Comment marchent les primaires démocrates aux États-Unis ?

Les primaires américaines démocrates commencent. Qui défiera Donald Trump ? On le saura au terme d'un long processus...

Depuis des mois, plusieurs dizaines de démocrates font campagne pour les primaires 2020. Leur objectif : remporter la nomination pour défier et battre Donald Trump le 3 novembre prochain.

Mais comment marchent les primaires démocrates aux États-Unis ? Pas avec des jambes à priori. Enfin bref, le fonctionnement n’est pas simple, donc voici un récapitulatif pour vous aider à comprendre ce que vous lirez lors des prochains mois !

Un grand merci à @DaniyaTraor, @Amaury, @Alexandre et @Melcore pour leurs relectures et leurs conseils.

Le processus général

La sélection d’un candidat à la présidentielle se fait en deux étapes majeures : la selection de représentants dans les 50 états du pays, puis la nomination d’un candidat à l’assemblée nationale démocrate.

La sélection de représentants dans les états

Chaque état va élire, par des processus différents, deux types de représentants qui participeront à l’assemblée nationale des démocrates déterminant le résultat de la primaire :

  • Des représentants engagés (pledged delegates) : ce sont les représentants qui, une fois choisis, seront obligés de voter pour le candidat qu’ils représentent lors de l’assemblée nationale des démocrates

  • Des représentants non-engagés (unpledged delegates) : généralement des membres de la bureaucratie démocrate (ancien officiels par exemple), ils sont libres de voter pour qui ils veulent. Cependant, depuis cette primaire, ils ne peuvent pas voter au premier tour sauf si un candidat est certain de l’emporter

Le nombre de représentants alloués à chaque état varie selon plusieurs facteurs, notamment (mais indirectement) par son nombre d’habitant et la date de son scrutin.

Beaucoup d’états ont des fonctionnement différents pour la selection de ces représentants. On distingue deux types de scrutin différents que je détaillerai :

  • Des primaires : on va voter, mais il y a des subtilités sur le calcul des résultats
  • Des caucus : on participe à une discussion dans une salle, on essaie de convaincre ceux qui hésitent, puis on calcul qui est pour qui

Qui peut voter / participer ?

C’est assez complexe, selon les états, on a des primaires fermées (seuls les adhérents du parti politique peuvent voter), semi-fermées (on rajoute ceux non affiliés à un parti), ouvertes (n’importe quel votant), semi-ouvertes (n’importe quel votant mais on ne peut participer qu’à un seul scrutin).

L’assemblée nationale des démocrates

Il y a 3979 représentants engagés qui sont élus, et un total de 771 non-engagés, lors de ces élections dans les différents états. Même si en fonction du nombre de représentants engagés pour chaque candidat on peut avoir une idée plus ou moins précise de qui va remporter la primaire, ce n’est pas toujours le cas. C’est lors de l’assemblée nationale des démocrates (la democratic national convention) qui aura lieu du 13 au 16 juillet 2020 que sera désigné l’opposant au vainqueur de la primaire des républicains. cette dernière se déroule simultanément (il y a peu de doute sur le fait que le président actuel Donald Trump représentera le parti).

Un premier vote avec uniquement les représentants engagés aura lieu. Si un candidat obtient 1990 votes ou plus, il sera choisi. Si ce n’est pas le cas, d’autres votes auront lieu avec les représentants non-engagés (2376 votes requis sur les 4750 représentants) jusqu’à ce qu’un candidat soit désigné.

Les débats et sondages

De nombreux débats ont lieu entre les candidats : 12 pour être précis (les premiers sur plusieurs jours à cause de l’importance du nombre de candidats), dont 7 avant que le premier état ne vote. C’est une opportunité d’apprendre à connaître les candidats et leurs opinions sur les différents sujets. Au fur et à mesure des débats, les candidats se voient imposés des conditions (en terme d’intention de votes notamment) pour participer aux débats suivants.

De nombreux instituts organisent des sondages, aussi bien au niveau national que dans des états spécifiques. Plusieurs sites proposent un aggrégat de ces sondages, comme RealClearPolitics , 270ToWin ou encore FiveThirtyEight

Le choix des représentants en détails

Rentrons plus en détail de le fonctionnement général des primaires dans chaque état. Il y a énormément de variations puisque les états ont une grande marge de manoeuvre sur la manière dont cela se passe.

Une règle d’or domine les esprits : les candidats obtenants moins de 15% des votes sont considérés comme non viables, et ne peuvent obtenir de délégués. Donc en théorie, un candidat qui obtient 10% des voix pourrait se retrouver à l’assemblée nationale des démocrates avec 0 représentants. Mais… vous allez voir !

Les caucus

L’idée d’un caucus est de réunir des gens dans des endroits appelés precincts dans lequel ils vont se regrouper selon le candidat qu’ils désirent soutenir. Pendant quelques dizaines de minutes, les votants qui ne se sont pas encore décidés vont tourner et aller discuter avec chacun des groupes.

À la fin, on regarde le nombre de personne dans chaque endroit de la pièce, et on calcule à partir de ça le % de soutiens à chaque candidats. Ce n’est pas fini : les votes pour des candidats qui ont eu moins de 15% vont être redistribués. Il y a un deuxième tour (dans la foulée, le caucus entier ne dure en général qu’une ou deux heures), dans lequel les votants ayant choisis un candidat non-viable vont pouvoir voter pour un autre candidat (sauf si suffisamment de votants d’un autre candidat non-viable les rejoignent leur permettant de franchir la barre des 15%).

Ce déroulé se fait dans des milliers de precincts. À la fin de chacune de ces caucus, plusieurs représentants sont choisis pour représenter les candidats qui ont gagnés, dont le nombre exact dépend du nombre de personnes affectés à ce precinct. Ces représentants iront ensuite se réunir plus tard dans une assemblée de tous les représentants choisis pour l’unité territoriale dans laquelle ils sont, puis lors de cette assemblée, voteront et choisirons des représentants pour faire la même chose au niveau de l’état.

On a donc le système de représentants de tous les états-unis répliqué à l’échelle de chaque état… assez complexe comme système. De nombreux entraînement pour le caucus sont organisés par les états qui les pratiquent pour permettre aux gens d’être à l’aise avec le déroulement et de le faire de manière efficace le jour J.

Si vous avez bien suivi, vous avez compris une subtilité intéressante : le jour du caucus, on a pas de résultat définitif du nombre de représentants que chaque candidat va avoir, mais uniquement une idée (généralement relativement précise quand même)

Les primaires

Les primaires, c’est plus simple : on va voter le jour donné, et à la fin de la journée on a les résultats du nombre de représentants obtenus par chaque candidat.

15%, le nombre clef

En dessous de 15%, candidat non-viable, c’est terminé. 0 représentants donc ? Généralement, oui. Mais pour les caucus comme pour les primaires, les délégués ne sont en général pas distribués par l’état directement mais pas des régions. Résultat, un candidat qui est viable dans une seule de ces régions pourrait récupérer par exemple un représentant, alors qu’à l’échelle de l’état il ne dépasse pas les 15%.

La barre des 15% a une influence considérable sur la manière dont les candidats vont planifier leurs stratégies. C’est assez vrai dans les états qui utilisent le système de caucus, puisqu’à la fin, personne ne peut voter pour des candidats non viables. Une occasion pour les candidats "de second rang" de faire des appels discrets d’alliance à d’autres…

Le calendrier, tout sauf un détail

L’élection présidentielle est le 3 novembre, l’assemblée nationale des démocrates du 13 au 16 juillet.

De février à juin, ce sont les primaires et caucus dans chaque état. Et même si certains états permettent un early voting qui allonge la période réelle de vote, l’ordre a toute son importance.

Les états avant-gardistes

Les early states prennent leur rôle très au sérieux. L’Iowa (3 février), le New Hampshire (11 février), le Nevada (22 février) et la Caroline du Sud (29 février), bien que ne donnant que peu de délégués (4% à eux quatre seulement), sont l’épicentre des efforts de la plupart des candidats en marge des élections. Et pour cause, ils donnent une tendance qui peut influer beaucoup sur les états suivants. On notera par exemple en 2016 l’Iowa gagné de justesse par Hillary Clinton et le New Hampshire gagné par Bernie Sanders qui ont aidé à propulser la dynamique de ce dernier candidat, et l’a aidé à continuer son ascension qui ne lui permettra cependant pas de gagner.

L’Iowa, état fonctionnant par Caucus et ouvrant le bal, se voit comme un baromètre de la course à la nomination démocrate. Et ce n’est pas sans raison, les quatre derniers vainqueurs du caucus ont fini par gagner la primaire. Pourtant, on reproche à l’Iowa d’avoir une population peu représentative des États-Unis en général, avec notamment beaucoup moins d’afro-américains que la moyenne du pays. Un choix donc contesté pour cet état avec une position clef.

Super Tuesday

Le 3 mars 2020 est un jour un peu particulier : c’est le Super Tuesday, un nom donné à chaque élection au jour avec le plus de représentants assignés. En effet, ce Super Tuesday verra les primaires de 14 états (dont la Californie et le Texas qui pèsent lourds en terme de représentants), auquelles s’ajoutent le territoire des Samoa américaines et les expatriés américains.

33% des représentants engagés sont en jeu, faisant de ce jour un tournant potentiel des primaires.

Et pour la suite

14% des représentants engagés sont élus la semaine suivante, et 10% celle d’encore après : inutile de dire que ce sont quelques semaines très denses pour les candidats. À ce moment là, on a donc 61% des représentants qui sont attribués.

On continue ensuite tranquillement le voyage toutes les quelques semaines, jusqu’au 2 juin 2020 pour 4 derniers états et D.C., avec éventuellement le 6 juin un caucus aux îles vierges américaines.

On notera que les dates des différentes primaires sont décidées par les états eux-même, avec certaines restrictions au niveau national leur empêchant tout de même d’abuser de ce droit (notamment par l’influence qu’a la date sur le nombre de représentants alloués à chaque état !)

Le jeu des alliances, une balance très fragile qui peut tout changer

Vous me suivez encore ? Super, vous y êtes presque. Vous avez compris la manière dont fonctionnait les primaires démocrates américaines d’un point de vue logistique.

Mais il reste des idées importantes à connaître pour avoir une bonne idée des enjeux qu’ont les candidats et les électeurs. On est resté jusqu’à maintenant relativement dans le théorique. Pour cette dernière partie on parlera un peu plus directement de la primaire actuelle de 2020.

Le running mate, un enjeu de taille

De manière systématique aux États-Unis, les candidats à l’élection présidentiel annoncent un partenaire de campagne, un running mate, désigné pour être le vice-président (qui peut être comparé en France au premier ministre pour simplifier, bien qu’ils aient des rôles bien différents). C’est une figure qui accompagne beaucoup le président lors de la campagne et influence les votes.

Dans certains cas, un candidat à la primaire peut annoncer son colistier. Et pourquoi pas un autre candidat ? Cela peut permettre de récupérer de précieux représentants engagés de manière à récupérer la nomination des démocrates…

Pour l’heure, aucun candidat n’a fait de telle annonce. Tout ce que l’on sait, c’est que Joe Biden (ancien VP d’Obama, actuellement en tête des sondages) a annoncé qu’il ne serait pas contre avoir un républicain comme colistier si cela lui permettait de vaincre Donald Trump.

L'establishment contre les progressive

Bernie Sanders, numéro 2 des sondages, représente la vague socialiste qui s’empare des démocrates et les pousse plus à gauche qu’à l’habitude. Officiellement sénateur indépendant (et non démocrate), il a bâti sa campagne grâce à un nombre sans précédent de donateurs venant de la classe populaire, et doit faire face à un parti démocrate représenté par Joe Biden, plus à droite, qui a du mal avec des idées très progressives.

Elizabeth Warren, numéro 3 ou 4 des sondages, est sur un bord proche de celui de Bernie Sanders. Après avoir beaucoup grimpé dans les sondages, elle est retombée vers 15% au niveau national. Bernie Sanders, derrière Joe Biden, aurait-il intérêt à proposer à Elizabeth Warren un poste de VP, sachant que cela augmenterait ses chances de rafler la nomination ? Ce n’est pas évident du tout. Déjà, parce qu’avec toute cette bande de vieux en tête de liste, on s’attend plutôt à voir un/une jeune, potentiellement venant d’une minorité, prendre le poste pour augmenter le spectre des votants susceptible de les aider lors de l’élection générale. Ensuite, beaucoup de tensions ont été organisées entre les électeurs de Sanders et ceux de Warren malgré leur forte proximité en terme idéologique. Une telle alliance risquerait d’aliéner des votants dans les deux camps, alors qu’attendre l’assemblée nationale des démocrates et demander à ses représentants de voter pour Sanders pourrait potentiellement rapporter plus de voies… ou pas.

Les arrêts lors de la course à la nomination et les alliances sont un jeu très important. Un candidat comme Pete Buttigieg, numéro 3/4 avec Warren et proche idéologiquement de Biden (mais beaucoup plus jeune ;)), a une influence très importante sur le résultat final : s’il s’arrête rapidement et supporte Biden, ce dernier aurait un avantage considérable sur le reste de la troupe, s’il s’accroche, Bernie Sanders a une voie plus facile pour remporter la nomination.

Et contre Donald Trump ?

Et oui, ça joue. Un candidat qui a peu de chance de l’emporter risque de perdre beaucoup de votes de raisons même si ses politiques séduisent. Ce même type de raisonnement logique favorise actuellement Bernie Sanders.

Pourquoi ? Bernie Sanders est un indépendant socialiste, loin de l’establishment de Clinton qui avait été rejeté déjà en 2016. Nombre de ses supporteurs ont été furieux de voir cet establishment favoriser sa rivale (notamment grâce aux représentants non-engagés qui ne sont pas élus mais choisis parmi l’establishment démocrate justement.), et de manière générale n’en veulent plus de ces politiques traditionnelles. De ce fait, le phénomène "#BernieOrBust" qui indique que les supporteurs de Sanders ne voteront pas pour le candidat démocrate si ce n’est pas Sanders, incite clairement à voter pour lui vu la difficulté que présente Donald Trump, fort d’un boom économique lors de son mandat, à battre.


Merci de m’avoir lu.

Je rédige actuellement un article sur le fonctionnement du système politique états-unien, qui devrait arriver d’ici quelques mois et qui pourrait vous plaire. Si vous avez aimé cet article, alors abonnez-vous ! Vous pouvez aussi me suivre sur Twitter @EtoileNath.

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