) et chantier naval Hyundai Heavy Industries (droite) (Source / Source)

Limites des plans

Les investissements pour les semiconducteurs sont relativement lourds et à part l’entrée de LG et Samsung, le gouvernement ne favorise pas réellement la création de nouveaux acteurs dans les semiconducteurs. Même si le plan de 1973 intègre l’électronique comme secteur stratégique ce sont surtout les industries lourdes et essentielles qui sont favorisées.

D’autre part les plans spécifiques à l’électronique manquent de fonds qui sont alors saupoudrés entre diverses initiatives. Le système des chaebols ne favorise pas réellement le développement d’innovations internes, les sociétés attendant des initiatives gouvernementales pour se développer.
Enfin les chaebols entraînent une concentration des industries auprès de quelques sociétés souvent liées au gouvernement. Il y a peu de nouveaux acteurs ce qui limite l’innovation et l’émergence de nouveaux champions dans des domaines nouveaux comme l’électronique.


C’est ainsi que nous finissons cette première partie sur l’industrie électronique en Corée du Sud avec principalement la création de LG et de Samsung.

Pour faire un parallèle avec Taïwan, où l’ITRI a permis de réaliser des transferts de technologie et de servir de plateforme de lancement pour des sociétés, en Corée du Sud il manque cet élément central permettant de former et développer des technologies d’avenir. Les quelques sociétés privées se développent au gré de joint-venture mais sans véritablement permettre l’éclosion d’une industrie indépendante et innovante.

Bien qu’il y ait une certaine volonté politique via les programmes économiques, les fonds limités et saupoudrés un peu partout ne sont pas d’une grande efficacité.

La seconde partie se concentrera un peu plus sur les semiconducteurs à partir des années 80 car plusieurs éléments vont permettre un véritable développement de l’industrie des semiconducteurs notamment des mémoires.

Parmi les nombreuses sources que j’ai pu consulter voici une sélection des plus pertinentes :

  • The Development of Korea’s Electronics Industry During Its Formative Years (1966–1979), KDI School, 2016 (Lien)
  • Korean Semiconductor Industry Analysis, Dataquest, 1986 (Lien)
  • The Korean Miracle (1962–1980) Revisited: Myths and Realities in Strategy and Development, Kwan S. Kim, 1991 (Lien)

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7 commentaires

Merci pour cet article très intéressant !

Je me permet de préciser un point qui est difficile à concevoir pour les occidentaux :

La guerre détruisit l’essentiel des infrastructures, notamment au Nord, et fit plusieurs millions de morts civils. C’est donc deux pays totalement détruits et meurtris qui sortent de ce conflit.

En réalité, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la Corée était un pays du tiers-monde (même si ce terme est anachronique dans le contexte). Tout le XIXème siècle est occupé par le déclin de la dynastie Joseon, le royaume s’était refermé au point qu’en occident on le désignait sous le nom de « royaume ermite ». Puis il y a eu l’invasion par le Japon et la colonisation.

De plus, le gros de l’industrie était dans le Nord du pays – oui, ça parait difficile à croire maintenant, mais au sortir de la Guerre de Corée, la Corée du Nord était en meilleur état et plus riche que la Corée du Sud.

Ça donne une vague idée d’où partait le pays, et de la vitesse et de la profondeur des transformations sociétales qui y ont eu lieu : en 2022, la Corée du Sud est devant la France sur des indicateurs comme l’IDH ou l’IDHI1.

Très concrètement, ça voulait dire que, encore à la fin des années 2000, beaucoup de femmes âgées n’avaient jamais appris à lire.

Garder ça et les différents épisodes de dictatures encore récents permet de comprendre pas mal de choses quand on s’intéresse à la Corée du Sud, entre autres comment ce pays a pu introduire des mesures de protectionnisme ou intrusives pour la vie privée, pourquoi certains politiques ont des programmes qui sont aussi réactionnaires, ou la relation générale du pays à la politique (dont les manifestations de millions de personnes).


D’autre part, un détail de prononciation : Hyundai se prononce à peu près comme Hyo’ndè (avec un o très ouvert), et pas comme Hyou’ndaï comme je l’entends souvent.


  1. Ce qui ne veut pas dire que le pays va bien non plus. Par exemple, la Corée du Sud a un énorme problème démographique à venir, une législation du travail complètement absurde – et le gouvernement actuel est plutôt du genre à revenir sur les quelques progrès récents – et de grosses lacunes dans les droits des femmes, pour ce qui me vient à l’esprit.

Ce fut une lecture très intéressante ! :)

Par exemple, la Corée du Sud a un énorme problème démographique à venir, une législation du travail complètement absurde – et le gouvernement actuel est plutôt du genre à revenir sur les quelques progrès récents – et de grosses lacunes dans les droits des femmes, pour ce qui me vient à l’esprit.

Effectivement. Mais ce constat n’est pas en soi limité à la Corée du Sud. Sauf erreur, d’autres pays se trouvent peu ou prou dans une situation similaire au niveau de la législation relative au travail/droit des femmes (Taïwan, Japon, Singapour…).

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Effectivement. Mais ce constat n’est pas en soi limité à la Corée du Sud. Sauf erreur, d’autres pays se trouvent peu ou prou dans une situation similaire au niveau de la législation relative au travail/droit des femmes (Taïwan, Japon, Singapour…).

Bien entendu, c’était surtout pour rappeler que ces indices statistiques ne sont que ça : des indices statistiques – et donc qu’on ne peut pas résumer en : meilleure valeur = pays où il fait meilleur vivre.

D’autre part, un détail de prononciation : Hyundai se prononce à peu près comme Hyo’ndè (avec un o très ouvert), et pas comme Hyou’ndaï comme je l’entends souvent.

SpaceFox

J’ai l’impression (mais j’y fais pas spécialement attention) que la publicité en radio/télé hésite sur la prononciation, en Belgique :p

EDIT: de fait, "hundè" dans https://www.youtube.com/watch?v=z2Z5DEgbE8Y.

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Tu m’as fait me reconnecter au site depuis un moment, merci zeqL pour cette série sur l’histoire de l’électronique, je n’ai même pas encore lu l’article.

Très plaisant de te voir traiter le contexte économique et d’avoir fait le choix de traiter la thématique par nation.

Est-ce que tu comptes développer la série ? Je pense au Japon, à la Chine et à l’Inde également qui, il me semble, développe de plus en plus son industrie électronique ?

Je retourne à ma lecture, merci encore :)

Tu m’as fait me reconnecter au site depuis un moment, merci zeqL pour cette série sur l’histoire de l’électronique, je n’ai même pas encore lu l’article.

Très plaisant de te voir traiter le contexte économique et d’avoir fait le choix de traiter la thématique par nation.

Est-ce que tu comptes développer la série ? Je pense au Japon, à la Chine et à l’Inde également qui, il me semble, développe de plus en plus son industrie électronique ?

Je retourne à ma lecture, merci encore :)

Spit

Merci.

Je dois déjà écrire la seconde partie pour la Corée du Sud. Pour les autres pays c’est un problème de ressource documentaire. Je ne parle aucune langue d’Asie et je me base donc sur des études et articles en anglais. Et je cherche aussi des photos avec des droits compatibles pour illustrer, ce qui n’est pas chose facile.
Si le Japon semble faisable, la Chine et l’Inde le sont beaucoup moins. Enfin pour la première pas forcément d’une manière étoffée et l’Inde n’a pas une industrie électronique très développée.

Je vais plutôt m’orienter vers des articles plus techniques sur les puces.

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