Vous l’avez sûrement lu dans vos journaux préférés fin août, le réacteur à neutron rapide refroidi au sodium ASTRID ne verra (probablement) pas le jour. Sans se prononcer sur cette décision en elle-même, n’y aurait-il pas des conséquences indirectes très fâcheuses ? Ici, je vais en développer une : l’augmentation presque instantanée et très importante de la quantité de déchets nucléaires.
Avant de commencer, j’indique à toute fin utile que je ne travaille pas à EDF, ni au CEA, et que ce que je vais présenter est au moins en partie de la spéculation, et que mes paroles n’engagent que moi.
L'arrêt du projet ASTRID
La 4ème génération
ASTRID est/était un démonstrateur de la technologie de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. L’intérêt était que ces neutrons peuvent fissionner facilement plutonium, américium et autre curium, ce qui aurait réduit énormément l’activité des déchets, et surtout, la durée durant laquelle ils sont dangereux.
Il existe beaucoup de concepts de réacteurs de 4ème génération : Nos voisins belges, roumains, italiens et suédois regardent du coté des réacteurs refroidis au plomb, les Danois font plutôt de l’oeil aux sels fondus, mais c’est une idée qui est étudiée un peu partout. En France, on voulait capitaliser sur l’expérience des réacteurs Rapsodie, Phénix et Superphénix, d’où le choix de la technologie.
Une période de grands projets coûteux
Le domaine du nucléaire en France est embarqué dans un certain nombre de grands projets
- Vous aurez tous entendu parler de l’EPR de Flamanville. Le coût a explosé, et la date de mise en service est régulièrement repoussée.
- ITER coûte aussi une petite fortune dans le domaine de la fusion.
- Le réacteur Jules Horowitz a aussi connu des déboires, et il va falloir finir le financement.
- Le projet d’enfouissement des déchets nucléaires est confronté à une vive opposition.
- Et on avait donc ASTRID.
Chacun de ces projets est important, respectivement pour 1) renouveler le parc nucléaire français, qui permet à la France d’avoir l’une des éléctricités les plus propres du monde, 2) faire des progrès vers la fusion nucléaire, qui si elle n’est pas parfaite a beaucoup d’avantages, 3) produire des isotopes médicaux et permettre de tester des matériaux sous irradiation (pas seulement pour le nucléaire), 4) faire quelque chose des déchets à longue durée existants et donc 5) brûler certains déchet et "fermer le cycle du combustible". On pourrait presque ajouter à la liste les EPRs qui viennent de commencer en Angleterre.
Dans le contexte actuel d’une industrie qui ne roule pas sur l’or, c’était compliqué de tout continuer, et le projet au plus long terme (à part ITER, qui est une collaboration internationale et sur laquelle la France ne peut pas décider seule) en a donc fait les frais.
Les contours de la décision
À ma connaissance, on ne connaît pas encore tous les détails. ASTRID ne sera pas construit, ça semble acté. Mais la question importante pour la suite de ce billet, c’est de savoir si les programmes de R&D sur la GEN IV vont continuer ou pas. Et si ils s’arrêtent, il y aura une conséquence grave pour EDF presque immédiatement, qui viendra des déchets.
De nouveaux déchets
Que sont les déchets nucléaires
À ce jour, il y a un certain nombre de déchets : ceux dont on a parlé plus haut (Pu, Am, Cu), les produits de fission radioactifs (Cs, I, …) et les matériaux activés (les murs en bétons, cuves en acier, gants, …). Mais dans un combustible usagé, ça ne représente qu’une petite fraction. La grosse majorité, c’est de l’uranium appauvri (moins de 0.7% d’U-235, le reste étant de l’U-238). Et jusqu’à maintenant, puisque l’uranium appauvri, en conjonction avec du plutonium, était considéré comme combustible pour la GEN IV, ce n’était pas un déchet, mais un matériau valorisable. Si on arrête toutes nos activités sur les réacteurs à neutrons rapides, ce sera un déchet.
Sources d’uranium appauvri
Comme on vient de le dire, il y a beaucoup d’uranium appauvri dans le combustible usé. Mais il y a une autre source, encore plus importante en terme de volume : l’enrichissement de l’uranium. L’uranium naturel a environ 0.7% d’U-235. Pour faire le combustible, on en veut presque 5%. Du coup en considérant qu’on puisse tout récupérer, pour 1 kg de combustible, on aurait un peu plus de 6 kg d’uranium appauvri. Dans la réalité, on ne récupère pas tout, donc on a encore plus d’uranium appauvri.
De combien on parle ?
De 315000 tonnes. C’est énorme.
Les conséquences
Et bien si on venait à changer la catégorie de l’uranium appauvri, il faudrait le traiter en tant que tel. C’est à dire non seulement s’occuper des 315000 tonnes existantes, mais aussi de tout ce qui va continuer à sortir des réacteurs. Peut-être redésigner les solutions de stockages aussi. Je n’ai pas de chiffres, et je ne crois pas qu’il en existe à l’heure actuelle, mais on perlerait de milliard d’euros, qu’EDF n’a pas. Pour un matériau qui pourrait être tellement utile…
Continuer un programme avec un groupe réduit coûterait probablement beaucoup moins cher…
Je répète ici que ce billet est principalement de la spéculation, sur le changement de classification de l’uranium appauvri qui découlerait d’un arrêt de nos activités dans le domaine de la GEN IV. Aucune source interne, aucun communiqué officiel, ni rien d’autre ne confirme ce que j’ai écrit. Prenez-le avec un grain de sel.