Projet, évolutions, attentes, culture : comment foirer sa communication

Un exemple avec le groupe Babymetal

Dans le monde de la musique, il y a des groupes qui on trouvé un concept, qui font toujours un peu la même chose, et dont les fans sont très contents. Et puis il y a les autres.

Les autres, pour une raison ou une autre, veulent se renouveler, ou n’ont pas d’autre choix que de se renouveler. Et là y’a pas le choix, il faut gérer ce changement avec les fans, surtout à l’heure des réseaux sociaux.

Un peu de bagage culturel

Au Japon existe un curieux concept : les idols, de jeunes artistes qui sont parfois (souvent) organisées en groupes d’âge à peu près homogène. Ce qui est important dans le concept de ces groupes, c’est le groupe en tant qu’entité de divertissement. Les idols, interprètes, n’ont aucun rôle dans la composition et sont régulièrement remplacées, généralement sur des critères d’âge. Généralement ça produit de la J-Pop plus ou moins mièvre, et la communication, comme chaque aspect du groupe, est complètement contrôlée par la société de production.

Voilà qu’un jour, le groupe Sakura Gakuin décide de monter un projet amusant : en plus1 de leur travail normal, trois membres vont monter un mélange détonnant de J-Pop et de musique metal2. Et ça marche. En fait, ça fait un carton. Non seulement les trois membres « visibles » du groupes sont les plus jeunes artistes à remplir le très prestigieux Nippon Budokan, mais en plus ça commence à se faire connaître à l’étranger.

Le concept est censé être temporaire, comme tous les groupes secondaires de Sakura Gakuin. Sauf qu’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, donc les producteurs ont décidé de lui donner officiellement une existence propre, sous le nom de Babymetal. Le groupe est donc constitué de Suzuka (chant), Yui et Moa (chœurs et danse) et de pas moins de trois excellents groupes de musiciens plus ou moins anonymes, regroupés sous des termes génériques et planqués dans un coin de la scène pendant le gros des concerts. Et ça roule.

Mais la jeunesse n’est pas éternelle…

Le problème du concept « des gamines en jupette dansent en chantant un mélange chelou de J-Pop et de metal », une fois qu’on a accepté l’existence du concept, ben c’est que les gamines, ça grandit. Du genre, rapidement. Au point que des titres qui sont rigolos interprétés à 12-14 ans donne un résultat assez malsain quand les interprètes ont 18-20 ans.

Donc, les producteurs (qui décident d’à peu près tout : quelques-uns des musiciens sont aussi compositeurs, mais pas tous ; les trois filles ne sont qu’interprètes) décident de quelques changements :

  • Moins de J-Pop et plus de metal – sans trop bousculer l’équilibre, hein.
  • On focalise beaucoup moins sur le « choc visuel » d’avoir des jeunes filles qui chantent du J-Pop-metal : le concept est maintenant connu et copié, il était original avec des interprètes adolescentes, mais on trouve facilement des jeunes femmes chanteuses de metal. Le concept n’ayant plus vraiment d’impact, pas la peine d’insister.
  • On produit donc un clip sans voir aucun musicien.
  • On change les costumes et on met le groupe plus en avant.
  • On prévoit une grosse tournée Europe / USA.
  • Pour des raisons inconnues (cf plus loin), les deux filles qui assuraient la partie danse/chœurs deviennent… plusieurs (combien, c’est pas clair, cf plus bas aussi) sachant que toutes ne seront pas toujours présentes.

Comment ne pas communiquer sur ces changements

J’esquive la problématique des pervers qui pleurent de ne plus voir danser des gamines en jupettes, ils n’en valent pas la peine.

Donc, comment gérer tous ces changement somme toute importants ?

  1. Lancer une grosse campagne de teasing (comme plusieurs fois avant). Déboucher sur l’annonce d’un coffret vidéo hors de prix3.
  2. Lancer une autre grosse campagne de teasing bien mystérieuse, à la fois sur le nouveau decorum et sur la nouvelle composition du groupe. Ne jamais donner le fin mot de l’histoire de manière claire.
  3. Depuis le début du groupe, capitaliser sur l’image des 3 jeunes filles. Laisser le public découvrir que Yui5, l’une des deux danseuses/choristes, est absente de la tournée américaine.
  4. Ne jamais donner la moindre nouvelle malgré les demandes systématiques sous chaque annonce de chaque concert de la tournée.

Donc si je résume, si on veut se mettre ses fans à dos, on peut :

  • Lancer des teasings pour du n’importe quoi – ou tout simplement les laisser dans le brouillard.
  • Ne donner aucune information claire sur l’avancée du projet.
  • Ne tenir aucun compte des demandes du public4.
  • Laisser un choc culturel pourrir la communication.

Et si tout ça n’était qu’un choc culturel ?

C’est une vraie question. Babymetal, à l’origine, c’est un sous-groupe d’un groupe d’idols japonaises, avec tout ce que ça implique de grosse industrie et de façon de travailler. Et c’est un producteur de ce genre de chose qui gère Babymetal.

Or, dans ce milieu, c’est normal d’avoir des artistes interchangeables (et changés fréquemment). C’est normal d’avoir une production qui décide d’absolument tout sans prévenir personne. C’est normal de vendre des produits hors de prix. Le public est censé connaitre le fonctionnement de ce genre de groupe.

C’est normal au Japon. Mais aux USA ou en Europe ? Avec un public néophyte ?

Et c’est peut-être là le meilleur enseignement de cette histoire : communiquer hors de sa culture, c’est risquer d’énormes malentendus sans même s’en rendre compte. Et la communication interculturelle peut se cacher là où on ne l’attends pas.


  1. On pourrait lancer de longues enquêtes sur les quantités et conditions de travail des membres de ce genre de groupe, les résultats seraient sans doute très intéressants… 

  2. Une idée purement commerciale : les artistes du Sakura Gakuin embarquées dans ce projet ne connaissaient à peu près rien de la musique metal quand elles ont commencé ce sous-groupe. 

  3. En réalité sans doute à un prix normal au Japon, où le moindre CD / DVD / Blu Ray coûte extrêmement cher. 

  4. Il y aura toujours des râleurs ; mais quand la même demande revient en masse, systématiquement, il y a sans doute un vrai problème, ou une vraie incompréhension à résoudre. 

  5. Objectivement, que Yui soit là ou non, ça ne change absolument rien d’un point de vue artistique, son rôle étant la danse et les chœurs, il peut échoir à n’importe qui en aurait les capacités. C’est vraiment la capitalisation sur son image pendant toutes ces années qui pose problème : pour le public, Babymetal c’est Suzuka, Moa et Yui, point. Le fait que seule Suzuka ait un rôle musicalement important ne rentre plus en jeu. 



Et voilà, j’espère que cette petite histoire vous aura appris quelques trucs sur le Japon, le fonctionnement des groupes formatés et les pièges de la communication interculturelle !

11 commentaires

De ce que j’ai compris le type de groupe et de communication qui va autour est typiquement japonnais, et pas forcement adapté a la culture "occidentale". Tu sous entend que en US/EU cette communication/façon de faire serait un échec :

communiquer hors de sa culture, c’est risquer d’énormes malentendus sans même s’en rendre compte

C’est une simple supposition logique de ta part ou un constat réel auquel le groupe en question a du faire face ? Parfois on a toutes les raisons du monde de penser que quelque chose va mal se passer, et in fine ça se passe plutôt bien. Et vis versa. J’ai l’impression que l’article parle d’une extension du groupe à l’occident, puis des raisons pour laquelle cela serait un échec, mais sans préciser si cet échec a eu lieu ou pas. D’où ma question. :)

+0 -0

C’est plus compliqué qu’un simple oui ou non. La tournée US actuelle, à partir de laquelle la communication est devenue vraiment problématique, c’est beaucoup de festivals et énormément de billets vendus avant les bizarreries de communication. Donc on a pas encore de retour « dur » sur l’impact, en terme de ventes ou de popularité par exemple.

Vue la politique de communication de ce genre d’industrie, on est pas prêts d’avoir des données publiques sur le sujet, de toutes façons.

Par contre :

  • Après chaque concert, les commentaires qui remontent le plus sont négatifs et toujours du même tonneau.
  • Sur les vidéos le public a l’air assez peu enthousiaste – mais c’est pas facile à estimer.
  • C’est pas leur première tournée en occident, et les précédentes n’avaient pas provoqué autant de remous.

PS : Ça c’est du point de vue du groupe. Du point de vue du spectateur occidental, la communication actuelle est indubitablement un échec.

Remarques meta :

Je suis perplexe quant à l’usage des références/lien URL/vidéo. Je pense que 2 vidéos auraient put agrémenter ton billet. Ça évite de cliquer ailleurs et on peut suivre le fil. Pour chaque affirmation on a limite un lien, comme s’ils étaient des références, mais non tu as aussi des références plus tard. Ça m’a fait bizarre.

Très intéressant cela dit ! C’est un peu le mode d’emploie "Comment tout faire pour décevoir ?" Et si on le lit à l’envers on peut obtenir un mode d’emploi pour éviter la déception, c’est cool. Après je pense que les artistes peuvent former d’autres groupes pour tenter d’autres choses sans relâcher sa fan-base.

Par exemple Green Day possède des artistes en commun (si ce n’est intégrale) avec :

  • Foxboro Hot Tubs
  • The Network
  • Pinhead Gunpowder
  • The Coverups
  • The Longshot

Ce qui permet aux groupes de tester des choses nouvelles un temps.

J’avais pas fais gaffe que dans la première vidéo les filles étaient si jeunes… Quand j’m’en suis rendu compte ça m’a fait bizarre. :o

+0 -0

@Blackline :

C’est un groupe dont il avait déjà parlé dans son article Aperçu de la diversité du métal. Mais c’était déjà il y a 3ans !

Si je m’en souviens, c’est que ça m’avait fait bizare aussi x)

+1 -0

@Blackline à propos de ta remarque meta : en fait j’avais essayé de mettre les vidéo dans le corps du texte. Mais du coup on ne voyait plus que ça, alors que c’est pas le propos.

Et effectivement, beaucoup d’artistes ont des « groupes secondaires », des « projets personnels » ou pour les plus prestigieux font partie de « supergroupes » (groupes constitués d’artistes connus par ailleurs) qui leurs permettent d’expérimenter.

J’aurai peut être un avis moins tranché que toi sur Babymetal et le fait que le décalage culturel et de communication pourrait tuer le groupe.

Effectivement je n’ai pas vu la dernière tournée mais le groupe est quand même , en occident, soutenu par des gens pas du tout connu comme .... Rob Zombie ou Rob Halford (le chanteur de Judas Priest) ce qui l’air de rien dans une communauté metal qui avait du mal a accepter ce groupe "hyrbride et pur produit Marketing" leur donne (certes pas auprès de tout le monde) une certaine crédibilité.

Franchement depuis un an je vois un certain différence de mentalité quand je dis que j’aime bien certains de leur morceaux : avant on me riait au nez maintenant c’est plus "ah ouai c’est bien ? faudrait que j’ecoute pour voir"

Donc effectivement la comm actuelle va peut être leur faire du mal mais je pense bien moins que tu le dis :o

le fait que le décalage culturel et de communication pourrait tuer le groupe.

alliocha1805

Ça c’est ton interprétation personnelle, ce n’est pas mon avis.

Tu oublies des petits groupes comme Metallica dans leurs soutiens :D

En fait, malgré la conception purement commerciale du truc, ça ne les a pas empêchés de faire une poignée d’excellentes chansons, le démarrage de wall of death le plus impressionnant que je connaisse mais aussi le plus gros malaise musical de 2016.

La communication actuelle risque surtout de changer leur public : si la musique est bonne et qu’on parle de toi, que ce soit en bien ou en mal… ben on parle de toi et ta musique se vends. Le procès contre Tobias Forge, leader de Ghost, qui a cassé tout le concept du groupe (le fait qu’on ne sache pas qui étaient les musiciens) et le comportement dudit leader dans cette histoire ne semblent pas empêcher le groupe de vendre. Ça ne change en rien le fait que tout ce bordel est pitoyable.

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