Un nouveau record de décimales de π
Le record
Plus de soixante-deux-mille-milliards de décimales de π calculées – 62 831 853 071 750 pour être exact.
C’est le record du monde actuel, et le résultat auquel est l’arrivée, ce samedi 14 aout 2021, l’équipe de l’Université des Sciences Appliquées des Grisons, en Suisse. Vous pouvez retrouver tous les détails de cette aventure sur leur site Internet (en anglais).
Le précédent était de 50 000 milliards de décimales (tout rond), par Timothy Mullican, le 29 janvier 2020.
Comment ?
En une centaine de jours, avec un seul serveur de calcul et un seul serveur de stockage.
Le serveur de calcul possédait 2 AMD EPYC 7542 pour un total de 64 cœurs et 128 threads, et 1 To (1024 Go) de mémoire vive. Si ce dernier chiffre peut paraitre énorme, c’est pourtant trop peu de RAM pour contenir π avec toute la précision voulue (on peut y calculer 100 milliards de décimales, mais on en veut 62 800 milliards – 628 fois plus)…
C’est pour ça qu’à la machine de calcul a été adjoint un serveur de stockage constitué de 38 disques de 16 To chacun. Il a fourni 63 To pour conserver π, 91 To pour les éléments intermédiaires, 310 To de swap, qui agit comme une extension de la mémoire vive, et 180 To de sauvegardes diverses.
La puissance nécessaire n’était pas démesurée : l’équipe indique une consommation de 300 W pour le serveur de calcul, 430 W pour celui de stockage et 950 W pour la climatisation de l’ensemble, soit un total de 1700 W. Cela donne une consommation totale d’environ 15 GJ (4100 kWh pour rester dans des unités habituelles quand on parle d’électricité). La puissance nécessaire consommée est proche de celle d’un petit sèche-cheveux ; et l’énergie totale est du même ordre de grandeur que l’électricité consommée sur une année par un foyer moyen en France en 2016.
Autant de décimales de π, pour quoi faire ?
π et le monde physique
D’accord, on dispose maintenant de plus de 62 000 milliards de décimales de π. Mais dans la vraie vie, à quoi est-ce que ça peut servir ?
Eh bien, la NASA, via sa section du JPL, répond à cette question (en anglais). La valeur de π qu’ils utilisent est : 3,141 592 653 589 793… soit 15 décimales « seulement ». Et pourtant, cette valeur, qui peut sembler ridiculement faible, est largement suffisante dans le monde réel :
- La sonde spatiale Voyager 1, qui est l’objet humain le plus lointain, est à plus de 20 milliards de kilomètres (plus d’un jour-lumière) de la Terre. π arrondi à la 15ème décimale donne une erreur de moins de 4 centimètres sur le diamètre d’un cercle de 20 milliards de kilomètres.
- La circonférence terrestre est de 40 000 km environ ; l’approximation de π utilisée par la NASA premet une imprécision de la taille d’une molécule sur une telle distance (donc bien inférieure à toutes les irrégularités de la surface de la planète).
- Le rayon de l’Univers visible1 est de l’ordre de 46,5 milliards d’années-lumière. 40 décimales de π sont pourtant suffisantes pour calculer son périmètre avec une erreur de la taille d’un atome d’hydrogène – le plus petit existant.
Tous ces calculs supposent aussi que l’on ait des données d’une précision similaire à celle de la valeur de π utilisée.
On peut même s’amuser à pousser encore le calcul. La plus grande taille qui ait un sens physique, c’est celle de l’Univers observable, soit 46,5 milliards d’années-lumière de rayon, donc environ mètres. La plus petite longueur qui ait encore un sens physique est la longueur de Planck, qui vaut mètres. Il y a donc un rapport de entre ces deux valeurs2. Ainsi, une soixantaine de décimales de π sont suffisantes pour calculer la taille de l’Univers avec la plus grande précision qui ait un sens physique, même en imaginant des données infiniment précises (dans les limites de la physique) en entrée. On peut raisonnablement en déduire qu’une poignée de centaines de décimales seront largement suffisantes pour toute forme de calcul portant sur une réalité physique quelconque.
Or, on connait π avec une précision à des centaines de milliards d’ordres de grandeur supérieure3.
Alors, quelle utilité ?
L’équipe répond elle-même à cette question : en soi, une telle débauche de décimales de π ne sert à rien.
Par contre, c’est un bon test pour essayer et valider des solutions de calcul haute performance, ici sur du matériel intermédiaire entre le petit serveur personnel et de grosses installations de type superordinateur. Si le matériel utilisé est très accessible (y compris à des PME), il a fallu des configurations et des compétences assez spécifiques pour y parvenir. Ce type de projet permet aussi de certifier le fonctionnement du matériel et du logiciel dans les conditions inhabituelles nécessaires à ce genre d’exploit, avant de les employer pour des tâches précieuses.
Et bien entendu, pour la fierté d’avoir battu le record du nombre de décimales connues de π.
- L’Univers n’a « que » 13,8 milliards d’années, mais l’horizon cosmologique est plus lointain du fait de l’expansion de l’Univers.↩
- Exprimé autrement, l’univers observable a un rayon de fois la longueur de Planck.↩
- Ce qui est littéralement impossible à imaginer. Trois ordres de grandeur, 3 décimales, c’est déjà une multiplication par mille. Neuf, c’est une multiplication par un milliard, un nombre déjà si titanesque qu’on a énormément de difficultés à l’appréhender. Dans notre cas, la seule différence entre la taille de l’écriture des chiffres est hors de portée…↩
Merci à @melepe pour la validation et à @Aabu pour les commentaires !
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