Bonjour Natalya et bienvenue à mon micro ! C'est pour moi un petit plaisir que de te cuisiner car tu travailles dans un domaine que l'on connait assez vaguement et pourtant si intéressant, celui des systèmes embarqués.
Pour les lecteurs moins au fait de ce secteur, pourrais-tu dégrossir un peu la notion de "systèmes embarqués" ?
Je vais commencer par citer Wikipedia:
Un système embarqué (ou système enfoui) est défini comme un système électronique et informatique autonome, souvent temps réel, spécialisé dans une tâche bien précise. Le terme désigne aussi bien le matériel informatique que le logiciel utilisé.
On regroupe plein de choses sous ce nom : les pilotes automatiques d'avions, les téléphones portables, les drones, les portes de garage automatiques… Bref, tout ce qui a un processeur sans être un PC (ou un serveur), et certains systèmes sans processeurs mais avec une forme d'intelligence (on n'a pas besoin de processeur pour faire une alarme anti-intrusion).
Et maintenant je vais nuancer la définition :
- c'est un système électronique et informatique, rien à redire ;
- autonome, mais qui, de plus en plus, communique avec d'autres systèmes ;
- souvent temps réel : on appelle temps réel des systèmes dont on peut prédire et borner le temps de réaction. Ce n'est pas le cas d'un PC, mais c'est nécessaire pour l'auto-pilote d'un avion. On s'épargne par contre cette contrainte quand on fait un téléphone portable ;
- spécialisé dans une tâche bien précise : l'auto-pilote de l'avion, l'ouverture de garage, c'est très spécifique, par contre, pour les téléphones portable, aujourd'hui, ils font téléphone, GPS, internet, etc. J'ai du mal à dire qu'ils sont spécialisés.
Alors que va-t-on appeler un système embarqué ? Dans le monde du développement logiciel, on parle aujourd'hui de système embarqué dès que le soft développé dépend du hardware sur lequel on va le faire fonctionner. C'est très vague, mais le point important, c'est qu'on travaille avec le matériel.
Et alors concrètement, au quotidien tu fais quoi ?
Concrètement ? Plein de choses. Je travaille sur des produits assez divers : des drones, des ordinateurs de voiture, des casques audio…
À mon poste actuel, je ne travaille pas sur les produits complets, je me concentre sur deux choses : les mémoires et les programmes de boot. Je travaille surtout sur des processeurs développés par mon entreprise, en ce moment sur un processeur basé sur un cœur ARM Cortex-A9, comme celui de l'iPhone 4S, auquel on a ajouté un GPU OpenGL ES 2.0 et des blocs de traitement vidéo développés en interne. On utilise le processeur nu (baremetal en anglais), ce qui signifie qu'il faut faire tout le travail que le BIOS fait sur un PC : démarrer la RAM, trouver le système d'exploitation dans la flash, le charger, etc. D'où la nécessité de comprendre les différentes technologies de mémoire qu'on utilise (notamment Flash NAND et DDR3).
Dans mon travail, je développe donc les fonctionnalités nécessaires pour les différents projets (par exemple, j'ai eu un projet qui avait besoin de booter en réseau au lieu de trouver son OS dans la flash), je développe le support de nouvelles mémoires, et surtout, j'écris des tests pour savoir si elles rempliront bien leur rôle sur nos produits. Nos produits peuvent fonctionner de -40°C à +85°C de température ambiante. À ces températures, les transistors ne se comportent pas du tout pareil qu'à 20°C. Pour pouvoir faire ça, je passe énormément de temps à lire de la documentation.
Une fois le produit parti en production, le travail n'est pas fini. Il arrive parfois que des produits tombent en panne. Dans l'automobile, les taux de défaut sont de l'ordre de 30 pièces défectueuses pour 1 million (PPM), quand tout est normal (quand vous entendez dire qu'un modèle de voiture a plein de problèmes, c'est que les 30 PPMs n'ont pas été respectées). Mais imaginez que vous avez produit 100000 pièces, si une seule tombe en panne, ça fait déjà 10 PPM. Mais est-ce que les autres pièces vont aussi tomber en panne ? Pour le savoir, on analyse les pièces qui reviennent en panne. Retrouver l'origine du défaut à partir de ce qu'il reste de la pièce (je rappelle qu'elle ne marche plus) fait partie de mon boulot.
Ah, et comme je ne peux pas tout faire tout seul, j'ai recruté, je gère donc une équipe (de deux personnes, en me comptant ). Mais je vais peut-être changer et faire du contrôle moteur (pour stabiliser des pièces, une caméra, par exemple, et éventuellement gagner en rendement, et donc en autonomie, vu qu’on est sur batterie). C’est vaste les systèmes embarqués.
Il y a quelques mois, on a pu découvrir le métier d’ingénieur en électronique avec zeqL. Ton activité est-elle complémentaire de la sienne ou complètement différente ?
Tu poses la question à cause de mes explications sur la gestion des retours ? Eh bien tu as raison, lui et moi, à ce niveau là, nous faisons quasiment le même travail. Simplement, quand la pièce est en panne à cause d'un composant électronique hors service, on lui confie la carte ; quand l'électronique a l'air fonctionnelle, c'est à moi qu'on la confie, à la recherche d'un défaut logiciel.
Cependant, dans beaucoup de cas, la cause n'est pas si évidente à déterminer. Il est possible de dégrader le matériel avec un mauvais logiciel, et il est possible de corrompre le logiciel avec un matériel fonctionnant mal à haute ou basse température, ou dans un environnement particulier, où qu'il se passe des choses quand on coupe l'alimentation électrique d'une certaine façon. En fait, si la plupart des tâches que j'ai à faire me sont demandées par des équipes logicielles, je collabore surtout avec les équipes matérielles. Aujourd’hui, on ne fait plus de matériel sans logiciel, mais il y a des millions de lignes de codes qu’on ne peut comprendre qu’en comprenant le matériel.
Lors de tes études, des choix/activités ont-ils été déterminants ?
Commençons d'abord par décrire mes études. J'ai suivi la voie la plus simple : bac S, puis directement école d'ingénieur (l'ESEO à Angers, pour les curieux) en prépa intégrée. À BAC+4, j'ai choisi de me spécialiser dans les systèmes embarqués et l'automatique (la science qui permet de faire du vol stationnaire avec un drone sans toucher les commandes), et, à BAC+5, en parallèle de ma dernière année d'étude, j'ai fait un master 2 de Recherche. Mon stage de fin d'étude s'est fait dans un labo de Recherche, et, à la fin du stage, j'ai abandonné l'idée d'une thèse pour aller travailler en entreprise.
Donc quels choix ont été déterminants ? Pour moi, il y a surtout un choix qui a été déterminant : celui d'aller dans le club robot de mon école. À la base, j'étais venu dans mon école pour faire de l'informatique pure, les autres cours du cursus ingénieur, c'était juste de la culture générale (mes parents avaient lourdement insisté pour que je ne fasse pas que de l'informatique, et aujourd'hui, je les en remercie). Le club robot, ça a été pour moi l'occasion :
- de travailler en équipe ;
- de me heurter à tous les petits problèmes qu'on ne voit pas en cours ;
- de me rendre compte que l'électronique c'est cool, que c'est plus que la théorie qu'on voit en cours, et que les cours sont théoriques parce que le reste peut être acquis autrement. Oui, il faut le dire, les cours d'électronique et d'automatique, c'était nécessaire, mais c'était chiant.
Si je n'avais pas été au club robot, je n'aurais pas choisi de faire une option avec de l'électronique, et je ne serais pas au même poste aujourd'hui.
À ce titre, on peut donc citer mon passage en master Recherche comme déterminant. Grâce à ça, je sais que la Recherche publique ne m'intéresse pas.
C'est un conseil que je donne à mes lecteurs : essayez le plus de choses possible le plus tôt possible, ça vous permettra de trouver plus rapidement ce qui vous plait dans la vie, et de vous investir dedans sans vous demander si l'herbe est plus verte ailleurs.
Et ton activité professionnelle te permet-elle de continuer à participer à des activités en extra comme des clubs de robotique ?
Oh oui, on travaille assez peu en France, le contrat à temps plein, de base, est à 35H par semaine, généralement 38h30 + RTT en tant que cadres (même s’ils en font souvent 40. J’en fais plutôt 45, mais c’est pas une généralité). Ça laisse le temps de faire des activités à côté.
Les deux ans après ma sortie de l’école, j’ai fait de la robotique dans l’équipe Atlantronic, composée principalement d’ingénieurs de Centrale Nantes, que j’ai rencontrés à l’occasion de mon master. Maintenant, je participe à l’organisation de l’événement (enfin, pas trop cette année, j’ai eu d’autres activités perso : du jeu de rôle sur table, du jeu de rôle grandeur nature, etc.).
D’ailleurs, je profite de l’interview pour faire un peu de com’ : la ville de la Ferté Bernard ne pouvant organiser le festival ARTEC cette année, Planète Science, l’association qui organise la coupe de France de Robotique, doit reprendre à sa charge pas mal de frais habituellement pris en charge par la ville. N’étant pas parvenu à trouver d’autres partenaires pour financer entièrement la Coupe, ils font appel au financement participatif, donc si vous voulez soutenir un événement qui développe les compétences de milliers d’étudiants ingénieurs participant chaque année, et qui vulgarise les sciences auprès du grand public (et qui est un rassemblement super sympa entre passionnés, mais je suis pas sûr d’attirer les financements avec cet argument ), et bien entendu si vous en avez les moyens, n’hésitez pas !
Un petit mot pour la fin ?
Mon mot de la fin s’adressera à tous les passionnés, et particulièrement aux lycéens et futurs étudiants. Vous avez une passion, c’est une chance, ça enrichit votre vie. Néanmoins, quand vous avez l’opportunité d’étudier, ne vous enfermez pas dans votre seule passion. Il est possible que vous puissiez vivre votre passion plus pleinement en l’appliquant au-delà de son cadre stricte. Cherchez une formation centrée sur votre passion, mais plus large que celle-ci. Vous êtes passionné, votre formation vous donnera les bases pour aller plus loin, ce que vous ne manquerez pas de faire, en tant que passionné, mais ce que vous découvrirez dans des domaines connexes risque de vous rester à jamais inaccessible si vous ne profitez pas de vos études pour apprendre les bases.