C'est quoi le problème des sommes infinies

Pourquoi additioner une infinité de nombres positifs peut donner un résultat fini ?

Certaines choses sont intuitives, d’autres le sont beaucoup moins, et ici nous allons parler de quelque chose qui n’est pas du tout intuitif pour certaines personnes.

Pourquoi quand on additionne une infinité de nombres strictement positifs on peut obtenir un résultat fini ?

Pour commencer

C’est vrai ça, comment une telle chose peut arriver ? Le concept d’infini est peut-être abstrait, mais il semble assez naturel que si on prend une quantité, et qu’on lui rajoute sans cesse quelque chose, cette quantité ne va cesser d’augmenter. Fatalement, puisqu’elle ne cesse de grandir, si on prend n’importe quelle nombre, elle finit par être plus grande que ce nombre.

Et bien non… Et nous allons dès à présent casser le cou à cette idée en prenant un exemple.

  1. Notre nombre est 0,90{,}9.
  2. On lui ajoute 0,090{,}09. On a donc 0,990{,}99.
  3. On lui ajoute 0,0090{,}009. On a donc 0,9990{,}999.
  4. On lui ajoute 0,00090{,}0009. On a donc 0,99990{,}9999.
  5. Etc.

On se rend compte qu’à l’ajout nn, on obtient le nombre 0.9999n neuf0.\underbrace{99\ldots99}_{n \text{ neuf}}. Et donc à toutes les étapes, on a que notre nombre est plus petit que 11. C’est même plus que ça, on remarque qu’on se rapproche de plus en plus de 11. En fait,

limnk=1n910k=1.\lim_{n \to \infty} \sum_{k = 1}^n \frac{9}{10^k} = 1.

Et pourtant, on a rajouté quelque chose de non nul à chaque fois. Cela démonte déjà les a priori que l’on pourrait avoir.

Voici un autre exemple. Nous commençons par 00 et nous appelons unu_n le nombre rajouté à l’étape nn (donc u0=0u_0 = 0) et SnS_n le résultat à l’étape nn (donc S0=0)S_0= 0). Notre but va être de ne pas dépasser 1. Pour cela, nous allons construire un+1u_{n + 1} à partir de unu_n de la manière suivante :

un+1=1un2.u_{n + 1} = 1 - \frac{u_n}{2}.

Ainsi, à chaque tour on va rajouter la moitié de ce qu’il manque pour atteindre 11 ce qui bien sûr ne permettra pas de dépasser 11, même si on s’en rapproche de plus en plus).

Voici un programme Python nous permettant de calculer SnS_n pour un nn donné.

n = int(input())
u = 0
S = 0
for k in range(n):
    u = 1 - u/2 # On calcule le nouveau terme
    S += u      # On le rajoute à la somme
print(S)

Cet exemple peut être vu de la manière suivante : nous devons parcourir un mètre et pour cela nous décidons à chaque tour de parcourir la moitié de la distance restante.

En fait, cette visualisation est souvent source de blocage. En effet, autant nous pouvons imaginer facilement parcourir la moitié d’un mètre, puis la moitié de 50 centimètres, puis la moitié de 25 centimètres, autant à partir d’un certain seuil c’est beaucoup plus dur (vous imaginez quelqu’un parcourir la moitié de 0,00000000000000000000010{,}0000000000000000000001 centimètres ?).

Cette illustration avec la distance à parcourir se rapproche beaucoup du très connu paradoxe d’Achille et de la tortue.

D’autres exemples basés sur la même idée, sont faciles à construire (on rajoute un tiers plutôt que la moitié, on tire au hasard une quantité non nulle et strictement plus petite que la distance restante, etc.).

Et nous pouvons être contents, nous avons fait mieux qu’avoir des sommes ne valant pas ++\infty, nos sommes ne dépassent même pas 2 !

Un peu plus formellement ?

Un peu plus formellement, on définit les séries numériques. On part d’une suite numérique de terme général unu_n, et on définit la suite de ses sommes partielles en posant.

SN=k=0NukS_N = \sum_{k = 0}^N u_k

La série des unu_n est alors la suite de terme général SnS_n. Si cette suite a une limite, la série est dite convergente et on appelle somme de la série cette limite et on la note

k=0+uk.\sum_{k = 0}^{+\infty} u_k.

Par exemple, nous avons calculé plus haut la somme de la série de terme général 910k\frac{9}{10^k}.

k=0+910k=1.\sum_{k = 0}^{+\infty} \frac{9}{10^k} = 1.

Comme nous nous sommes placés dans le cadre des nombres positifs, la série converge si et seulement si la suite des sommes partielles est majorée.

L’idée derrière ceci est la suivante : puisque nous ajoutons toujours un nombre positif, soit la suite des sommes partielles tend vers l’infini (et donc peu importe le nombre qu’on choisit, on finira par le dépasser à un moment), soit il y a un nombre MM (le majorant) qu’on ne dépasse jamais, et on a alors que la série converge et on a alors que sa somme SS vérifie SMS \leq M.

Avoir une suite de limite nulle suffit ?

Il est assez clair que pour que la série converge, la suite de ses termes doit tendre vers 0. En effet, on note qu’on a pour tout n>0n > 0, un=SnSn1u_n = S_n - S_{n - 1}. Par suite, si SnS_n converge, un=SnSn1u_n = S_n - S_{n - 1} tend vers 00. C’est une condition nécessaire de convergence. Par exemple, la série de terme général un=nu_n = n ne converge pas car unu_n ne tend pas vers 0. On dit qu’elle diverge grossièrement.

Malheureusement, bien que cela serait génial, ce critère n’est pas suffisant. Intéressons-nous par exemple à la série dite harmonique. Cette fois, on a pour n>1n > 1,

un=1nu_n = \frac{1}{n}

et donc

Sn=k=1n1k.S_n = \sum_{k = 1}^n \frac{1}{k}.

On a

S2nSn=k=n+12n1kk=n+12n12n=n2n=12.S_{2n} - S_n = \sum_{k = n + 1}^{2n} \frac{1}{k} \geq \sum_{k = n + 1}^{2n} \frac{1}{2n} = \frac{n}{2n} = \frac{1}{2}.

d’où Sn+S_n \to +\infty. En fait, on peut montrer par récurrence que

S2nn2H1=n2S_{2^n} \geq \frac{n}{2} H_1 = \frac{n}{2}

d’où

Snlog2n2.S_n \geq \frac{\left\lfloor\log_2 n \right\rfloor}{2}.

Sommes géométriques

Toujours dans cette idée, on peut étudier des séries très connues comme les séries géométriques.

On s’intéresse donc à la série suivante (on se place dans le cas q0q \geq 0).

Sn=k=0nqk.S_n = \sum_{k = 0}^n q^k.

Un résultat connu est le suivant.

Résultat

SnS_n converge si et seulement si q<1\left|q\right| < 1 (on ne va regarder que le cas q>0q > 0, mais c’est aussi vrai dans le cas où qq est négatif).

Le moyen le plus simple de montrer ce résultat est de calculer SnS_n pour tout nn. Par récurrence, on montre que pour q1q \neq 1 (nous n’allons pas faire la démonstration ici),

Sn=1qn+11q.S_n = \frac{1 - q^{n + 1}}{1 - q}.

Pour q=1q = 1, Sn=nS_n = n (c’est la somme des 11).

Ceci nous permet donc de montrer le résultat.

  • Pour q=1q = 1, on a bien sûr que la série diverge (c’est la limite de nn en ++\infty).
  • Pour q1q \neq 1, SnS_n converge si et seulement si 1qn+11q\frac{1 - q^{n + 1}}{1 - q} converge, et ceci converge si et seulement si qn+1q^{n + 1} converge, et donc si et seulement si q<1\left|q\right| < 1 (auquel cas, on a convergence vers 00).

Et c’est déjà fini pour ce billet. On me signale à l’oreillette qu’une suite pourrait éventuellement apparaître un de ces jours avec cette fois des intégrales.

Une anecdote « amusante » : un jour je discutais avec quelqu’un et on parlait de cette difficulté qu’on peut avoir à concevoir qu’une somme infinie de nombre strictement positifs puisse converger. Et là, il me dit qu’il trouve ça plutôt surprenant et qu’il trouverait plus naturel de ne pas comprendre comment on peut « arriver à l’infini » en ajoutant à chaque fois quelque chose de plus petit. Qu’en pensez-vous ?

Pour plus d’informations sur les suites et les séries, je vous invite à vous pencher sur cette introduction aux suites et aux séries de @Holosmos et @Vayel.

4 commentaires

@Holosmos c’est normal, les mentions dans les contenus ne créent pas de notifications.

Un billet sur les super sommations, c’est pas dans mon calendrier actuel (et il y a sûrement plus qualifié que moi pour cela), mais qui sait… Et puis les calendriers sont faits pour ne pas être respectés.

J’aime pas les résultats négatifs moi ! Restons positifs et tout ira mieux. D’ailleurs, un conseil qui ressort souvent c’est de rester naturel.

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