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Chronique : Voyage hyperbolique

Pour fêter cette fin d’année, je vous propose de lire ma chronique : « Voyage hyperbolique ».

C’est peut-être l’une des chroniques les plus personnelles que j’ai produites. Elle m’est venue suivant un rêve survenu en octobre, et l’idée m’a trottée pendant plusieurs semaines. J’espère que cela vous transportera autant que moi.

Je ne posterai que rarement les chroniques à venir. Vous pouvez cependant toutes les retrouver sous forme audio et textuelle sur mon site.

Fin janvier, je produirai également une nouvelle émission de radio (mensuelle), qui sera une série d’entretiens longs sur des sujets « à la croisée des sciences ». J’aurai pour ces entretiens des invités sélectionnés pour leur intelligence, et non nécessairement pour leur nom ou leur profession.

Je peux déjà vous teaser sur le premier invité que j’accueillerai en janvier. C’est un membre du site, youtuber à succès, excellent vulgarisateur de maths. Nous discuterons de l’acte de vulgariser, selon un point de vue sociologique et philosophique des sciences.

Joyeuses fêtes :)

Voyage hyperbolique

Chère auditrice, cher auditeur. Il y a quelques semaines, je vous proposais une expérience de pensée. Nous avions voyagé dans l’espace, aux abords d’un trou noir pour sentir à quoi ressemble la géométrie elliptique.

Avec l’arrivée des vacances et des fêtes, j’ai pensé que c’était le bon moment pour vous proposer un deuxième voyage. Cette fois-ci nous allons nous immerger en géométrie hyperbolique.

Pour ce voyage, je ne pourrai pas vous proposer de destination particulière. Il me faudra faire appel à votre seule imagination. Alors c’est parti, fermez les yeux, commençons notre escapade.


Imaginez un monde. Pour le moment vous êtes par vous même, dans un endroit sans autre que vous. Il n’y a pour l’instant ni mur, ni sol. Dans ce monde vous ne pouvez bouger. Quelque chose d’étrange se passe si vous avancez avec les bras écartés.

S’il vous arrivait d’écarter les bras et de faire un pas en avant, vous ressentiriez une douleur d’étirement au niveau des bras, comme si quelque chose tirait sur vos mains tout autant que vous avanciez.

Ce quelque chose n’est ni une personne ni un objet de ce monde, c’est le monde lui-même.


Dans ce monde où les couples ne peuvent que se séparer, il se passe ce drôle de phénomène. Si vous prenez deux crayons collés l’un à l’autre et si vous les poussez en avant, ils s’écarteront l’un de l’autre de façon exponentielle. Pourtant ils avanceront toujours dans la même direction.

Cela donne une impression selon laquelle il y a plus d’espace à ranger qu’habituellement. Si vous balayez avec votre main une quantité d’air, elle sera beaucoup plus importante que pour le même mouvement dans le monde euclidien, celui que vous connaissez bien.

Mettons de côté ces effets périlleux, et décidons à présent de construire une maison. Comme je ne suis pas architecte, on va se contenter de faire des maisons carrés.

Pour rappel, un carré ça n’est jamais qu’un polygone à quatre côtés, où tous les côtés et angles sont égaux. Dans le monde commun, un carré a des angles droits. Mais ici, un carré n’a jamais d’angle droit. Ses angles sont plus petits.

Et de façon surprenante, ses angles intérieurs sont d’autant plus petits que le carré est grand. Mieux : prenez un angle strictement compris entre 90 degrés et 0 degré, et je vous donnerai l’unique carré ayant cet valeur d’angle pour ses angles intérieurs.

Si on entrait dans une telle maison carré, nous observerions que bien que les murs soient droits, de même longueur et parallèles deux-à-deux, l’angle entre deux murs est très petit, et dans une grande maison, on pourrait à peine y placer un spaghetti dans sa longueur.

Dans cette ville imaginaire, les agences immobilières pourraient remplacer l’information de surface par la mesure des angles entre vos murs.


Il vient pour moi le temps d’arrêter cette courte expérience de pensée. Elle était riche et il est difficile d’aller plus loin sans faire appel à des mathématiques élaborées. C’est peut-être d’ailleurs une bonne motivation pour ouvrir un livre de géométrie.

La question légitime que vous pourriez me poser après cette expérience serait : et alors ? Quel est l’intérêt d’imaginer des mondes si étranges ? Est-ce un simple jeu de l’esprit ?

Tout d’abord, je me dois de vous dire qu’il n’existe que trois géométries aussi régulières : la géométrie euclidienne que vous connaissez bien, la géométrie elliptique dont nous avons parlé il y a quelques semaines et cette géométrie hyperbolique. Ce jeu de l’esprit est donc limité par quelque chose. On ne pourrait pas imaginer de géométrie différente de celles-ci sans faire de concession importante.

Et puis je me dois de vous dire qu’il y a de vrais enjeux à étudier la géométrie hyperbolique. En fait, c’est la géométrie la plus riche de toutes en dimensions deux et trois. Quasiment tous les objets de dimensions deux ou trois ont naturellement leur origine en géométrie hyperbolique.

Si vous vouliez par exemple comprendre la forme de notre univers à un instant fixé, vous aurez sans doute à faire des considérations de géométrie hyperbolique.


En un sens que les mathématiciens n’ont compris que récemment, la géométrie hyperbolique est la géométrie naturelle. Ce sont plutôt les géométries euclidienne et elliptique qui sont étranges et pas la géométrie hyperbolique.

Je crois que cela signifie tout de même quelque chose de profond. Nous avons l’habitude, que ce soit en mathématiques ou en art ou dans d’autres domaines, de faire appel à notre intuition, à nos sens innés. Mais s’il y a des raisons de penser qu’une autre intuition puisse donner des choses nouvelles et plus diverses, n’est-ce pas là une révolution de l’esprit ?

La géométrie hyperbolique donne lieu à des phénomènes très divers et très profonds. L’artiste ou le mathématicien ayant une bonne intuition de la géométrie hyperbolique arriverait à développer une pensée en apparence plus complexe car interprétée classiquement en géométrie euclidienne, alors qu’elle se trouve simple lorsqu’elle est comprise en géométrie hyperbolique.


J’aimerais à présent conclure cette chronique, et plus généralement cette année 2017 par une citation de Gil Scott-Heron que j’apprécie beaucoup. “The first revolution is when you change your mind about how you look at things, and see there might be another way to look at it that you have not been shown.


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