Certaines choses sont intuitives, d’autres le sont beaucoup moins, et ici nous allons parler de quelque chose qui n’est pas du tout intuitif pour certaines personnes.
Pourquoi quand on additionne une infinité de nombres strictement positifs on peut obtenir un résultat fini ?
Pour commencer
C’est vrai ça, comment une telle chose peut arriver ? Le concept d’infini est peut-être abstrait, mais il semble assez naturel que si on prend une quantité, et qu’on lui rajoute sans cesse quelque chose, cette quantité ne va cesser d’augmenter. Fatalement, puisqu’elle ne cesse de grandir, si on prend n’importe quelle nombre, elle finit par être plus grande que ce nombre.
Et bien non… Et nous allons dès à présent casser le cou à cette idée en prenant un exemple.
- Notre nombre est .
- On lui ajoute . On a donc .
- On lui ajoute . On a donc .
- On lui ajoute . On a donc .
- Etc.
On se rend compte qu’à l’ajout , on obtient le nombre . Et donc à toutes les étapes, on a que notre nombre est plus petit que . C’est même plus que ça, on remarque qu’on se rapproche de plus en plus de . En fait,
Et pourtant, on a rajouté quelque chose de non nul à chaque fois. Cela démonte déjà les a priori que l’on pourrait avoir.
Voici un autre exemple. Nous commençons par et nous appelons le nombre rajouté à l’étape (donc ) et le résultat à l’étape (donc . Notre but va être de ne pas dépasser 1. Pour cela, nous allons construire à partir de de la manière suivante :
Ainsi, à chaque tour on va rajouter la moitié de ce qu’il manque pour atteindre ce qui bien sûr ne permettra pas de dépasser , même si on s’en rapproche de plus en plus).
Voici un programme Python nous permettant de calculer pour un donné.
n = int(input())
u = 0
S = 0
for k in range(n):
u = 1 - u/2 # On calcule le nouveau terme
S += u # On le rajoute à la somme
print(S)
Cet exemple peut être vu de la manière suivante : nous devons parcourir un mètre et pour cela nous décidons à chaque tour de parcourir la moitié de la distance restante.
En fait, cette visualisation est souvent source de blocage. En effet, autant nous pouvons imaginer facilement parcourir la moitié d’un mètre, puis la moitié de 50 centimètres, puis la moitié de 25 centimètres, autant à partir d’un certain seuil c’est beaucoup plus dur (vous imaginez quelqu’un parcourir la moitié de centimètres ?).
Cette illustration avec la distance à parcourir se rapproche beaucoup du très connu paradoxe d’Achille et de la tortue.
D’autres exemples basés sur la même idée, sont faciles à construire (on rajoute un tiers plutôt que la moitié, on tire au hasard une quantité non nulle et strictement plus petite que la distance restante, etc.).
Et nous pouvons être contents, nous avons fait mieux qu’avoir des sommes ne valant pas , nos sommes ne dépassent même pas 2 !
Un peu plus formellement ?
Un peu plus formellement, on définit les séries numériques. On part d’une suite numérique de terme général , et on définit la suite de ses sommes partielles en posant.
La série des est alors la suite de terme général . Si cette suite a une limite, la série est dite convergente et on appelle somme de la série cette limite et on la note
Par exemple, nous avons calculé plus haut la somme de la série de terme général .
Comme nous nous sommes placés dans le cadre des nombres positifs, la série converge si et seulement si la suite des sommes partielles est majorée.
L’idée derrière ceci est la suivante : puisque nous ajoutons toujours un nombre positif, soit la suite des sommes partielles tend vers l’infini (et donc peu importe le nombre qu’on choisit, on finira par le dépasser à un moment), soit il y a un nombre (le majorant) qu’on ne dépasse jamais, et on a alors que la série converge et on a alors que sa somme vérifie .
Avoir une suite de limite nulle suffit ?
Il est assez clair que pour que la série converge, la suite de ses termes doit tendre vers 0. En effet, on note qu’on a pour tout , . Par suite, si converge, tend vers . C’est une condition nécessaire de convergence. Par exemple, la série de terme général ne converge pas car ne tend pas vers 0. On dit qu’elle diverge grossièrement.
Malheureusement, bien que cela serait génial, ce critère n’est pas suffisant. Intéressons-nous par exemple à la série dite harmonique. Cette fois, on a pour ,
et donc
On a
d’où . En fait, on peut montrer par récurrence que
d’où
Sommes géométriques
Toujours dans cette idée, on peut étudier des séries très connues comme les séries géométriques.
On s’intéresse donc à la série suivante (on se place dans le cas ).
Un résultat connu est le suivant.
converge si et seulement si (on ne va regarder que le cas , mais c’est aussi vrai dans le cas où est négatif).
Le moyen le plus simple de montrer ce résultat est de calculer pour tout . Par récurrence, on montre que pour (nous n’allons pas faire la démonstration ici),
Pour , (c’est la somme des ).
Ceci nous permet donc de montrer le résultat.
- Pour , on a bien sûr que la série diverge (c’est la limite de en ).
- Pour , converge si et seulement si converge, et ceci converge si et seulement si converge, et donc si et seulement si (auquel cas, on a convergence vers ).
Et c’est déjà fini pour ce billet. On me signale à l’oreillette qu’une suite pourrait éventuellement apparaître un de ces jours avec cette fois des intégrales.
Une anecdote « amusante » : un jour je discutais avec quelqu’un et on parlait de cette difficulté qu’on peut avoir à concevoir qu’une somme infinie de nombre strictement positifs puisse converger. Et là, il me dit qu’il trouve ça plutôt surprenant et qu’il trouverait plus naturel de ne pas comprendre comment on peut « arriver à l’infini » en ajoutant à chaque fois quelque chose de plus petit. Qu’en pensez-vous ?
Pour plus d’informations sur les suites et les séries, je vous invite à vous pencher sur cette introduction aux suites et aux séries de @Holosmos et @Vayel.