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L'histoire d'Henry Judah Heimlich

Éléments d'histoire du secourisme

Bien le bonjour !

On entend souvent parler de la manœuvre de Heimlich dans les formations de secourisme, mais il est plus rare que l’on parle d’Heimlich lui-même. C’est ce que je vous propose aujourd’hui : découvrir l’histoire d’Henry Judah Heimlich, l’inventeur de la manœuvre qui porte son nom, mais pas seulement.

En effet, Henry Judah Heimlich est l’inventeur de la méthode la plus plébiscitée aujourd’hui pour secourir les victimes d’étouffements. Mais il n’a pas fait que ça, et c’est ce que nous allons voir dans cet article.

Je précise qu’aucune connaissance préalable n’est nécessaire pour lire ce qui suit.

Début de carrière

Né le 3 février 1920 à Wilmington dans l’état du Delaware aux États-Unis, Heimlich obtient son doctorat de médecine en 1943 au Weill Medical College, une faculté de médecine de l’état de New-York.

Il rencontrera un certain succès dès le début de sa carrière. En effet, c’est en 1945, alors qu’il est poste en Chine dans l’US-Navy, qu’il trouve un traitement au trachome en mélangeant de la sulfadiazine, un antibiotique utilisé notamment contre la toxoplasmose, et de la mousse à raser. Le trachome est une infection bactérienne causée par des chlamydias qui entraîne de graves troubles de la vue pouvant aller jusqu’à la cécité totale.

Dans les années 1950, il fait une spécialisation en chirurgie thoracique et exercera alors en blocs opératoires.

La valve de Heimlich

C’est en 1962 que Henry Heimlich rencontre son premier grand succès avec l’invention d’une valve anti-retour qui porte son nom : la valve de Heimlich. Mais avant de vous expliquer son fonctionnement, il me faut d’abord introduire ce qu’est un pneumothorax.

Lorsque la partie haute du corps subit un choc violent (une chute, une collision à haute vitesse, etc) il peut arriver qu’une côte perfore un des poumons. Cela peut aussi se produire lors d’une plaie perforante (typiquement, une plaie par balle). Le poumon va alors laisser s’échapper de l’air à chaque inspiration. Cet air va s’accumuler dans la plèvre (l’espace normalement occupé par les poumons, qui est donc vide) et va alors comprimer le poumon, ce qui rendra l’inspiration plus difficile, un peu comme si vous respiriez avec une ceinture bien trop serrée. Seulement, à chaque inspiration, d’avantage d’air s’échappera dans la plèvre, rendant encore plus difficile l’inspiration suivante. Ce phénomène peut rapidement se terminer par un étouffement. C’est ce que l’on appelle un pneumothorax.

Il peut aussi arriver que ce ne soit pas de l’air mais du sang qui s’échappe dans la plèvre (par exemple en cas d’hémorragie interne), il s’agit alors d’un hémothorax. Les conséquences sont les mêmes, si ce n’est qu’il faut en plus prendre en considération la perte sanguine.

Illustration d’un pneumothorax. On voit l’espace pleural du poumon gauche rempli par de l’air. Source.

Lorsque l’ensemble poumon-diaphragme est au repos, il y a une très faible pression négative à l’intérieur de la plèvre : -3 mmHg, soit -0,4 kPa. Lors de l’inspiration, cette pression passe à -6 mmHg (soit -0,8 kPa). Il y a donc une pression négative entre les poumons et l’air extérieur, ce qui créé un phonème "d’aspiration". En cas de perforation, cette pression négative est donc supprimée.

La problématique est donc la suivante : comment arriver à drainer l’air ou le sang dans l’espace pleural sans que l’air extérieur ne rentre dedans à cause de cette pression négative ?

C’est là qu’intervient la valve anti-retour créée par Heimlich. Celle-ci est constituée d’un tube en plastique muni de deux embouts de raccordement. À l’intérieur, l’un de ces embouts est relié à un tube flexible. En reliant cet embout à un tube placé dans l’espace pleural, et l’autre à une pompe1, on peut en aspirer le contenu sans qu’il y ait un retour à chaque inspiration.

Schéma d’une valve de Heimlich. Source.

Cette valve a notamment été très utilisée pour soigner les soldats victimes de plaies par balle lors de la guerre du Vietnam, et elle l’est encore aujourd’hui pour drainer les pneumo et hémothorax.


  1. Ou à n’importe quel appareil créant un vide d’air. Les raccords étiquetés « Vide » que l’on trouve dans les chambres d’hôpitaux servent notamment à cela. 

La manœuvre de Heimlich

C’est en juin 1974 que le docteur Heimlich va publier l’article qui le rendra définitivement célèbre. À cette époque, les étouffements sont la sixième cause de décès aux États-Unis, et si les médecins disposent de quelques pistes pour les traiter, leur efficacité n’est pas toujours au rendez-vous. Certains recommandent de frapper dans le dos, d’autres de tenter d’attraper l’objet obstruant avec les doigts. Certains tentent même de pousser le corps obstruant plus loin dans la trachée afin qu’il ne bloque plus qu’un seul des deux poumons, mais cette manœuvre se révèle souvent fatale.

C’est donc dans le Journal of Emergency Medicine que Heimlich choisi de publier un article nommé « Pop Goes the Cafe Coronary », où il propose d’expulser les corps obstruant en exerçant une forte pression vers le haut au niveau du creux de l’estomac, afin de comprimer artificiellement le diaphragme et les poumons, afin de reproduire l’effet d’une toux violente. Cependant, pour être efficace, cette pression doit être très forte. En fait, il faut essayer de soulever la victime par l’estomac. Les nausées ne sont donc pas rares après une telle manœuvre.

À la sortie de cet article, ses collègues sont sceptiques. Ils craignent notamment que cette manœuvre puisse léser les organes internes, et que son apprentissage au public soit difficile. Afin de prouver l’efficacité de cette méthode, Heimlich décide alors de publier ses recommandations dans des journaux grand-public, afin d’avoir des retours concrets. Bien que discutable, cette méthode porta ses fruits. En effet, dès le 19 juin, le journal Seattle Post-Intelligencer reporta qu’un habitant de Washington parvint à sauver la vie d’une voisine grâce à cette méthode. Les retours de ce type se multiplièrent, et ainsi cette méthode fut adoptée.

L’entrée dans les référentiels

À partir de 1976, les organisations de secourisme américaines introduisent officiellement la manœuvre de Heimlich dans leurs référentiels. Celle-ci doit être pratiquée seulement après avoir tenté de donner cinq tapes vigoureuses dans le dos de la victime. Cette dernière recommandation est supprimée en 1985, puis restaurée par la Croix-Rouge américaine en 2006. Comme souvent en secourisme, les recommandations évoluèrent en dent de scie1 jusqu’à aujourd’hui.

Illustration de la manœuvre de Heimlich. Source.

Une personne qui s’étouffe se repère assez facilement. Celle-ci…

  • porte ses mains à son cou et a la bouche ouverte.
  • est agitée.
  • ne peut ni parler, ni tousser, ni respirer.

Pour reproduire cette manœuvre, mettez-vous derrière la victime, et joignez vos poings devant son estomac, une main entourant l’autre afin d’avoir le plus de force possible. Ensuite, exercez une forte pression vers l’arrière (vers vous) et vers le haut, pour soulever la victime par l’estomac2.

Attention, si la victime tousse, il s’agit d’un étouffement partiel. Dans ce cas, ne tentez pas cette manœuvre, encouragez-la simplement à tousser et aidez-la à se positionner en avant ou sur le côté.

Aujourd’hui (en 2017), en France, les recommandations du diplôme PSC1 sont les suivantes.

  1. Demander à la victime si elle s’étouffe afin d’écarter l’hypothèse d’une obstruction partielle ou d’un autre problème respiratoire. La victime ne doit pas pouvoir répondre, elle porte ses mains à son cou et a la bouche ouverte.
  2. Donner cinq tapes vigoureuses dans le dos.
  3. En cas d’échec, tenter cinq fois la manœuvre de Heimlich.
  4. En cas d’échec, retour au n°2. Si la victime perd conscience, commencer un massage cardiaque.

En cas de succès, et si une ou plusieurs manœuvres de Heimlich ont été pratiquées, appeler les secours (112 en Europe, 911 en Amérique).

Pour plus d’informations sur cette manœuvre ou sur l’appel aux secours en général, vous pouvez consulter cet article dédié à ce sujet : Comment alerter les secours ?.


En 2003, un ancien collège de Heimlich, Edward Patrick, affirma être le co-créateur non crédité de cette manœuvre. Toutefois, il ne put apporter de preuve de ses dires.


  1. L’exemple le plus connu est celui du massage cardiaque, dont les recommandations ont énormément changées depuis le début des années 2000. 

  2. Oui, ça fait mal, et ça peut donner envie de vomir, mais c’est très efficace. 

Toutes les bonnes choses…

Famille

Depuis le 4 juin 1951, le docteur Heimlich est marié à Jane Murray. En 1981, cette dernière co-écrit le livre Homeopathic Medicine At Home, où elle donne des conseils homéopathiques pour traiter les petites blessures1. Ils ont eu quatre enfants. L’un d’eux, Peter, entretint des rapports conflictuels avec son père, l’accusant de « fraude scientifique » du fait de ses théories controversées2. En 2014, Heimlich publie un mémoire intitulé Heimlich’s Maneuvers: My Seventy Years Of Lifesaving Innovation.

Prolepse. Nous sommes maintenant le 23 mai 2016.

Le docteur Henry Judah Heimlich a 96 ans et est en maison de retraite à Cincinnati, dans l’Ohio. Ce midi, les hamburgers sont au menu. Soudainement, une femme, Patty Ris, s’étouffe avec un morceau de viande. Un homme se lève et pratique une manœuvre qui porte désormais son nom. Heimlich a pour la dernière fois, sauvé personnellement une vie. Il avait déjà pratiqué cette manœuvre treize ans auparavant, sauvant un homme de l’étouffement dans un restaurant, bien que cette intervention ait été bien moins médiatisée.

Captures d’écran3. Source : FranceTVInfo et l’Express.

Avançons dans le temps une dernière fois.

Nous sommes désormais le 17 décembre, dans une chambre du Christ Hospital. C’est la fin du voyage pour le docteur Heimlich, qui a subi une attaque cardiaque le 12 décembre, chez lui, à Hyde Park. Il meurt à 96 ans. En 2009, le New York Times estimait à 100 000 le nombre de personnes sauvées grâce à sa fameuse manœuvre rien qu’aux États-Unis.

Dans tous les restaurants américains, on retrouve des affiches expliquant comment effectuer la manœuvre de Heimlich.

Portrait du docteur Henry Judah Heimlich. Source.

  1. Ce qui est assez ironique quand on sait que l’inventeur de l’homéopathie, Samuel Hahnemann, était opposé à la médecine allopathique, c’est à dire celle que pratiquait Heimlich. 

  2. Heimlich proposa notamment d’utiliser sa fameuse manœuvre sur des asthmatiques ou des victimes de noyades, ce à quoi toute la communauté médicale s’opposa. Il semblerait qu’il ait également mené illégalement des expériences sur des patients séropositifs au VIH en Éthiopie. 

  3. Captures d’écran sous licence « Creative Commons By-SA 4.0 rezemika », en vertu du droit à la citation. 


Conclusion

Merci d’avoir lu cet article !

Je tiens à remercier également victor pour m’avoir suggéré la rédaction de cet article, Gwend@l, Looping et Arius pour leurs retours sur la version bêta de ce tuto, ainsi que Holosmos pour son travail de validation.

Licence

Cet article est publié sous la licence « Creative Commons By-SA 4.0 rezemika ». Les licences des images sont indiquées dans leurs sources, mais sont toutes compatibles à minima avec la rediffusion.

Sources

2 commentaires

Je ne peux qu’appuyer mon VDD. :)

Pour appuyer l’importance de la valve de Heimlich pour drainer les pneumo et hémothorax en situation de combat, il faut savoir que dans ce genre de situation, le temps est très important. D’autant plus que les troupes sont souvent très éloignées des hôpitaux et les moyens de déplacement assez restreints (typiquement, les évacuations se font par hélicoptère). Les aide-soignants et médecins militaires doivent agir très rapidement et le patient doit être conduit vers l’hôpital allié le plus proche dans l’heure (en Afghanistan, les troupes US et alliées avaient donc mis les moyens pour que tout patient puisse être traité le plus rapidement possible et appelaient donc cela : golden hour).

Dans le cas d’une perforation du poumon par balle, sans la valve, nombre de militaires n’auraient jamais survécu à leur(s) blessure(s). L’apposition de la valve et les pratiques de premiers soins qui vont avec sont très souvent pratiquées en opération extérieure, parfois en plein échange de tirs.

C’est un objet simple mais qui a incommensurablement sauvé de vies humaines dans des zones de conflit ou de graves situations humanitaires. Simple, mais efficace. :)

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