Salut Holosmos ! Pour commencer, parle nous un peu de toi. Qui es-tu, que fais-tu ?
Coucou le caribou !
Dans la vie de tous les jours, je m'appelle Raphaël, j'habite près de Paris et j'entre en licence 2 de mathématiques à l'université Paris Diderot (P7 pour les intimes).
J'entre en licence 2. Je vais aussi faire la rentrée des master à l'IHÉS (d'ailleurs si quelqu'un y va aussi, qu'il passe me dire bonjour ! ). Je ne sais pas si je suis très bien placé pour parler mathématiques mais en tout cas c'est le nom qu'on attribue à ce que j'aime faire, et donc je vais en parler.
Je suis un grand adepte du travail en autodidaxie (vive le mot pompeux), ça veut dire que la grande partie de mon temps de travail n'est pas encadrée et n'est pas soumise à un contrôle "classique". Ça a ses avantages et ses défauts : je peux toucher à des choses alors que je n'ai pas le profil officiel pour, mais en revanche, je n'ai que peu de moyens pour prouver (aux autres et à moi-même) ce que je sais faire, ce qui est très perturbant !
Pour ce qui est de ce que je travaille, je crois que c'est assez clair. Ce sont surtout des mathématiques (en fait ce mot regroupe des tas de choses très différentes).
Actuellement (en autodidaxie) j'aime beaucoup travailler les topologie et géométrie différentielles (liens 1, 2) et la géométrie projective (liens 1, 2) dans un contexte de systèmes dynamiques. Ce sont des goûts, je pense que beaucoup d'autres amoureux des maths n'aiment pas ça et aiment des choses que je n'aime pas. Mais c'est toujours des maths, et ça c'est formidable !
Vous pouvez aussi me retrouver sur l'IRC de ZdS, on y parle (maths ou pas) et on y joue !
Comment t'est venue cette passion pour les mathématiques ?
Je pense que j'ai toujours apprécié les mathématiques. Depuis les petites classes (CP à mes premiers souvenirs) j'ai toujours été bon dans ce qui se faisait en maths. Bon mais rarement très bon. Mes années de lycée n'ont pas été la preuve de mes aptitudes en mathématiques. Cela doit être dû au fait que j'aime et que je suis meilleur quand je travaille seul, en autonomie. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas fait de classes préparatoires, parce que j'aurais été trop encadré.
C'est réellement il y a un an que j'ai pris conscience que les mathématiques étaient bien plus qu'une matière "sympa" et que j'aimerais en faire mon métier. J'ai eu la chance de rencontrer dès septembre une maître de conférence en TD, qui a su voir en moi quelqu'un d'intéressé et qui n'a pas hésité depuis à me pousser à aller plus loin, faire plus et prendre du plaisir.
Et au quotidien cela se traduit comment ?
Au quotidien ça se traduit par de très longues phases de "détente-réflexion" comme j'aime les appeler. Je passe une grande partie de mon temps à simplement me détendre pour digérer ce que j'ai récemment appris et laisser libre cours à ma créativité.
On ne s'en rend pas compte avant d'en faire, mais les mathématiques sont une matière qui demande beaucoup de créativité. Je crois que c'est le plus dur à apprendre à manier. Une fois que l'on a compris la rigueur demandée on se rend compte qu'elle n'est pas là juste pour embêter mais pour permettre au mathématicien de laisser libre cours à ses envies. C'est à mon avis la seule matière aussi créative puisqu'on peut réellement faire tout ce qu'on veut en étant reconnu, tant qu'on le fait logiquement.
En dehors de ces périodes de repos que l'on pourrait qualifier de "repos intellectuel", il m'arrive d'avoir des périodes de travail intensives (4 à 6h de suite) où je choisis un thème que je veux travailler et que j’approfondis autant que je peux avec les ressources disponibles. J'aime bien passer ce temps à la bibliothèque MIR de mon université, il y a beaucoup de ressources (le plus souvent, rares et/ou chères) et un calme propice à un travail solide. On y rencontre aussi d'autres chercheurs, élèves, ce qui donne lieu à des discussions insolites !
En dehors du travail, on me dit souvent que j'ai un grand sang-froid et que je suis trop rationnel (ce que je prends plus pour un compliment). Le fait de faire des mathématiques m'a ouvert les yeux mais est également un frein important à ma vie sociale (déjà pas bien développée). Le monde "extérieur" me semble malheureusement trop souvent ennuyant et c'est ce qui me renferme.
Les mathématiques ont changé ma vie. Ce n'est pas forcément mieux d'après les points précédents, mais c'était la seule manière de m'épanouir dans ma passion (peut-on dire vocation ?).
Tu as des plans avec tout cela pour l'avenir ou ce n'est qu'une passion ?
Je pense que ça évoluera encore, mais j'aimerais préparer un dossier pour un magistère à Rennes ainsi que quelques dossiers pour des ENS pour l'année suivante. À la suite de ces trois années je pense continuer sur un doctorat et de la recherche.
J'ai eu la chance d'avoir les clefs pour pouvoir envisager un très bon parcours, cette année m'a montré que je pouvais énormément progresser en très peu de temps et j'espère que ça continuera ainsi.
Qui dit maths dit démonstrations. Mais en quoi est-ce utile ?
C'est une bonne question. Avons-nous vraiment besoin de démontrer pour nous satisfaire d'un résultat ?
À mon avis (et je sais qu'il n'est pas partagé) c'est la seule différence entre croire et savoir. Démontrer c'est pouvoir donner les arguments reconnaissables afin d'être certain à 100% que ce qu'on dit dans le cadre donné est vrai (ou faux).
C'est en fait la manière de répondre à quelqu'un (en général un enfant) qui dirait sans cesse "pourquoi ? mais pourquoi ? mais dis moi pourquoi ?". On se donne des axiomes que l'on peut voir comme des arguments indiscutables ou du moins que l'on ne discutera pas et puis on ramène une certaine idée, concept, proposition à ces axiomes.
Cela fait la force des mathématiques. Faites quelque chose aujourd'hui, revenez dans dix ans et rien n'aura changé. C'est fabuleux de pouvoir lire des livres de plusieurs décennies en sachant et en pouvant vérifier (!) que ce qui est dit est vrai. Y a-t-il une autre science dans laquelle on peut rester autant intemporel ?
C'est en général le moment où on répond dans les commentaires "oui mais les axiomes peuvent ne pas être cohérents…". En fait tout repose sur la définition d'une vérité. Qu'est-ce que cette qualité ? Pour désigner quelque chose de vrai il faut nécessairement pouvoir l'observer à l'aide d'outils. C'est une question très philosophique qu'il faut se poser. La réponse est assez claire, sans outils (sans axiomes) on peut rien dire parce qu'il n'y a rien à dire.
Alors démontrer c'est ça : pouvoir dire à quel moment c'est évident.
J'ai vu que tu tenais un blog, comment le processus de rédaction se passe-t-il ?
Rédiger des articles sur mon blog est toujours un peu périlleux pour la simple raison que ce blog est difficile à tenir. (Dernièrement j'ai eu trop peu de temps pour m'en occuper, ça reprendra en Septembre.)
Mon but depuis que je l'ai ouvert, est de pouvoir partager un aperçu de ce que je fais. Ça passe donc par des notes de cours, des notes de recherches personnelles, des billets sur mon actualité, etc. Le processus de rédaction est en fait multiple. Il y a deux grand types d'articles : ceux qui traitent un résultat, ceux qui traitent un raisonnement.
Les deux styles principaux cherchent à dévoiler le chemin parcouru et pas juste la finalité, cependant les articles qui traitent un résultat sont plus "classiques" dans le sens où on est difficilement surpris au fil de la lecture.
Dans tous les cas, je cherche à faire simple. Pour moi c'est une règle d'or : faire des mathématiques c'est chercher à faire simple (pas forcément facile, attention).
Pour que ça paraisse plus clair, prenons un exemple. Disons que je veux démontrer le théorème de Pythagore.
La première étape et la plus longue, c'est la partie où je n'écris pas l'article mais me renseigne un maximum sur le sujet. C'est le moment où je m'assure que je suis au point avec les notions abordées (qu'est-ce qu'un triangle ? un angle droit ?). C'est aussi, pourquoi pas, en savoir plus sur l'histoire du résultat (comment et quand est-il apparu ?).
La seconde étape est une période courte et efficace de rédaction. J'essaye d'écrire sans trop m'arrêter ce que j'ai en tête une fois la première étape passée. C'est un moment particulièrement agréable parce qu'on a l'impression de voir clair dans le sujet. C'est aussi l'étape la plus importante : il faut rester simple, clair et sans faire trop d'erreurs.
La troisième et dernière étape consiste à relire et relire encore et encore pour s'assurer qu'il n'y a pas de problème de logique, de références (bibliographiques) et d'orthographe. C'est donc une partie où je révise le fond et la forme sans pour autant trop modifier le corps même de l'article. C'est aussi le moment où j'insère une image (ou deux) pour illustrer un peu plus le texte. Je suis pas un grand fan de dessins, je trouve l'exercice mental plus intéressant, mais c'est tout de même plus sympathique à la lecture d'avoir un petit dessin.
Tout ça peut prendre 3 à 7 jours selon le sujet et mes disponibilités. Dans tous les cas c'est un plaisir que je prends, c'est aussi le moyen pour moi d'avoir plus de repères par rapport à ce que je fais (mine de rien, tout ce boulot fixe bien ce que j'apprends).
Et pour la fin révélons un mystère: ton avatar, que représente-t-il ?
J'ai tiré mon avatar du livre de Milnor : Topology from the Differentiable Viewpoint (très bien écrit et passionnant).
Ça représente plusieurs choses et malheureusement je ne pense pas que ce soit une bonne idée de donner la définition formelle et indigeste au premier abord ici.
Contentons nous de regarder le chemin suivi par les yeux sur ce dessin, et rendons nous compte que l'on finit toujours (si l'on fait abstraction du contour) par regarder le point au milieu "très moche avec plein de chemins qui le rejoignent".
Ce point "très moche" est ce que l'on appelle un point singulier, et ce dessin particulier est un exemple des différents "types" (indices, plus précisément) de points singuliers que l'on peut avoir dans un système dynamique (courbes intégrales d'un champ de vecteurs plus précisément) du plan. Ah bah si, finalement j'ai donné la définition (presque) formelle.
Pourquoi avoir choisi cet avatar ? Je le trouve particulièrement réussi (même si ça n'est pas un avatar à la base) : il est simple, petit et révélateur de beaucoup de choses (ma personnalité et ce que j'aime). C'est donc un peu l'avatar parfait à mes yeux. Et puis entre nous, je trouve que ça ressemble à un visage humanoïde si on met à part les "yeux" qui seraient très étrangement dessinés. On a notamment un trait plus épais au niveau de ce qu'on pourrait appeler la "bouche", c'est ce qui me fait dire que Milnor a pensé à un visage en faisant ce dessin !
J’espère que cette interview vous aura plu ! La zone de commentaires est maintenant pour vous chers lecteurs afin de poser les questions que vous souhaitez à Holosmos pour en savoir plus sur son amour des maths. Vous pouvez aussi retrouver ses articles illustrant ses réflexions sur son blog : ratiocinalis.fr.
Un grand merci à Eskimon et à Arius. Eskimon pour avoir proposé et organisé cet article dès juillet et Arius pour son point de vue extérieur essentiel !
Merci à @dri1 pour la validation.