- [Billet-Signet] Arthur Meurant - Les Critiques Du MaSQuE
- [Signet] On a oublié ces maladies (et c'est tant mieux)…
Dans le monde de la musique, il y a des groupes qui on trouvé un concept, qui font toujours un peu la même chose, et dont les fans sont très contents. Et puis il y a les autres.
Les autres, pour une raison ou une autre, veulent se renouveler, ou n’ont pas d’autre choix que de se renouveler. Et là y’a pas le choix, il faut gérer ce changement avec les fans, surtout à l’heure des réseaux sociaux.
Un peu de bagage culturel
Au Japon existe un curieux concept : les idols, de jeunes artistes qui sont parfois (souvent) organisées en groupes d’âge à peu près homogène. Ce qui est important dans le concept de ces groupes, c’est le groupe en tant qu’entité de divertissement. Les idols, interprètes, n’ont aucun rôle dans la composition et sont régulièrement remplacées, généralement sur des critères d’âge. Généralement ça produit de la J-Pop plus ou moins mièvre, et la communication, comme chaque aspect du groupe, est complètement contrôlée par la société de production.
Voilà qu’un jour, le groupe Sakura Gakuin décide de monter un projet amusant : en plus1 de leur travail normal, trois membres vont monter un mélange détonnant de J-Pop et de musique metal2. Et ça marche. En fait, ça fait un carton. Non seulement les trois membres « visibles » du groupes sont les plus jeunes artistes à remplir le très prestigieux Nippon Budokan, mais en plus ça commence à se faire connaître à l’étranger.
Le concept est censé être temporaire, comme tous les groupes secondaires de Sakura Gakuin. Sauf qu’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, donc les producteurs ont décidé de lui donner officiellement une existence propre, sous le nom de Babymetal. Le groupe est donc constitué de Suzuka (chant), Yui et Moa (chœurs et danse) et de pas moins de trois excellents groupes de musiciens plus ou moins anonymes, regroupés sous des termes génériques et planqués dans un coin de la scène pendant le gros des concerts. Et ça roule.
Mais la jeunesse n’est pas éternelle…
Le problème du concept « des gamines en jupette dansent en chantant un mélange chelou de J-Pop et de metal », une fois qu’on a accepté l’existence du concept, ben c’est que les gamines, ça grandit. Du genre, rapidement. Au point que des titres qui sont rigolos interprétés à 12-14 ans donne un résultat assez malsain quand les interprètes ont 18-20 ans.
Donc, les producteurs (qui décident d’à peu près tout : quelques-uns des musiciens sont aussi compositeurs, mais pas tous ; les trois filles ne sont qu’interprètes) décident de quelques changements :
- Moins de J-Pop et plus de metal – sans trop bousculer l’équilibre, hein.
- On focalise beaucoup moins sur le « choc visuel » d’avoir des jeunes filles qui chantent du J-Pop-metal : le concept est maintenant connu et copié, il était original avec des interprètes adolescentes, mais on trouve facilement des jeunes femmes chanteuses de metal. Le concept n’ayant plus vraiment d’impact, pas la peine d’insister.
- On produit donc un clip sans voir aucun musicien.
- On change les costumes et on met le groupe plus en avant.
- On prévoit une grosse tournée Europe / USA.
- Pour des raisons inconnues (cf plus loin), les deux filles qui assuraient la partie danse/chœurs deviennent… plusieurs (combien, c’est pas clair, cf plus bas aussi) sachant que toutes ne seront pas toujours présentes.
Comment ne pas communiquer sur ces changements
J’esquive la problématique des pervers qui pleurent de ne plus voir danser des gamines en jupettes, ils n’en valent pas la peine.
Donc, comment gérer tous ces changement somme toute importants ?
- Lancer une grosse campagne de teasing (comme plusieurs fois avant). Déboucher sur l’annonce d’un coffret vidéo hors de prix3.
- Lancer une autre grosse campagne de teasing bien mystérieuse, à la fois sur le nouveau decorum et sur la nouvelle composition du groupe. Ne jamais donner le fin mot de l’histoire de manière claire.
- Depuis le début du groupe, capitaliser sur l’image des 3 jeunes filles. Laisser le public découvrir que Yui5, l’une des deux danseuses/choristes, est absente de la tournée américaine.
- Ne jamais donner la moindre nouvelle malgré les demandes systématiques sous chaque annonce de chaque concert de la tournée.
Donc si je résume, si on veut se mettre ses fans à dos, on peut :
- Lancer des teasings pour du n’importe quoi – ou tout simplement les laisser dans le brouillard.
- Ne donner aucune information claire sur l’avancée du projet.
- Ne tenir aucun compte des demandes du public4.
- Laisser un choc culturel pourrir la communication.
Et si tout ça n’était qu’un choc culturel ?
C’est une vraie question. Babymetal, à l’origine, c’est un sous-groupe d’un groupe d’idols japonaises, avec tout ce que ça implique de grosse industrie et de façon de travailler. Et c’est un producteur de ce genre de chose qui gère Babymetal.
Or, dans ce milieu, c’est normal d’avoir des artistes interchangeables (et changés fréquemment). C’est normal d’avoir une production qui décide d’absolument tout sans prévenir personne. C’est normal de vendre des produits hors de prix. Le public est censé connaitre le fonctionnement de ce genre de groupe.
C’est normal au Japon. Mais aux USA ou en Europe ? Avec un public néophyte ?
Et c’est peut-être là le meilleur enseignement de cette histoire : communiquer hors de sa culture, c’est risquer d’énormes malentendus sans même s’en rendre compte. Et la communication interculturelle peut se cacher là où on ne l’attends pas.
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On pourrait lancer de longues enquêtes sur les quantités et conditions de travail des membres de ce genre de groupe, les résultats seraient sans doute très intéressants… ↩
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Une idée purement commerciale : les artistes du Sakura Gakuin embarquées dans ce projet ne connaissaient à peu près rien de la musique metal quand elles ont commencé ce sous-groupe. ↩
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En réalité sans doute à un prix normal au Japon, où le moindre CD / DVD / Blu Ray coûte extrêmement cher. ↩
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Il y aura toujours des râleurs ; mais quand la même demande revient en masse, systématiquement, il y a sans doute un vrai problème, ou une vraie incompréhension à résoudre. ↩
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Objectivement, que Yui soit là ou non, ça ne change absolument rien d’un point de vue artistique, son rôle étant la danse et les chœurs, il peut échoir à n’importe qui en aurait les capacités. C’est vraiment la capitalisation sur son image pendant toutes ces années qui pose problème : pour le public, Babymetal c’est Suzuka, Moa et Yui, point. Le fait que seule Suzuka ait un rôle musicalement important ne rentre plus en jeu. ↩
Et voilà, j’espère que cette petite histoire vous aura appris quelques trucs sur le Japon, le fonctionnement des groupes formatés et les pièges de la communication interculturelle !