Il est d’usage, quand on navigue sur Internet, de taper nonchalamment une adresse, tel que perdu.com. Cette adresse, à l’instar d’un annuaire, est relié à une adresse IP, permettant de pointer vers le bon serveur la requête. En effet, perdu.com est plus facile à retenir que 208.97.177.124.
L’organisme gérant ces noms de domaines à l’échelle internationale – car bien sûr ces dernières doivent être uniques, perdu.com ne devant pas être redirigé vers deux serveurs différents – s’appelle l'ICANN, Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, qui dépend pour l’instant du département du commerce états-unien, même si une réflexion est faite pour une émancipation du contrôle de ce pays, pour avoir une approche plus collégiale.
En 2011, l’organisme, jugeant que les domaines du premier niveau tel que .com, .net, .coop ou .fr par exemple ne suffisait plus, ils allaient donc permettre à des entités privées de déposer leurs propres extensions. Outre un ticket d’entrée d’un minimum de 185 000 dollars pour poser une candidature (sans avoir la certitude d’être retenue), on a pût voir une flopée de propositions, donc une partie a été retenue. Quelques années sont passés, et il est temps de faire le point, non seulement sur les noms de domaines antérieurs à cette époque, mais aussi après, afin d’en dégager plusieurs tendances.
Si vous voulez voir toutes les extensions, une page Wikipédia les recensent.
Une prédominance des États-Unis, un héritage historique
On peut voir, en premier lieu, l’existence de noms de domaines liés à l’administration étatsunienne, présente dès les débuts. Citons le .gov (gouvernement), le .mil (militaire) ou le .edu (éducation). On peut remarquer une volonté de montrer une hégémonie et une suprématie, un site américain pouvant avoir une adresse en .gov, alors que le gouvernement français doit se contenter d’un pauvre gouv.fr. Cet héritage est dû aux liens entre l’ICANN et le département du commerce.
Une extension régionale
Si on regarde les extensions nationaux, on peut remarquer la liste de nombreux pays. Mais aussi d’organisations territoriales non étatique comme l’Antarctique (.aq) ou l’Union Européenne (.eu). On peut remarquer aussi des territoires qui ne sont pas des États-nations, mais ayant un statut spécial, comme la Réunion (.re) ou Hong-Kong (.hk). On peut aussi remarquer que la géopolitique joue beaucoup. L’adresse du Sahara occidental (.eh) est réservé, mais pas encore attribué. La Palestine, bien que non internationalement reconnu par tous les pays, possède un joli .ps. Cependant, point de mention de certains pays de facto indépendants mais pas reconnu internationalement (sauf quelques pays), tel que l’Ossétie du Sud ou la Transnistrie.
Fait plus cocasse, l’adressage du Sud-Soudan (.ss) a été supprimé à cause de la proximité homophonique avec la force paramilitaire nazie. De toute manière, ce pays a sûrement d’autres problèmes à résoudre, comme le tracé de ses frontières, qu’une simple présence sur Internet. De manière anecdotique, le .su, qui est l’extension de l’URSS, est encore en vigueur.
Depuis quelques années, il y a une prise en charge des caractères non-latins dans les adresses. De ce fait, il y a une remise en question d’une hégémonie de l’Occident sur cette question concernant Internet. À titre d’exemple, ایران. Appartient à l’Iran ou .укр à l’Ukraine.
Une extension régionale
Mais les extensions ne sont pas seulement nationales, mais aussi régionales. De nombreuses régions ou villes ont la volonté d’affirmer leur souveraineté sur la Toile, et par extension, marquer symboliquement une forme d’indépendance. Il existe le .bzh pour les bretons, .eus pour les basques, .scot pour les écossais. Ils peuvent aussi porter le nom de grandes villes, souhaitant affirmer leur pouvoir et leur rayonnement international. Citons le .paris, le .berlin, le .london, le .nyc (New York) ou le .tokyo. Dans ces exemples, deux choses sont à remarquer. D’une part, les régions qui veulent une extension ont une forte identité, voire une volonté d’autonomie. De ce fait, ils s’assurent une forme d’indépendance virtuelle. La deuxième concerne ces grandes villes : elles s’affirment en tant qu’entité propre et souhaitent avoir une « image de marque » afin de s’assurer ou confirmer une attractivité de leur territoire, s’assurant des retombées économiques, touristiques et culturelles.
De ce fait, on peut remarquer que pour un territoire, il est judicieux d’avoir une extension pour être reconnu. Il y a donc un enjeu géopolitique non-négligeable et l’obtention de ce sésame permet une existence virtuelle, numérique.
une extension économique
Il est certes judicieux pour un territoire de posséder une « souveraineté numérique » sur le réseau des réseaux. Néanmoins, les transnationales veulent aussi jouer un rôle stratégique, et s’octroie, par l’achat d’une extension, une forme de « fief » avec une forme de souveraineté. De ce fait, on peut voir apparaître des .google, .axa, .ovh, .ibm, .nhk ou .yandex.
On peut remarquer que ces noms ne sont pas des inconnus. Nombre sont des transnationales dans le numérique ou les télécommunications, des banques, des assurances, des lobbys importants (.nra le lobby pro-arme étatsunnien ou .lds pour l’Église des derniers jours) ou des institutions (.cern)… On remarque néanmoins que ces derniers, sauf exceptions, sont de grands groupes occidentaux ou venant du Japon, de Russie, ou de la Corée du Sud, qui sont de grandes puissances industrielles asiatiques. Ainsi, il y a un ancrage fort de ces empires économiques, qui osent défier les États sur Internet. On remarque un jeu de pouvoir intéressant. Les différents traités de libre-échange montre que les États n’ont que peu de pouvoirs face à des entreprises toujours plus grosses. On peut l'interpréter comme la marque d'un monde multi-polaire, avec d’un côté le pouvoir étatique et de l’autre un pouvoir économique.
une extension mercantile
Finalement, dans cette typologie des noms de domaines, avec les extensions nationales, régionales et économiques, on peut voir un dernier cas : celui de l’extension mercantile. Des entreprises achètent des extensions pour pouvoir les vendre ; il y a donc spéculation, et investissement sur les extensions. Ils ne sont pas vus comme un instrument de pouvoir, mais comme un simple produit financier dans lequel on investit. On retrouve de nombreux noms dans la liste des propriétaires, dont certaines sont des startups crées pour l’occasion : Donuts, Rightside Group, Minds+Machines, Google, Afilias ou XYZ.com.
Conclusion : et le citoyen ?
En conclusion, les noms de domaines, loin d’être seulement une simple ligne dans un fichier texte, sont aussi un jeu de géostratégique important. Celui qui contrôle les noms de domaines contrôlent majoritairement Internet. La gouvernance est source de tensions, notamment pour les pays critiquant l’influence étasunienne trop présente. De plus, il permet à des États ou à des régions d’exister d’une certaine manière, tout en confirmant le rôle majeur des mégapoles voulant rayonner. Les grandes entreprises jouent un rôle de plus en plus grandissant et souhaitent aussi leurs parts du gâteau en voulant porter des attributs similaires aux pouvoirs territoriales. Finalement, on retrouve de simples spéculateurs voulant gagner de l’argent. Internet est donc un reflet des tensions géopolitiques, avec les puissances étatiques établies, les puissances régionales souhaitant une plus grande autonomie, des mégapoles cherchant un rayonnement mondial, des firmes affirmant un pouvoir grandissant et de simples opportunistes qui n’y voient qu’une occasion de plus pour faire du profit.
Mais face à ces enjeux nationaux, régionaux, économiques et mercantiles, quelle place pour les simples citoyens ?