Salut,
Curieusement, ce fut justement l'objet d'un débat avec mon prof de philo ce matin.
J'ai l'intime conviction que non, décidément, les mathématiques ne sont pas une science. J'irais même plus loin en affirmant que de toutes les inventions humaines, quelles soient matérielles ou pures construction de l'esprit, elle est celle qui s'éloigne précisément le plus de toute science.
La science se base avant tout autre chose sur l'observation, et il ne saurait y avoir de science véritable sans observation, puisque la science est par nature une forme de rapport au monde qui nous entoure.
Ainsi, la reine, la belle, la majestueuse physique a tout d'une science, car dans forme la plus primitive l'observation des faits précède toute forme d'interprétation, de formulation de lois, et même de mathématisation.
On admettra que la biologie suit sans aucun problème, puisqu'elle a les mêmes vocations, simplement, elle n'étudie pas les mêmes objets, pas aux mêmes échelles, et ne s'intéresse pas aux mêmes choses.
On ajoute sans peine à la liste l'astronomie, la géologie, etc… cela ne choquera personne.
Maintenant, soyons un peu plus polémiques : envisageons la psychologie.
La psychologie ne fait pas exception : en tant que psychologie cognitive elle bénéficie pleinement de l'ascendant indubitablement scientifique des sciences cognitives en général.
Les expériences de psychologie sociale font, avant toute autre chose, l'objet d'observations : rien à opposer à la psychologie à ce propos.
En fait, même lorsque je fais de l'introspection, ou de la psychanalyse, je ne déroge pas à cette règle, puisque je suis toujours dans une démarche d'observation. Cette fois, la difficulté provient du fait que l'observé est mon activité consciente elle-même (à savoir mon activité d'introspection), c'est à dire précisément l'outil qui me sert à m'observer réfléchir. Cela pose problème pour au moins une raison : l'évident subjectivisme inhérent à ces perceptions.
Toutefois le manque d'objectivité n'est pas un mal en soit nuisible à la science, puisque toute observation est , en l'essence, non objective, cela fait longtemps que la philosophie l'a compris, et en physique la notion de relativité (du mouvement, du référentiel, du temps… ) montre que cela est clairement ancré dans les esprits et ne fait pas défaut. Rien n'empêche que l'on soit dans la matrice de Matrix, et que toutes mes perceptions ne soient qu'illusion. Aussi, le manque de fiabilité intrinsèque de l'observateur n'est pas non plus un obstacle à la science.
Sans parler du fait qu'il y a certaines choses éminemment subjectives dont je suis pourtant l'observateur le plus fiable de l'univers, à savoir mes émotions. Si j'affirme (en le pensant) que je suis en colère, on ne saurait donner raison à un observateur extérieur qui m'observerait et me contredirait, fusse-t-il Dieu lui-même, puisque l'émotion est par son essence même relative à un individu donné, et hautement subjective.
Toute discipline qui se ramène à une analyse des perceptions est bonne candidate à devenir une science.
Mais comme personne ne saurait reconnaître que la contemplation du monde, dénué de tout jugement, est une science, ajoutons une condition supplémentaire. Imposons que la science doit avoir une valeur prédictive, et descriptive. Elle doit permettre l'élaboration de modèles, lesquels modèles existent grâce aux observations préalable.
C'est là qu'interviennent - enfin ! - les mathématiques. Ces dernières sont une pure construction de l'esprit, à priori complètement indépendante de l'univers, puisqu'il ne s'agit jamais de rien d'autre que d'un édifice logique reposant entièrement sur des axiomes, lesquels peuvent être changés à volonté pour définir un nouveau système, qui vient avec autant de vérités que le précédent. Pour le coup, parmi les choses qu'on ne peut guère reprocher aux mathématiques, figure la rigueur : il n'y a rien de plus vrai qu'une vérité mathématique.
Seul bémol : la véracité de cette affirmation ne peut nous être garanti que par l'utilisation appropriée des axiomes de notre système, lesquels peuvent être établis de façon totalement arbitraires.
Ainsi la vérité mathématique acquiert une dimension absolue non sujet à débat, au sein même d'un système axiomatique donné, mais il est impossible de transposer cette vérité à un autre système, voir pire, à la réalité "physique", "matérielle" (celle des scientifiques) sans sortir de ce qui fait toute la garantie de la véracité de mon affirmation : à savoir la preuve.
On ne peut définitivement pas "prouver" l'univers, aucune science en ce monde ne peut espérer bénéficier de la rigueur mathématique pour promouvoir la validité de ses théories. Cela n'empêche pas les sciences d'être intenses consommatrices de mathématiques, ce sont même les plus grandes consommatrices de mathématiques. Mais la validité de l'affirmation mathématique n'engage en rien la validité de la théorie qui tente de décrire l'univers : en effet celle-ci tient pour acquis les axiomes dans l'univers (c'est une chose que l'on ne peut pas démontrer, par nature même de l'axiome), d'une part, et d'autre part que le modèle mathématique de la réalité qu'elle utilise correspond bien à la réalité elle-même. Une fois encore le dernier point ne peut pas faire l'objet d'une démonstration, par essence même, mais en plus il est entièrement dépendant des observations sus-mentionné.
Ainsi la notion d'observation est primaire dans toute science. Le rôle des mathématiques, en tant que construction de l'esprit, ne font guère de doute sur la véracité des théorèmes établis (alors que de toute théorie physique, même mature, on ne saurait avoir cette certitude, en restant vraiment prudent). Simplement, si le modèle colle suffisamment aux observations, de tout fait établi dans les mathématiques (ou si vous préférez : formalisme et axiomatique) du modèle on a bonne espérance qu'il continue de décrire la réalité de façon satisfaisante, ce qui couvre le côté prédictif de la science que l'on avait imposé tout à l'heure.
En ce sens, la tannerie ou la couture, ou même la cuisine, bien qu'étant très peu (voir pas du tout) mathématisées, ont beaucoup d'une science : le tanneur, le couturier, la cuisiner, tous, ils connaissent les matériaux sur lesquels ils travaillent pour les avoir observé, et ils sont même capable de formuler des règles générale ayant une bonne valeur prédictive (exemple : si tu laisses tes œufs plus de 4h30 dans l'eau bouillante, ils ne seront pas "à la coque", si tu mouilles le cuir il sera plus souple et plus facile à travailler, etc… ).
Bon, voilà, je prétend pas avoir une quelconque culture en tant que scientifique ou philosophe, c'était juste mon impression personnelle, j'espère que le raisonnement est accessible, mais c'est ma conclusion : les maths sont le truc le plus éloigné d'une science qui soit.