La mission Rosetta a pour but d’atteindre et de suivre la comète Tchouri afin de l’étudier. Elle se compose d’une part d’une sonde (de même nom que la mission), et d’autre part d’un robot, Philae, qui a été largué sur la comète. La sonde Rosetta envoie des données depuis août 2014, et en particulier depuis novembre 2014, lorsqu’elle s’est approchée suffisamment de la comète pour prendre des images précises et larguer Philae. Les premiers articles ont été publiés début février 2015 dans la revue Science ; ils traitent des données collectés avant novembre 2014. Les mesures rapportées par de nombreux instruments, dont Philae, ne seront pas disponibles avant avril 2015.
Les comètes
Avant de parler plus spécifiquement des résultats nouveaux, une rapide présentation des comètes s’impose. Les comètes sont des agrégats de poussière, de glace, de silicate et de composés carbonés (, , ).
Elles suivent une orbite très elliptique, avec des phases très éloignées, et d’autres très proches du Soleil. Tchouri, par exemple, va s’approcher à 3 UA du Soleil lors de son périhélie1, tandis que son aphélie2 est au-delà de Pluton, à plus de 30 UA du Soleil ! Lorsqu’elles s’approchent suffisamment du Soleil, le et l’eau (entre autre) qu’elles contiennent passent de l’état solide à l’état de plasma (ionisation), ce qui provoque l’apparition des fameuse queues, observées depuis la Terre depuis l’antiquité.
Les comètes proviennent de deux endroits différents : soit de la ceinture de Kuiper, soit du nuage d’Oort. Le premier endroit est situé un peu au-delà de Neptune (autour de 30 à 100 UA), on y trouve notamment les planètes naines Pluton et Charon. La comète Tchouri provient de la ceinture de Kuiper. Les comètes qui proviennent de cet endroit ont des périodes d’orbite courtes (quelques décennies), et une orbite dans le plan de l’écliptique3. Le second endroit est le nuage d’Oort. Il est situé plus loin (entre 10 000 et 100 000 UA selon les estimations) et regroupe tous les objets attirés gravitationnellement par le Soleil. Il s’agit d’une zone encore mal définie. Les comètes provenant de cette zone ont des périodes longues et ont des orbites très inclinées.
Les comètes, contrairement aux astéroïdes, sont actives. Lorsqu’elles s’approchent du Soleil, on observe la formation d’un nuage brillant. Celui-ci se compose de deux parties : la queue, partie la plus externe du nuage, formée de gaz ionisé et de poussière, et la chevelure, partie la plus interne, sphérique, constituée de gaz neutre, principalement de l’eau et du mono- et dioxyde de carbone, et de poussière. En pratique, c’est la queue des comètes que l’on voit depuis la Terre ! Les astéroïdes, eux, n’ont aucune activité lorsqu’ils s’approchent du Soleil. On les trouve dans les mêmes zones que les comètes, ainsi que dans la ceinture d’astéroïdes, une zone située entre Mars et Jupiter.
La mission
Le but de la mission est d’étudier le noyau cométaire et la chevelure, la queue ayant déjà fait l’objet de relevés et étant mieux connue. Le peu que l’on savait des comètes est leur taille typique (de l’ordre de 5x5x10 km), et leur albédo1 (très faible). Les comètes ont des formes patatoïdales, et donc assez variées.
Rosetta a été lancée en mars 2004, mais embarque des technologies (par exemple des caméras) de 1998. La raison est double : il faut choisir du matériel déjà éprouvé (on ne change pas une pièce tombée en panne en cours de route dans une sonde !), et la mise au point des détecteurs prend plusieurs années. Elle a atteint son objectif en novembre 2014, et a largué le robot Philae. Entre temps, elle a subi quatre assistances gravitationnelles2, trois avec la Terre et une avec Mars. Depuis août 2014, elle s’approche de Tchouri selon une orbite… complexe, dans le but de se satelliser. Petit rappel : la comète fait kg, contre kg pour la Terre, la gravité y est donc beaucoup plus faible, ce qui complique fortement toute satellisation.
Le but de cette orbite est de faire perdre à Rosetta sa vitesse pour pouvoir se satelliser, tout en restant suffisamment éloignée, et en minimisant l’énergie dépensée. Finalement, Rosetta s’est satellisée à faible distance de Tchouri, a largué Philae, puis s’est un peu éloignée.
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Proportion de lumière réfléchie par le corps. D’autant plus fort donc que le corps est blanc.
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Cela consiste à utiliser la force gravitationnelle d’une planète pour accélérer. Le corps chute vers la planète (sans aller dessus, mais plutôt à côté, sans quoi il s’écraserait !), acquiert de la vitesse, puis s’éloigne. Voyez la page Wikipedia anglophone pour plus de détail.
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Les premières données
Les premières données sont principalement visuelles et spectroscopiques.
Commençons par la forme. Tchouri a plus ou moins une forme de canard, avec une grosse tête, une forme très irrégulière donc. La première question est donc de savoir comment une telle forme a pu apparaître. Les principales hypothèses sont l’agrégation de deux corps (collision à faible vitesse) ou un creusement favorisé au centre, c’est-à-dire que Tchouri serait un cylindre érodé (ce qui implique que la comète ait perdu une part non négligeable de sa masse).
Une chose frappante dans les images est la grande diversité des terrains. La partie plate de la plus grande protubérance de la comète est très lisse, probablement composée de poussière. Une surface aussi lisse suppose une activité qui érode les structures. Cette partie est aussi la plus froide, et donc avec le rapport de quantité de / le plus grand. En effet la température de vaporisation du étant beaucoup plus faible que celle de l’eau, tout échauffement diminue la quantité de gaz carbonique. L’eau peut, elle, rester sous forme de glace sur la comète, même dans les régions chaudes (tant qu’elle se situe loin de l’aphélie, bien sûr).
D’autres parties contiennent des falaises (jusqu’à 1 km de hauteur), des fractures de plusieurs centaines de mètres, des dépressions ou des puits. Ces puits ont montré une activité, c’est-à-dire que lorsqu’ils étaient chauffés (la comète tourne, et a donc une alternance de jour et de nuit), des particules d’eau et de s’en échappaient. On a même pu observer des dunes, ce qui laisse à penser la présence d’une activité éolienne.
Lors de l’atterrissage de Philae, le robot a rebondi sur la comète. Cela nous donne une indication forte sur la cohésion du matériau de surface de la comète. En effet, lorsque deux objets entrent en collision (par exemple, une balle et le sol), ils se déforment, puis, tout de suite après, reprennent leur forme initiale. Ce faisant, ils exercent une force sur l’autre, d’où le rebond. Si l’un des matériaux est non cohésif (par exemple du sable), il va certes se déformer, mais ne va pas reprendre sa forme. C’est pourquoi une boule de pétanque rebondit beaucoup plus lorsqu’elle touche une autre boule plutôt que le terrain. Finalement, notre comète doit être relativement cohésive, sans quoi le robot se serait juste enfoncé dedans. Cette cohésion serait due aux nombreux recuits que subit la surface de la comète lorsqu’elle s’approche trop près du Soleil.
Parlons rapidement couleur. Tchouri est sombre (c’était attendu), avec des zones plus bleutées que d’autres. On interprète cela comme des affleurements de glace d’eau.
Une autre donnée très importante est le rapport de particule de deutérium sur hydrogène dans l’eau (on parle de rapport « D/H »). Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Chaque particule d’eau est composée d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène. La plus grande partie de l’hydrogène est composée d’un proton et d’un électron (). Il existe cependant d’autres isotopes1 de l’hydrogène, à savoir le deutérium (un proton, un électron et un neutron, ) et le tritium (un proton, un électron et deux neutrons, ). Le rapport D/H est donc la proportion d’hydrogène de type divisé par celle de type , dans l’eau.
La proportion de deutérium varie selon l’endroit du système solaire où l’on se trouve. Ainsi, il est à peu près constant pour toutes les planètes gazeuses, ou pour les astéroïdes.
Ce rapport est le même pour l’eau de la Terre et celle des astéroïdes, tandis qu’il est différent de celui des géantes gazeuses. Ce rapport n’est pas constant dans le temps, il évolue, notamment par l’influence des vents solaires. Les comètes étant très éloignées du Soleil (en particulier les comètes du nuage d’Oort), leur rapport D/H devrait être proche de celui de la nébuleuse qui a donné lieu au système solaire.
La question que l’on se pose est : d’où vient l’hydrogène qui compose l’eau de la Terre ? Jusqu’ici, on pensait que l’eau terrestre provenait des astéroïdes et des comètes de la ceinture de Kuiper (comètes joviennes). Les mesures sur Tchouri viennent semer le doute : elle n’a pas le « bon » rapport ! Le sien est proche de celui des objets du nuage d’Oort, alors qu’elle provient de la ceinture de Kuiper. Les raisons possibles sont multiples, et il est plus prudent d’attendre des résultats complémentaires avant de se prononcer.
La troisième information concernant Tchouri est son extrême porosité : on estime sa masse volumique à 470 kg/m³, elle flotte donc sur l’eau ! Étant donné sa composition, il faut qu’elle ait une porosité de 70 à 80%, c’est-à-dire que sur un bloc de 1 m³, seul 0,2 m³ soit effectivement composé de matière. C’est beaucoup plus que du sable (porosité d’environ 30%), mais beaucoup moins qu’une éponge (plus 90%). La question ici est bien évidemment la répartition de ces « trous ». Il peut s’agir de vrais trous dans la comète, ou bien d’une matière poreuse sur l’ensemble de la comète (comme de la pierre ponce). Des mesures tomographiques ont pu être réalisées pour répondre à cette question, et les résultats devraient arriver dans quelques mois.
La composition la plus interne de la chevelure a pu être analysée. Il s’agit principalement d’eau, de gaz carbonique et de différents composés carbonés, comme du ou du .
Pour finir, on a pu estimer l’inertie thermique de la comète. Le principe est simple : plus l’inertie thermique est forte, plus un matériau met du temps pour atteindre la température du milieu dans lequel il est. Dans le cas de Tchouri, l’inertie thermique est extrêmement faible, si bien que toute exposition au Soleil provoque la chauffe immédiate de la comète. Comme la chauffe (ou le refroidissement) est immédiate, cela provoque deux chocs thermiques par journée cométaire. On a pu voir cet effet en direct grâce à la forme étrange de la comète : en tournant, certaines zones passent brusquement du jour à la nuit (la comète éclipsant elle-même le Soleil), et la température dans cette zone chute alors brutalement. De plus, la comète est faite dans un matériau très isolant (le cœur de celle-ci est donc peu chauffé, sans quoi il ne lui resterait plus d’eau !).
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Deux éléments isotopes ont les mêmes propriétés chimiques et le même nombre d’électron et de proton, mais un nombre de neutrons différent.
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Philae
Le robot a débarqué sur la comète, mais n’a malheureusement pas pu atterrir correctement. Il a rebondi plusieurs fois (son trajet a pu être suivi par Rosetta).
Il est aujourd’hui stabilisé, mais aucun de ses deux systèmes de harponnage ne s’est enclenché. D’après les photos qu’il a envoyées, il serait sur deux pieds (au lieu de trois), avec au moins une caméra latérale pointée vers le ciel. Le forage n’a pas permis de forer quoi que ce soit (enfin, de l’air…), et une partie des instruments n’est pas utilisable. L’un des spectromètre a donné des mesures très importantes de cuivre. Trop importantes : il s’agit de celui qui recouvre les parois de l’appareil, le sas ne s’est pas ouvert ! Il y a bien du cuivre sur Tchouri, mais il vient de la Terre. Fort heureusement, une grande partie des instruments fonctionne, mais leurs résultats n’ont pas encore pu être traités.
Et ensuite ?
Ce ne sont que les premiers résultats. Rosetta va suivre Tchouri pendant encore plusieurs mois, jusqu’au périhélie. D’ici là, de nouveaux résultats devraient arriver, notamment les résultats « au sol » de Philae. La seconde salve d’articles devrait arriver en avril ou mai.
Mise à jour du 13 juin 2015 : de nouveaux résultats sont parus ; vous trouverez sur ZdS un article faisant suite à celui-ci.
Remerciements
Je voudrais remercier Sonia Fornasier (de l’observatoire de Paris) et Pierre Drossart (directeur du LESIA) pour leur très clair séminaire donné au laboratoire MSC, pierre_24 pour ses relectures attentives et SpaceFox pour la validation !
Références et licences
Cet article tente de résumer les articles diffusés sur Science.
Bien des images comme un paquet d’infos viennent du blog officiel sur Rosetta.
Voyez aussi le site de l’ESA consacré à la mission, celui du CNES et le communiqué du CNRS.
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