Carte électorale de la présidentielle 2017 (premier tour)

C'est quelque chose à la mode

On voit fleurir depuis quelques jours des cartes électorales : qui a voté quoi ? Une carte électorale, c’est quelque chose de facile à réaliser : on plaque des données à une carte. C’est le B-A BA de l’analyse spatiale. À vrai dire, les analyses de ces cartes sont médiocres le plus souvent. Pour différentes raisons. Le choix de la maille : pourquoi choisir des départements ou des régions ? Les votes semblent opposer un vote des villes et un vote des campagnes, ce qui est difficilement analysable à cette échelle. Les comparaisons sont parfois douteuses : dans cet article, déterministe1, il oppose une différence culturelle, immuable à un vote pour tel ou tel candidat. Bref, la plupart des articles accompagnant les cartes électorales ne sont pas satisfaisants, manquant de hauteur, de changements d’échelles… Je ne suis pas là pour vous proposer un inième article sur le sujet. Ce que je vous propose, c’est vous montrer comment j’ai fait cette carte :

carte

C’est simple à faire, et on peut s’amuser longtemps. On y va ?


  1. et le déterminisme, c’est le mal. 

Trouver les données

Avant tout, il faut trouver les données. Le ministère de l’intérieur publie, grâce à la directive INSPIRE, sur le site data.gouv.fr. Après recherche, j’ai par commune. Super non ? Je profite pour prendre un fond de carte chez tonton IGN. Et aussi les codes INSEE des communes. Vous comprendrez mieux après.

Traiter les données

J’ouvre mon fichier avec les résultats. Super, j’ai les résultats ! Je supprime les colonnes qui m’intéressent pas (oui, je sais, je suis un fou). En gros, je garde que le nom de famille des candidats, le nombre de voix bruts, le nombre d’inscrit et le nombre d’exprimé. Je garde aussi le nom de commune. Bon, il faut traiter les données.

On a un champ « code département » et un champ « code commune ». C’est sympa, quand on concatène, ça fait un code INSEE (identifiant unique pour une commune, pratique quand on fera une jointure). Bon, on fait comment pour L’Abergement-Clémenciat ? Le code département est 1, et le code commune est 1. On concatène, et ça nous donne 11. Sauf que son code INSEE est 01001. Vous souvenez de la base INSEE qu’on a téléchargée ? On va copier-coller dans une nouvelle colonne, en espérant que les communes sont dans le même ordre, pour qu’elles correspondent à ce qu’on a.

Ce qu’on veut, c’est voir si le vote non-exprimé passe devant certains candidats. On va calculer le nombre de non-exprimé (inscrit - exprimé : logique !).

Le ministère a classé déjà l’ordre des candidats par commune. On va donc utiliser la fonction SI pour voir si elle passe avant le premier candidat. On a alors :

SI(EXPRIMÉ > VOIX 1er CANDIDAT; "NOM EXPRIMÉ"; NOM PREMIER CANDIDAT)

et pour le second, on vérifie si on doit afficher le premier ou le deuxième candidat :

SI(EXPRIMÉ > VOIX 1er CANDIDAT; PREMIER CANDIDAT; SECOND CANDIDAT)

Une fois fini, on exporte en CSV, pour importer dans QGIS.

Cartographier

On ouvre QGIS. On importe notre fichier shapefile téléchargé au préalable sur le site de l’IGN, ainsi que notre ficher CSV.

Je clic-droit sur le nom de ma couche vecteur (COMMUNE), puis sur propriétés. Je vais dans jointure, et clic sur la croix verte. Je joins à la couche donnes, et faisant correspondre code_INSEE (que l’on a rajouté) à INSEE_COM (de notre fichier shapefile). Une fois fait, je valide, et reclic-droit sur ma couche pour exporter en nouvelle couche, en choisissant « enregistrant sous… » (pour avoir les données dans un seul shapefile, et plus dépendre de la jointure).

Une fois fini, on va passer à la peinture. Je retourne dans propriétés, puis style, et je dis que je veux catégoriser selon le champ du premier arrivé. Je choisis des couleurs qui vont bien (Perso, j’ai fait le choix original d’utiliser le rouge pour la gauche et le bleu pour la droite. Le centre est orange, le FN brun, et Mélenchon son ocre utilisé dans sa charte graphique). Je peaufine pour rendre transparent les bordures (propriétés…).

Ensuite, je vais dans composeur d’impression pour la mise en page. Je mets un titre, une échelle, une légende… Bref, la base. Sur ma carte, j’ai oublié de mettre l’orientation. Je sais, c’est passible de mort. Mais les flèches sont trop moches, je le refais généralement la mise en page sous Inkscape.

Si vous êtes pas trop flemmard, vous exportez en SVG, peaufinez dans Inkscape, et voilà. Manque plus qu’écrire votre papier consistant à commenter cette carte et le mettre sur votre journal en ligne. Mais bon, vous pourrez mettre n’importe quoi, les cartes exercent un tel pouvoir qu’on les regarde sans esprit critique, et a un aura d’autorité. Vous pourrez écrire la recette des andouillettes, ça passerait quand même.

Yep, mais les surfaces alors ?

OK, on voit une vague brune déferlant sur la France, tel les ténèbres qui s’abat dans notre beau royaume… mais il y a un biais : le verrou euclidien. En gros, on reste attaché à la surface, alors l’espace, par définition, est relationnelle. Dit autrement et de manière concrète : les distances, ici, on s’en fout. Royalement. Ce qui compte, c’est la population : c’est elle qui vote. Arles est la plus grande commune de France en termes de superficie, mais elle n’est pas la plus peuplée. Dit autrement, peut-être que c’est des communes rurales, grandes mais densément peu peuplé, qui vote FN, accentuant cette impression  ? Le cas des États-Unis est révélateur : c’est les plaines qui ont voté pour Trump. C’est vaste, mais à part quelques cow-boys, pas grand-chose.

On va jouer avec le logiciel ScapeToad. La carte Géofla possède déjà la population. On lance le logiciel, configure ce qu’on veut et on attend que ça calcul (36 000 communes, c’est long). Une fois fini, on exporte, et on réimporte dans QGIS. Il faut réitérer l’étape cartographique. Enfin, en théorie. Car il semble ne pas exporter la partie géométrique (= ce qui est affiché). Je vous laisse tester chez vous pour voir si cela marche.

J’ai pondu une version à l’arrache (mise en page bâclé en somme, pas d’habillage…), pour vous montrer un résultat. Il manque les résultats de villes possédant des arrondissements. Je ne sais pas pourquoi. Version anamorphose


La carte a été réalisé. C’est un exercice simple, sans trop de calculs. Je n’ai pas voulu faire un tutoriel pour utiliser QGIS, mais souhaitais plutôt démystifier cette pratique en montrant un exemple concret. Non, la carte n’est pas un outil magique, mais une forme de discours. Si cela vous a intéressé, j’ai rédigé un tutoriel pour s’initier à la cartographie.

J’ai été taquin sur le rôle des cartes. Les cartes, c’est un document graphique, mais aussi informationnel : il faut rester critique, et ne pas être (trop) fasciné. Je vous laisse avec un extrait d’un article de Reka, un cartographe français :

La carte géographique n’est pas le territoire. Elle en est tout au plus une représentation ou une « perception ». La carte n’offre aux yeux du public que ce que le cartographe (ou ses commanditaires) veut montrer. Elle ne donne qu’une image tronquée, incomplète, partiale, voire trafiquée de la réalité. Voilà de quoi sonner le glas des illusions de cette partie du public qui lit la carte comme un fidèle reflet de ce qui se passe sur le terrain.

La confusion, dans l’esprit des lecteurs, vient de la forme finale de la carte : des images belles, précises, parfois très fouillées et surtout imprimées, ce qui lui donne une légitimité presque absolue, en particulier quand elle est estampillée par des Etats, des institutions nationales ou internationales réputées et reconnues. La carte devient alors soit une œuvre de contemplation, soit l’objet d’un odieux complot contre un pays ou une communauté. Même les cartes topographiques les plus détaillées font l’objet d’une pensée et d’une construction minutieuses, chacun de leurs éléments étant soigneusement choisi : certains sont renforcés, d’autres disparaissent.

PS : il doit rester certainement des fautes. mea culpa.

16 commentaires

Pas mal. Dans le même goût j’avais trouvé celle-ci potentiellement intéressante : https://mastodon.social/users/alphoenix/updates/2096241

Dommage que ce soit pas interactif, qu’on puisse pas survoler un des "camps" pour le mettre en évidence. Je vous avoue que vraiment, ça me sert à rien les différentes nuances de bleu/violet rose/gris rouge/brun/vert.

+2 -0

Ce que je trouve dommage c’est le choix de la couleur blanche pour représenter l’abstention alors que le fond de la carte et des frontières administratives sont de cette couleur.

Du coup la carte est moins lisible, en particulier au niveau des frontières. Sinon c’est intéressant, bravo.

+2 -0

Moi ce que je trouve dommage c’est de compter blanc comme non-exprimé, c’est au contraire un choix fort!

Edit: Hors de cette parenthèse, merci beaucoup, je vais faire quelques tests justement dans cette direction…

+2 -0

Moi ce que je trouve dommage c’est de compter blanc comme non-exprimé, c’est au contraire un choix fort!

Edit: Hors de cette parenthèse, merci beaucoup, je vais faire quelques tests justement dans cette direction…

Iain

C’est le nom officiel. Et je considère l’abstension aussi comme un choix politique !

+0 -0

Moi ce que je trouve dommage c’est de compter blanc comme non-exprimé, c’est au contraire un choix fort!

Edit: Hors de cette parenthèse, merci beaucoup, je vais faire quelques tests justement dans cette direction…

Iain

C’est le nom officiel. Et je considère l’abstension aussi comme un choix politique !

qwerty

Ca appuie super bien ton propos : une carte, c’est une interprétation, c’est jamais du « vrai » :) .

Merci pour l’article !

Eh oui l’abstention peut aussi être un choix, et> > > Moi ce que je trouve dommage c’est de compter blanc comme non-exprimé, c’est au contraire un choix fort!

Edit: Hors de cette parenthèse, merci beaucoup, je vais faire quelques tests justement dans cette direction…

Iain

C’est le nom officiel. Et je considère l’abstension aussi comme un choix politique !

qwerty

Ca appuie super bien ton propos : une carte, c’est une interprétation, c’est jamais du « vrai » :) .

Merci pour l’article !

Gwend@l

Belle mise en évidence ^^

C’est le nom officiel. Et je considère l’abstension aussi comme un choix politique !

Il faut voir la notion de vote non exprimée comme vote dont l’électeur n’a exprimé aucune préférence dans le panel proposé. Tu exprimes quelque chose en effet mais cela reste un non choix qui a été fait par rapport aux candidats donc tu n’as en soit pas exprimé de choix.

Sans compter, dans le cas de l’abstention, je trouve que de dire que c’est un signal me paraît farfelu. Il est impossible de dire si tu t’abstiens car tu t’en fous, car tu as eu la flemme / un empêchement ou si c’est une revendication. Si tu veux vraiment revendiquer quelque chose, vote blanc, car au moins c’est clair et sans équivoque. Même si dans les faits cela n’influe en rien le scrutin.

+1 -0

Super article :) Il faudrait le même pour toutes les représentations graphiques de données chiffrées, qu’on bouffe aussi à toutes les sauces (et pour les statistiques qui vont avec aussi souvent) :p

C’est fou comme on est faciné malgré tout. Même si le propos n’est pas la carte en elle même, le gros blanc à la place de Paris m’a interpellé et j’ai mis un temps fou à essayer de comprendre tout seul, sans lire le commentaire en dessous.

Il manque les résultats de villes possédant des arrondissements.

Merci pour cet article. Malheureusement l’abstention n’a pas de poids sur le choix des candidats au final, alors je l’aurais enlevé et je l’aurais aussi enlevé de la population pour créer la carte anamorphosé bref pour mieux représenter le résultat final du vote. L’abstention c’est un autre débat comme peut-être que non aussi. C’est difficile de savoir quoi en penser. Je tiens à préciser que je ne connais pas la France énormément. Je ferais peut-être ma propre carte interractive ou non pour le deuxième tour pour me pratiquer si j’ai le temps. Je la partagerai si sa vous intéresse.

J’étudie en géomatique alors tes articles m’intéresse beaucoup.

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