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Lymphome 7 & 8 : Routine 1 & La souris

L’avant-propos se trouve ici.

7 -- Routine 1

Je vais essayer de faire une partie un peu moins décousue que d’habitude. Maintenant que j’ai posé mes valises dans ma chambre, je vais vous décrire une journée type.

À 7 heures, c’est la relève : le personnel de jour prend son service, et réveille les patients une heure plus tard. Je crois savoir que certains sont tirés du lit, je dois avoir un traitement de faveur, puisqu’on me laisse dormir une heure de plus, en posant gentiment mon petit déjeuner sur la table mobile de la chambre. On prend au passage mes constantes, qui contrairement à ce que leur nom indique ne le sont pas (mais doivent l’être à peu près). Il s’agit du rythme cardiaque, de la pression artérielle, de l’oxygénation sanguine et de la température. Les constantes sont prises 2 ou 3 fois par jour (je ne sais plus) par les aides soignants. Selon l’état du patient ou les traitements, ça peut aller jusqu’à une fois toutes les 4 heures. On dort bien, dans ces cas-là.

Le matin, j’ai aussi le droit à la prise de sang. Avec un cathéter, c’est facile et indolore : on se met sur la bonne sortie, et slurp. Sans cathéter, il faut piquer. Au bout d’un moment, la veine devient un peu dure et les infirmiers commencent à se louper. Donc ça fait mal, ça coule moins bien, c’est peu sympathique. Mais globalement, ils piquent bien.

Un tube, deux tubes, trois tubes. De quoi vérifier le nombre de globule blancs, plaquettes, globules rouges, mais aussi mes minéraux, certaines protéines, et milles autres choses. Globalement, je manque de globules et de plaquettes. Ils n’ont qu’à en prendre moins, aussi !

Je me lève donc une heure plus tard, vers 9h, j’ouvre les volets, et mange. Au menu, un lait chocolaté (oui, comme quand vous étiez petit), un petit pain (sauf le dimanche, un croissant), peut-être deux, car je suis un gros mangeur (et jamais on ne vous reprochera de trop manger dans un service d’hématologie), et un jus de fruit. Important, lui, car c’est le seul truc qui me permet de faire passer les corticoïdes, qui sont dégueulasses (mais je l’ai déjà dit, n’insistons pas1). En plus de ces horreurs (que je n’ai que lors de certaines phases de traitement), je prends chaque jour (tous, pour le coup ; ça a été en continu pendant 8 mois) du Bactrim et du Valaciclovir. Le premier est un antibactérien léger et à large spectre, le second un antiviral touchant en particulier les virus du zona et de l’herpès. À cela se rajoute quelques pilules occasionnelles.

Oh, j’ai une anecdote. Il y a plusieurs types de patients, le grognon, celui qui se laisse porter, le chiant qui veut tout savoir… Je fais partie de ces derniers. Un jour une (grosse) pilule avait fait son apparition sur mon plateau repas. Je la laisse consciencieusement de côté en attendant de voir l’infirmière. Lorsque celle-ci arrive, je lui signale qu’une pilule inhabituelle était là, et je lui demande ce que c’est. Elle ne sait pas, me demande de quelle pilule je parle. « Celle-là, comme je ne savais pas ce que c’était, je ne l’ai pas prise. » Gros yeux éberlués de l’infirmière. Elle part se renseigner ; c’était du sodium ou un truc du genre. Les prescriptions erronées, ça arrive (il suffit de voir les précautions prises avant de vous injecter des chimiothérapies), donc les pilules inconnues, j’attends confirmation avant de les prendre. Ça a aussi du bon (mais pas que, reconnaissons-le).

Il est donc 9h30 environ. Dans la matinée, il y aura le ménage de la chambre (ce qui inclut le changement des draps, la désinfection du matelas, mais aussi des chaises, tables… bref, tout est lavé), la toilette, le passage de l’aide soignant pour la commande du repas du jour (on a le choix entre mauvais et très mauvais) et le passage des médecins, ainsi qu’à l’occasion celle du psychologue.

Ah, les médecins… Il y a une hiérarchie forte au sein des médecins. On trouve quatre sortes : les stagiaires, les externes, les internes et les médecins (praticiens hospitaliers). Les premiers sont encore élèves, on les trouve en meute entourant un médecin qui lui seul examine. C’est rare, on ne doit pas être un service attirant. Les externes sont, en gros, médecins le matin et élève l’après-midi. j’en voyais occasionnellement, mais là encore, peu de contacts directs. Reste les internes. Eux, on les voit beaucoup. Ils font partie des médecins au même titre que les praticiens hospitaliers, pour moi ; ils examinent très consciencieusement les malades. Les deux cas typiques, c’est soit qu’ils accompagnent un praticien, soit qu’ils viennent seuls nous examiner. On est dans ce cas réexaminé (nettement plus rapidement) par un médecin ensuite.

Notez que tous ce petit monde a le droit à un badge à son nom, dont la couleur indique le statut ; on ne mélange pas les torchons et les serviettes, voyons ! Ce sera vert pour les externes, orange pour les internes, rouge pour les médecins, et bleu pour les infirmiers et aides-soignants.

Il est midi, l’heure de manger. Je n’ai pas envie d’épiloguer trop sur les repas : c’est de la nourriture d’hôpital, parfois sans sel (à cause des corticoïdes), parfois stérile (à cause de l’aplasie, j’y reviendrai plus tard), toujours mauvais. Parce que les médicaments changent le gout, aussi, ce qui n’aide pas. Par exemple, les champignons, c’était infâme. À un point tel qu’il m’a fallu au moins un an après l’arrêt des traitements pour pouvoir en remanger.

Bref, il est 13 ou 14 heures, les visites sont autorisées. Mes parents viennent me voir, on fait des jeux de sociétés, s’il fait beau et que je suis en forme, on sort, on discute… J’ai eu la chance d’avoir une famille très présente durant ma maladie. Mes parents, avant tout, mais aussi mon frère, qui a su surmonter sa crainte viscérale des hôpitaux pour venir me voir. Merci, vraiment, pour ça. On ne se rend pas forcément compte de l’importance d’avoir du soutien à ses côtés (surtout du côté des visiteurs, qui m’ont dit par la suite se sentir inutile, ce n’était pas le cas!).

L’après-midi, c’est aussi, très souvent, l’heure de la chimio (on a du temps pour surveiller, contrairement au matin où il y a le ménage et les examens, les résultats des prises de sang sont arrivés…). Ça n’a absolument rien d’exceptionnel : c’est une simple poche, identique aux poches d’eau, sauf que la couleur est différente. L’effet à court terme, c’est que l’urine prendra la couleur de la poche de chimio. Au bout de quelques jours… Je crois qu’il va me falloir une partie entière pour en parler.

Il est 19 heures, l’heure pour la famille de partir, et pour le service de nuit de commencer. Ils viennent dire bonjour, prendre les constantes, apporter le repas du soir. Je passerai quelques soirées sur l’ordinateur, à jouer à Freeciv (j’avais un vieux portable fort peu puissant à disposition) en attendant d’être fatigué. Puis au dodo.


Les jours se répètent ainsi longtemps, puisqu’une séance de traitement dure une semaine, suivi d’un ou deux jours de permission et d’une à deux semaines de gestion (à l’hôpital) des effets secondaires. J’ai permission jusqu’au début de la cure suivante, 4 semaines après le début de la précédente.


  1. Ils n’étaient vraiment pas bons, vous savez ? 

8 -- La souris

Je n’ai pas souvenir d’avoir beaucoup rêvé durant mon hospitalisation. L’un des rares rêves dont je me souviens m’a cependant énormément marqué. Il était pourtant bref, et d’une simplicité confondante.

Dans un bâtiment, sombre. Un papier peint vieilli, couleur kaki en bas, rouille orangé en haut. Et qui me regarde, une souris anthropomorphe. Dans les rêves, il est des choses que l’on sait ; là, c’est que cette souris, c’est la Mort.

Je me réveille décontenancé. J’ai rêvé de la Mort en personne, la Mort personnifiée, la Mort faite Homme souris. Durant toute la matinée, cela me trotte dans la tête. Je ne connais qu’une façon de faire sortir une image de la tête : la dessiner. Je n’ai malheureusement pas retrouvé le dessin fait à l’époque, mais la reproduction ci-dessous est assez fidèle.

La Mort. Si. Je rappelle que je prenais des médicaments pas très sains à l’époque.

Je laisse le papier sur le côté. Une infirmière me dira très gentiment en le voyant qu’elle est très mignonne, la souris. Pas vraiment. Je sens qu’il me manque une pièce.


Je ne vous ai pas encore parlé des psychologues de l’hôpital. En effet, le service d’hématologie propose pour ses patients deux psychologues ; ils passent deux à trois fois pas semaines dans la matinée, et nous avons l’occasion de discuter. Quand on est là quand ils passent, bien sûr. Le mien (oui, on n’alterne pas les psychologues) est un gentil monsieur chauve, en sandalettes, et aveugle. D’où les sandalettes, je pense. Je n’ai pas souvenir d’une discussion précise, mais plusieurs bouts épars, et quelques anecdotes.

Tiens, une rigolote, pour changer. Je suis donc dans une chambre, dont la porte est fermée. Avant de rentrer, les gens frappent. En pratique, je doute qu’ils nous entendent répondre s’ils n’ouvrent pas étant donné l’acoustique, mais ils toquent.

– TOC, TOC, TOC, TOC.
– Oui, oui, oui, oui.
– Je toque 4 fois et vous me répondez 4 fois « oui ». Vous êtes cartésien jusqu’au bout M. Gabbro !
– Rho, mais non ! C’est juste que… Voilà, quoi !


Parmi les choses dont je ne vous ai pas beaucoup parlé, il y a ma fratrie. Je suis le second fils d’une fratrie de 3. Que de garçons, dans la famille ! Il y a plusieurs années d’écart entre mes frères et moi, dans un sens comme dans l’autre. Mes rapports avec le reste de la fratrie sont… complexes. Comme dans n’importe quelle famille, je dirai.

C’est ce que je dis habituellement, quand j’en parle. Sauf que les choses ne sont jamais aussi simples. Je reprends donc. Je suis le 3e fils d’une fratrie de 4. Je n’ai cependant jamais connu mon grand frère direct : il est mort alors qu’il était bébé, et moi-même pas encore conçu. C’est en quelque sorte mon grand frère fantôme. Son existence a, bien que je ne l’ai jamais connu et qu’il soit mort très jeune, influencé la mienne, indirectement, mais de manière assez importante, je pense.

De ce grand frère fantôme, il n’y avait chez moi pas grande trace. Pas de photo encadrée, rien de ce genre. Seulement une peluche, son doudou, assise gentiment dans la bibliothèque. Une petite peluche qui représente pour moi ce grand frère mort. Une peluche en forme de souris.


4 commentaires

Je ne sais pas comment tu fais pour écrire ce genre de billets

Déjà, je pense ne pas t’étonner en disant que la partie juste au-dessus a été très particulière à écrire… Pour les parties habituelles, plusieurs choses rentrent en ligne de compte : quand tu es malade, la question ne se pose pas (en tout cas, pas pour moi), il faut s’accrocher. Ensuite, avec le recul, ce n’est pas pareil : ça a été dur, mais c’est fini.

De plus, s’il y a parfois de l’humour, qui va du très con (la blague sur les vampires de la partie précédente) au grinçant, c’est aussi une manière pour moi de prendre de la distance. Ce que je faisais déjà à l’époque.

Et bien sûr, tu constateras que cette partie arrive deux mois après la précédente, comme quoi, ce n’est pas très facile à écrire. :-°

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