Si je pose ici, sur Zeste de Savoir, la question « Sais-tu coder ? », je vais avoir beaucoup de réponses positives. Que ce soit professionnellement ou pour soi, beaucoup ont des notions de programmation. Mais si je pose la question « Sais-tu dessiner ? », je peux parier sans trop risquer que la plupart me sortirons une réponse négative, accompagnée parfois d’un « Je dessine mal / comme un enfant ».
Personnellement, je pratique les deux, bien que le dessin ne soit ni issu d’une formation scolaire, ni d’une orientation professionnelle. Je ne prétends pas être un dessinateur prestigieux, mais j’aimerai humblement vous montrer que le dessin et la programmation ont plus de points communs qu’il ne parait au premier abord.
Une base solide est nécessaire
En programmation, on parlera d’algorithmique, de bonnes pratiques, savoir bien choisir sa structure de donnée, etc. En dessin, on parle d’ombrage, de perspective, de choix des couleurs. Dans les deux cas, on peut s’en passer, mais dans les deux cas, on finit, à un moment ou un autre, par s’en mordre les doigts et on y revient malgré tout.
Certains dessins semblent très beaux à voir, mais ils laissent paraitre le manque de base de leur auteur dans certains cas. De la même manière qu’un site ou une application à l’interface claire et agréable peut cacher un vrai champ de bataille quand on plonge dans le code, de même, certains dessins en mettent plein la vue, avec des effets supers et des personnages à l’anatomie développée 1. Pourtant, il manque quelque chose.
Sur un de mes dessins, j’avais fais une coloration à l’aquarelle, qui donne de ma vie au dessin. Cependant, j’avais complètement raté la perspective d’un bras, qui, même s’il était presque entièrement caché, n’etait pas bon.
Je n’ai pas pris non plus le temps de faire des vignettes, qui sont au dessin ce que les POCS et autres « tests vite fait » sont à la programmation. Du coup, impossible de savoir à l’avance quels seraient les points les plus problématiques et donc de faire des tests et essais supplémentaires pour mieux les appréhender.
La pratique faisant, les bases s’intègrent et on construit dessus sans même y repenser consciemment, tout comme un programmeur expérimenté devine d’avance quels algorithmes ou structures de données seront les plus efficaces pour son problème. Mais il faut bien évidemment les apprendre et les maîtriser relativement pour progresser.
Quelques principes
- La perspective. C’est l’art de donner de la profondeur, d’agencer des formes entres elles et qui s’applique à tous les éléments. Un simple visage vu de 3/4 montre bien qu’un œil semble plus petit que l’autre, qu’une narine est plus grosse et visible que l’autre, etc.
- L'ombrage. L’art de donner de la profondeur et du volume en jouant avec la présence et l’absence de lumière. Non seulement il y a les zones que la lumière frappe directement, mais aussi les reflets d’une surface sur une autre, les ombres portées, la diffusion et j’en passe.
- La vision 2D. C’est la capacité à aplatir les formes et les objets, pour simplifier une scène 3D complexe et bien voir les relations entres objets (tiens, celui-là est devant celui-ci, sa taille est 3x celle de l’autre, etc).
- La vision 3D. C’est la capacité à visualiser un objet en 3D, être capable de se le représenter mentalement, le regarder sous différents angles et donc de pouvoir le dessiner en variant son angle et sa perspective. Si vous pensez que c’est si facile, prenez un objet de votre bureau, regardez-le quelques seconds puis essayez, en fermant les yeux, de vous le représenter mentalement en le faisant tourner, en le voyant sous plusieurs angles.
- Une mémoire visuelle. Un bon dessinateur ne dessine pas tout d’imagination, mais il mixe plusieurs éléments de sa mémoire et de son invention. S’il y arrive, c’est parce qu’il observe et emmagasine des images et des objets pour les combiner ensuite entre eux.
- L'anatomie. Pas besoin d’apprendre les noms des muscles et des os. Par contre, savoir comment ils s’agencent entre eux, leurs relations, leurs positions permet ensuite de dessiner le corps humain dans n’importe quelle posture tout en restant anatomiquement et physiquement correct. Bien sûr, une fois ce principe acquis, on peut s’amuser à tricher avec l’anatomie et déformer les corps.
- D’autres encore.
Le médium ne compte pas
Ou presque pas. Comme le langage de programmation en fait. Bien sûr, il y a des cas où l’on n’a pas le choix, ou bien des cas où il est insensé d’utiliser un langage alors qu’un autre est bien plus adapté. Mais, la plupart du temps, on s’en tape. On peut développer son application mobile en C++, en Java, en Kotlin et d’autres. Pour votre back-end, prenez Python, prenez Ruby, prendre C#, on s’en balance, faîtes vous plaisir.
Ce principe reste valable en dessin. Vous voulez dessinez avec du fusain ? Foncez ! Du crayon HB qu’on trouve partout ? Où est le problème ? Et le stylo-bille, vous y avez pensé ? Il existe une telle pléthore de médiums différents qu’il y a largement de quoi expérimenter tout en se faisant plaisir.
Bien sûr, certains médiums restent plus adaptés que d’autres. L’encre de Chine met du temps à sécher, alors mieux vaut éviter si vous enchaînez les croquis courts. De même, faire du dessin technique avec du fusain est une mauvaise idée, le médium étant bien trop gras. Mais, quand il s’agit de s’amuser, de découvrir et d’apprendre, s’ouvrir à un plus large panel d’outils donne une vision plus ouverte et plus originale, tout comme apprendre plusieurs langages et paradigmes aide un développeur à élargir son raisonnement.
De manière générale, ce qui compte, c’est d'appliquer les principes et de réfléchir à ce que vous faîtes. Le fait d’utiliser une tablette graphique ne fera pas de vous un meilleur dessinateur par magie.
Quelques médiums
- Le crayon. Tellement courant, on a pourtant beaucoup à apprendre avec lui. On peut le trouver sec (les H), pour du dessin fin et précis, type industriel ou architectural, ou bien gras (les B) pour du dessin moins précis mais des traits plus vivants et plus agréables (point de vue personnel).
- Le stylo. Lui aussi on le trouve partout. Comme il est à encre, il force à mieux réfléchir à ses traits puisqu’on ne peut pas effacer une fois qu’il est appliqué.
- Le fusain. Très gras, baveux, on l’utilise pour travailler en volumes et non en traits. C’est une autre façon de dessiner qui est très amusantes. Un bon moyen de progresser avec les ombres et la 3D.
- L'aquarelle. De la couleur liquide pour mettre de la vie sur vos dessins et croquis. L’avantage, c’est qu’elle s’emporte facilement avec soi et sèche très vite, puisque c’est de l’eau.
- D’autres encore.
Une pratique décérébrée n’amène à rien
Certains dessinateurs en apprentissage vont enchainer des dizaines de croquis dans tous les sens, travailler avec acharnement et pourtant ne récolter que de maigres fruits. En effet, si l’on ne réfléchit pas à ce qu’on veut travailler, ou le domaine dans lequel on veut progresser, on se disperse et résultat, on stagne partout. C’est un peu comme un programmeur qui enchainerait des exercices pour travailler l’algorithmie, puis le multi-threading, puis du spécifique C++, etc. Certes il pratique beaucoup, mais il n’aura pas l’impression de progresser beaucoup dans chacun de ces domaines.
Une réflexion préalable « Que sais-je faire ? Quels sont mes points faibles ? Comment travailler dessus ? » est bien plus efficace, car elle cible les difficultés et permet donc de les surmonter plus rapidement et de façon plus motivante. On peut ainsi se dire « Je suis mauvais à dessiner les mains, alors je vais travailler aujourd’hui leur anatomie », comme un codeur se dirait « Je suis mauvais dans le multi-threading, je vais faire des exercices pour appréhender la bête ».
Quelques exercices
- Dessiner de mémoire. Cela permet de se focaliser sur les objets qu’on voit pour mieux les retenir et donc être capable de les redessiner dans n’importe quel contexte. C’est la base du dessin d’imagination. On peut ainsi observer une minute un objet, puis le redessiner la minute d’après, sans le regarder.
- Dessiner sans regarder le support. Perturbant, mais permet de se détacher du trait qu’on dessine et de mieux libérer son trait.
- Dessiner du vivant. On pense à la personne nue qui pose devant vous, mais ça peut très bien être dessiner dans le métro, dans le RER, dans la rue, des gens qui n’ont rien demandé. Cela permet de travailler la mémoire à court-terme et la vitesse d’exécution.
- Dessiner des vignettes. Ces petits carrés, qui ne font pas plus de quelques centimètres de large. Comme ils sont petits, on peut en remplir beaucoup, ce qui permet de tester plusieurs compositions pour une scène, plusieurs positions pour un personnage, jouer avec la lumière, etc.
- Dessiner avec le moins de traits possible. Ainsi, on se force à mieux penser puisque nous n’avons qu’un nombre limité de coups de crayon à donner pour transmettre l’idée. Cela donne aussi des dessins moins chargés et plus fluides.
- Dessiner uniquement les reliefs et les ombres. Hop, finis les traits, ce nez ne sera dessiné que par jeux d’ombres et de lumière 2.
- D’autres encore.
La pratique est essentielle
Comme dans n’importe quel domaine. Regarder des speed-drawings ou des tutoriels pas-à-pas n’aide pas à avancer et progresser. L’injustice du dessin, c’est que les progrès sont moins visibles que pour de la programmation. C’est la dure loi de l’Art.
Cependant, pratique ne rime pas avec obsession. Rien ne sert d’enchainer les croquis des heures durant. Le cerveau doit respirer et se reposer pour assimiler de nouvelles connaissances. La régularité pait néanmoins sur le long terme. Une quinzaine de minutes par jour vous ferons très vite progresser.
Le domaine est large
Pour beaucoup, le dessin se doit d’être réaliste sinon il n’est pas beau. C’est se limiter dans son champ de possibilités. Pourquoi ne devriez-vous coder que des applications CLI pour GNU/Linux quand il y a aussi Windows, le Web, Android, les applications avec GUI ? Le dessin aussi ne se limite pas qu’au réalisme ou aux portraits. Il y a aussi les paysages, les machines, les animaux, la caricature, le symbolisme, etc.
Il y en a pour tout le monde, tous les goûts et toutes les compétences.
Quelques mythes et blocages
Terminons en abordant quelques mythes qui ont court sur le dessin. Vous ne vous mettrez peut-être pas au dessin après ça, mais au moins, j’espère que j’aurai réussi à vous donner une vision plus réaliste de ce qu’il est.
Il faut un don / du talent pour dessiner.
Non. Certains auront plus de facilité parce qu’ils visualisent mieux en 3D ou ont une meilleure intuition pour placer les ombres. Mais au final, c’est toujours le travail qui paye. As-tu appris la programmation parce que tu avais un don et une logique divins lors de ta naissance ? Non ? Pourquoi en serait-il différent du dessin ?
Je ne suis plus un enfant, c’est trop tard.
Les enfants ont un avantage certains sur nous, celui de ne pas avoir peur du jugement. Un enfant dessine parce que cela lui fait plaisir et se fiche de savoir si son cheval ou sa voiture est parfaitement ressemblant. Beaucoup abandonnent à l’adolescence, à l’âge où l’on prête bien plus d’attention et de valeur à ce que pensent les autres.
Le dessin demande d'accepter la critique. Cette étape franchie, rien ne nous empêche d’apprendre. Les blocages viennent bien souvent plus de nous-mêmes qu’autre chose.
Dessiner ne sert à rien.
Je me permets de citer ici Max Royo, dans les arguments qu’il avait sorti à l’époque de son tutoriel sur le dessin, sur feu le SdZ.
Même si tout le monde ne devient pas artiste et n’en fait pas sa profession, pourquoi dessiner serait moins important que lire, écrire et compter ? Comme le disait Betty Edwards, une célèbre professeure de dessin, on enseigne bien les langues et les mathématiques, sans pour autant que tout le monde deviennent écrivain, poète ou mathématicien.
Dans le monde remplis d’images en toute sorte, c’est un avantage certain de savoir lire et décrypter des images, compétences qui s’apprennent notamment en dessin.
Tel ou tel médium me rendra meilleurs.
C’est sûr, en essayant différentes choses, on pratique et on progresse. Mais penser que, magiquement, la progression décolle, c’est se mettre le doigt dans l’œil. Le matériel ne fait pas l’artiste. Un dessinateur chevronné dessinera mieux avec un simple stylo-bille qu’un amateur avec des pastels ou des crayons de grande marque.
Un PC plus puissant fait-il de toi un meilleur développeur ? Allez-vous en profitez pleinement alors mêmes que tu fais des Hello Worlds ? Le dessin c’est pareil. Les médiums s’apprécient mieux à leur juste valeur quand ils répondent à un besoin précis ou parce qu’on a suffisamment de bouteille pour vouloir élargir notre champ de compétences.
Je dessine mal. Je rate mes dessins.
T’inquiète pas, tu codes mal aussi.
Il est normal d’échouer et de rater. As-tu appris à marcher sans jamais tomber ? As-tu appris le français sans jamais faire de faute de langue ? As-tu appris à conduire sans jamais caler ? Quand tu programme, ton code compile et roule direct sans erreur ?
Échouer, c’est progresser, c’est apprendre, c’est s’améliorer. Le dessin ne fait pas exception. Je ne compte plus les dessins ratés parce qu’un nez est tordu, un visage massacré, un bras mal placé, etc. Mais le tout est d'apprendre de ses erreurs pour savoir ce qui les a provoquées et comment ne plus les refaire.
Le dessin demande trop de temps.
Le dessin est effectivement consommateur de temps. Les progrès sont aussi moins visibles que dans d’autres domaines, comme la programmation. Il y a moins de pas-à-pas qui donne des retours immédiats. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas l’apprendre. Tout est une question de priorité et surtout d’envie. C’est la passion qui va vous motiver et vous faire trouver le temps.
Une pratique quotidienne va vous faire progresser bien plus vite que vous ne pensez et cela entretiendra votre motivation. Et comme le dessin est une activité peu encombrante, vous pouvez emporter partout un petit carnet, sur lequel vous gribouillerez dans les moments creux, comme chez le médecin ou dans le train. Vous savez, les moments où on sort le téléphone par réflexe.
Bon, je commence où ?
Ah, la question la plus importante. Je peux te recommander deux ressources qui m’ont beaucoup aidé et motivé au fil du temps.
- Le blog Apprendre à dessiner. Plein d’articles et de conseils gratuits, une chaîne Youtube ainsi que des formations vidéos (payantes).
- Max Royo et son site. Il passe (passait ?) également sur les forums d’Openclassrooms pour donner des conseils aux débutants.