Chroniques du Placard, épisode 1

Un voyage dans le monde des chambres de bonne sous les toits de Paris

Ce billet est une adaptation du premier chapitre d’un ouvrage en cours d’écriture et qui raconte l’histoire totalement rocambolesque de deux amis qui ont voulu faire l’acquisition d’un pied-à-terre à Paris. Tout ce qui est raconté ici est véridique.

Ce serait bien d’avoir un petit pied-à-terre, un endroit où dormir à Paris, quand on va voir des amis, de la famille, ou qu’on veut couper un long voyage. C’est ce que je me disais depuis des années, surtout depuis que j’ai emménagé à Lyon. Parmi mes proches, nombreux sont celles et ceux qui pourraient aussi occasionnellement en avoir besoin. Alors je me suis penché très sérieusement sur le sujet. Des jours et des nuits à étudier le marché de l’immobilier parisien, des pages entières griffonnées de calculs en tout genre, des tableurs complexes et des budgets imaginaires. Si cela vous dit quelque chose, vous êtes peut-être tombé sur ce sujet de 2019 ! ;) Tout cela se retrouve enterré un bon moment, jusqu’à cette discussion de mars 2021.

Ma meilleure amie me fait part de son souhait de reprendre ses études, elle souhaite intégrer une école de langues à Paris mais se retrouve dans l’impossibilité de s’y loger. Ma lubie des années passées refait soudainement surface. Je lui demande « tu te sentirais de vivre dans un tout petit appart’, genre moins de 9 mètres carrés, pour pouvoir suivre tes études ? ». Sa réponse ne se fait pas attendre : « oui ». Cet échange est le point de départ d’une aventure absolument improbable, jonchée de galères toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Nom de code du projet : le plan P. C’est cette saga aux rebondissements dignes d’une série Netflix que nous allons vous raconter.

Bienvenue au Placardistan

Placardistan (n. m., néologisme) – Univers des chambres de bonne sous les toits de Paris. Mot formé de « placard » qui donne une idée de la superficie des lieux, et du suffixe « -istan » qui sonne comme un nom de pays.

Ce n’est pas la première fois que nous regardons par curiosité des annonces immobilières à Paris. D’habitude, c’est pour s’amuser des prix proprement hallucinants de grands appartements ou bien pour comparer la surface accessible avec un même budget à Paris et dans une autre ville comme Toulouse ou Caen. Mais cette fois-ci, nous nous sommes concentrés sur un marché très particulier : celui des biens non louables, en raison de leur superficie.

En analysant ce secteur quelques années plus tôt, j’ai réalisé que le prix d’achat des studios au mètre carré baissait sensiblement dès que la taille du logement était trop petite pour être louée. La loi prévoit en effet qu’il est interdit de proposer à la location un bien d’une surface inférieure à 9 mètres carrés ayant au moins 1 mètre 80 de hauteur sous plafond, ou bien dont le volume total est inférieur à 20 mètres cubes. Bien évidemment, un studio qui peut être loué va se négocier plus cher, puisqu’il peut rapporter beaucoup d’argent. Un exemple concret : un logement de 9,1 mètres carrés est proposé à la vente 110.000 euros, alors qu’un autre dans le même immeuble mais d’une surface habitable de 8,9 mètres carrés est annoncé à 90.000 euros. Si ces chiffres vous font déjà faire un malaise, prenez le temps de vous rafraichir avant de poursuivre.

Ceci étant posé, quand il s’agit de vivre là-dedans et non de louer, est-ce que ces 0,2 mètres carrés de différence peuvent être sacrifiés pour sauver 20.000 euros ? La réponse nous parait évidente. Nous nous lançons alors frénétiquement dans la recherche d’annonces de ce marché de niche, sur des plateformes comme SeLoger.com ou Le Bon Coin. À ce moment-là, nous ne croyons pas une seconde que nous irons ne serait-ce que plus loin que nous amuser à regarder les photos de ces biens souvent inutilisés ou servant de débarras. « Venez visiter ce magnifique placard à balai ! » devient une blague récurrente à chaque fois que nous tombons sur les photos d’une pièce servant à ranger des accessoires de ménage. C’est ainsi que nous donnons le sobriquet de « placard » à toute surface de taille très réduite.

Pourtant, au fur et à mesure, nous analysons de plus en plus en détail les photos et informations des annonces et nous trouvons un réel potentiel à certains de ces biens. Dès le 12 mars, nous commençons à demander des détails supplémentaires et nous nous décidons à aller visiter certains de ces fameux placards. Il se trouve que nous sommes en congés le vendredi qui suit ; eh bien, partons pour un long week-end à Paris ! D’e-mails en coups de fil, des jours durant et jusqu’à pendant le voyage aller, nous élaborons un calendrier calibré au millimètre, prenant en compte les temps de trajet entre les différents biens, les correspondances en métro, le lieu où nous allons dormir, etc. Après des dizaines d’échanges plus ou moins fructueux, 6 visites1 sont prévues en moins de 24 heures aux quatre coins de la capitale. À partir de là, plus rien ne se passera comme prévu.


  1. 6 visites dont 2 ont dû être annulées au dernier moment pour cause de confinement. Déjà, les anicroches pointent le bout de leur nez !

Les 24 heures de l'immobilier

18 mars, nous arrivons le soir en grande banlieue chez un ami qui a accepté de nous héberger quelques jours. Après avoir passé deux heures dans les bouchons1, nous apprenons qu’un nouveau confinement va être instauré en Ile-de-France dès le 20. Pas moyen de déplacer nos rendez-vous prévus ce jour-là, notre planning du 19 est déjà complet. Ce sont deux visites que nous sommes contraints d’annuler.

19 mars, nous devons nous rendre à la porte de Villiers pour 12 heures. Avec un peu d’avance, nous retrouvons la notaire en charge de la vente dans un endroit en plein cœur des travaux du tramway T3B. L’entrée principale du bâtiment parait luxueuse, mais nous n’aurons même pas la possibilité de nous en assurer : nous rentrons par une autre porte qui mène tout droit dans le sous-sol ! Certes, le lot que nous venons voir comporte une cave… qui se révèle être plus grande que la chambre de bonne elle-même. Ah, la chambre, justement. Pour y accéder, nous empruntons un minuscule ascenseur de service qui mène directement au dernier étage. Disneyland ferait bien de s’en inspirer pour ses attractions à sensations fortes. À peine remis de nos émotions, nous découvrons enfin ce premier placard, qui somme toute est très correct. Douche, coin cuisine, canapé-lit, tout est agencé au poil dans une surface d’à peine plus de 6 mètres carrés. Sur le palier, une porte donne accès à une petite terrasse partagée offrant une vue imprenable sur La Défense. Plutôt sympa, une bonne surprise, mais la localisation excentrée et un peu éloignée du métro nous fait hésiter. De toute façon, il ne s’agit pas de prendre une décision sur-le-champ, nous devons déjà filer vers notre prochaine destination.

Une vue magnifique sur La Défense
Une vue magnifique sur La Défense
L'intérieur, bien qu'étriqué, est correct
L’intérieur, bien qu’étriqué, est correct

Direction la place de la République, où nous avons quelques instants pour déjeuner avant une nouvelle visite prévue à 14h à deux pas de là. Comme nous sommes finalement un peu en avance, je téléphone à l’agent immobilier que nous devons retrouver afin de lui proposer de nous retrouver plus tôt. Malheureusement, celui-ci nous informe qu’il n’est même pas à Paris… car il vient d’être cambriolé la nuit dernière. Comme nous ne pouvons pas repousser la date de notre visite, l’horaire prévu est tout de même maintenu et nous prenons les devants en nous rendant à l’adresse du bien, à deux pas de là. La grande porte de la copropriété donnant sur la rue est ouverte, nous nous permettons alors de rentrer dans la cour et commençons à détailler les façades des bâtiments, les escaliers, l’environnement. Sort alors de sa loge une concierge, aimable comme une porte de prison, qui nous demande ce qu’on fait là, qui nous attendons, et finit par rentrer dans son logement sans un mot de politesse. Cette employée respectable a certainement été choisie pour son sourire qui ferait fuir le premier visiteur inopportun.

C’est alors qu’arrive notre rendez-vous. Nous montons au dernier étage d’un des immeubles… séparément, car une seule personne à la fois peut rentrer dans l’ascenseur… et finissons à pied, puisque ce dernier ne va pas tout en haut mais s’arrête à l’étage du dessous. Nous sommes excités de découvrir ce nouveau placard, la localisation étant particulièrement intéressante. L’agent nous informe qu’il s’agit là du seul logement à ce niveau, les autres surfaces étant des débarras, ce qui implique sûrement un grand calme des lieux. Nous entrons par une petite porte dans cette chambre de bonne. Elle dispose d’une petite salle d’eau avec WC et lavabo, c’est une agréable surprise… et ce sera la seule. Le logement est extrêmement mansardé, à tel point qu’il n’est possible de se tenir debout que contre un pan de mur. L’état de vétusté - pardon, de délabrement - est choquant. Malgré toute notre imagination, impossible de se projeter et d’esquisser un début de possibilité d’aménagement. En quittant les lieux, nul besoin de se concerter : l’acquisition de ce bien n’est pas envisageable.

C'est tellement bas de plafond qu'on tient à peine debout !
C’est tellement bas de plafond qu’on tient à peine debout !
Sérieusement, y a-t-il une seule chose normale ici ?
Sérieusement, y a-t-il une seule chose normale ici ?

Un peu déçus mais pas abattus, nous redescendons dans le métro, direction Jussieu. Des quatre visites du jour, c’est celle pour laquelle nous avons le moins d’attentes. À 15 heures, une jeune agente immobilière prénommée Lola nous retrouve devant un immeuble d’apparence banal. Elle nous fait entrer et nous invite à monter dans l’ascenseur. Ici encore, il devra faire plusieurs voyages, car deux personnes peuvent y rentrer au maximum. Pendant que Lola, restée en bas, attend de pouvoir monter à son tour, nous parcourons l’étroit couloir de ce sixième et dernier étage. Sur notre gauche, des portes vétustes pour ne pas dire délabrées donnent sur de minuscules surfaces laissées à l’abandon. Du moins, c’est ce qu’on devine en voyant des serrures démontées et en apercevant des fenêtres à peine rafistolées. Sur notre droite, un mur décrépi nous mène jusqu’à une porte blindée qui dénote : c’est celle-ci que notre agente ouvre pour nous laisser pénétrer dans le bien que nous venons voir. Ce troisième placard du jour est similaire au reste de l’étage : abandonné. Le sol irrégulier est recouvert d’un jonc de mer d’un certain âge, pour ne pas dire d’un âge certain. Quelques éléments mobiliers sont assurément de la même époque. L’installation électrique antédiluvienne peut aisément être qualifiée de dangereuse au premier coup d’œil, même par un néophyte en la matière. Sur ce point, nous sommes presque rassurés par l’absence d’abonnement à l’électricité, malgré la présence d’un compteur flambant neuf mais inactif. Ce qui nous inquiète davantage, c’est l’absence totale de raccordement à l’eau à l’intérieur. Une fontaine (fonctionnelle, il convient de le préciser) est présente sur le palier, ainsi que des WC au niveau inférieur. Nous ne pouvons pas voir leur état pour le moment, l’accès étant protégé par une clé dont Lola ne dispose pas pour le moment. Un point positif se fait remarquer : la fenêtre, qui semble assez récente et dispose de double vitrage. On remarque alors que l’atout majeur de ce placard se situe à ce niveau-là. Non pas la fenêtre en soi, mais ce qu’il y a derrière. La vue est tout bonnement époustouflante. Le Panthéon, la tour Montparnasse, la cathédrale Notre-Dame, les arènes de Lutèce, et même un bout du sommet de la tour Eiffel, tous ces monuments s’offrent à nous depuis cette chambre de bonne qui ne paye pas de mine. L’agencement simple de cette surface de 8,5 mètres carrés au sol nous donne quelques idées d’aménagement, malgré une partie mansardée qui parait difficile à exploiter. L’importance des travaux nécessaires pour rendre le lieu habitable tempère l’engouement suscité à la fois par la vue et par la localisation proche de nombreux lieux de loisirs que nous connaissons déjà dans le quartier. Nous repenserons à tout cela plus tard, nous avons encore un bien à découvrir.

Tout est à refaire... mais cela nous parait faisable
Tout est à refaire… mais cela nous parait faisable
La vue sur le Panthéon est extraordinaire
La vue sur le Panthéon est extraordinaire

Après quelques errements dans le métro, guidés par mon sens de l’orientation plus qu’approximatif, nous arrivons presque à l’heure prévue à notre prochain point de rendez-vous. Il est un peu plus de 16h30, nous venons de traverser presque tout le 9ème arrondissement à pied grâce à mon estimation totalement erronée des distances et j’ai l’impression qu’on m’en veut un peu pour cela. Nous retrouvons à deux pas du Moulin Rouge la personne qui doit nous faire visiter un bien de 5 mètres carrés au 7è étage, avec ascenseur. Ah, cet ascenseur, parlons-en. Existe-t-il une cabine plus étriquée que celle-là ? C’est tout juste si une seule personne peut rentrer dedans ! La cage a été conçue « au chausse-pied », dixit l’agent immobilier qui nous accompagne. Une fois tout le monde arrivé en haut, nous découvrons le dernier placard du jour.

Et pas tous en même temps. L’agencement compliqué de cette surface déjà minuscule ne nous permet pas de rentrer à plus de deux. Un petit lit disposé au seul emplacement possible rend encore plus difficile l’accès à un renfoncement d’environ 1 mètre carré qui se retrouve quasiment inexploitable. Seul point positif : un lavabo déjà installé dans un coin. Justement, entre ce renfoncement et ce coin, de l’autre côté de la paroi… se trouvent les WC. L’idée de loger juste à côté de toilettes partagées par potentiellement tout l’étage n’est pas particulièrement séduisante. En quittant les lieux, nous passons devant ces sanitaires qui, bien que fermés à clé, n’offrent pas tant d’intimité : un jour dans la porte donne une magnifique vue sur ses usagers. En redescendant, la brutalité de l’ascenseur arrivant au rez-de-chaussée achève de nous convaincre de ne pas revenir.

Les waters communs sont juste derrière cette paroi...
Les waters communs sont juste derrière cette paroi…

À 17 heures passées, harassés, nous allons nous entasser dans un Transilien bondé pour retourner chez notre ami qui nous accueille une nuit de plus. La soirée est en grande partie consacrée au débrief de nos pérégrinations du jour. Tout le détail des biens y passe : la localisation, la superficie, les possibilités d’aménagement, les travaux à prévoir, la conformité des installations, les charges de copropriété, la taxe foncière, l’isolation, la vue… Nous éliminons rapidement les « logements », si tant est qu’on puisse leur donner ce nom, de la place de la République et du quartier de Blanche. La liste des placards intéressants se réduit à celui de la porte de Villiers, avec tout ce qu’il faut à l’intérieur mais une localisation excentrée et un accès difficile, et celui proche de la place Jussieu, qui offre beaucoup de potentiel et une vue exceptionnelle, mais où presque tout est à refaire. Pourtant, malgré l’importance des travaux à prévoir, ce dernier se révèle être un coup de cœur. Exténués et excités en même temps, nous envoyons un message à Lola, l’agente qui nous a fait visiter ce bien, en se disant que nous aurons un retour le lendemain au mieux, la semaine suivante éventuellement.


  1. Pour la petite histoire, c’est au pierre-feuille-ciseaux que s’est jouée la pénible responsabilité de conduire en région Ile-de-France. J’ai perdu.

J’espère que le récit de cette aventure vous a plu ! Ce n’est que le début d’un périple qui a duré un an. Initialement, il était prévu d’adapter en livre l’intégralité de nos péripéties. Le projet est pour le moment suspendu, mais il est possible qu’une adaptation en bande dessinée soit envisagée. N’hésitez pas à venir en discuter, dans les commentaires ou bien en privé !

D’ici là, selon l’accueil que vous ferez à ce billet, plusieurs épisodes pourront être publiés ici. Alors, peut-être à bientôt pour la suite des aventures au pays merveilleux du Placardistan ! ;)

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