Bien le bonjour, amis du Zeste !
Cette fois-ci, nous faisons la rencontre d’un Game designer avec qui nous parlerons — bien évidemment — de la création de jeux vidéos, j’ai nommé : @JbL !
- Alors, qui es-tu, et que fais-tu ?
- Comment se passent les journées d’un Game Designer ?
- Comment est-ce que tu en es arrivé là ?
- Un (des ?) conseil pour ceux qui veulent se lancer dans le métier ?
- Le petit mot de la fin ?
Alors, qui es-tu, et que fais-tu ?
Je m’appelle Jean-Baptiste, j’ai 36 ans et je suis Game Designer. Je travaille actuellement en Suède, sur un jeu appelé Avatar: Frontiers of Pandora et édité par Ubisoft.
Quand je dois expliquer ce que je fais à des gens qui ne s’y connaissent pas beaucoup en jeu vidéo, je dis: "Tu vois les échecs ? Bon. Si c’était inventé aujourd’hui, il faudrait que quelqu’un décide des mouvements de chaque pièce, comment on gagne le jeu, comment on le perd, combien de cases il y a, etc… Et ce travail, ce serait à un ou une Game Designer de le faire".
C’est pour résumer. Dans les faits, le Game Design est une discipline assez vaste et les tâches peuvent beaucoup varier d’un projet ou d’un studio à un autre. On peut bosser sur les règles du jeu, mais aussi sur le réglage de la difficulté, ce que doivent faire les PNJ, les contrôles et les mouvements de l’avatar, etc… Il faut travailler en collaboration avec d’autres corps de métiers, des programmeurs la plupart du temps, mais aussi des Sound Designers, des Narrative Designers, Level Designers, etc. Selon la spécialité ou l’aspect du jeu sur lequel on travaille, on peut se retrouver à parler à plein de gens différents.
Un autre élément important du métier, c’est que, à moins d’être un vrai studio indépendant, on conçoit un jeu selon un cahier des charges donné par la direction créative, qui parfois elle-même reçoit des consignes de plus haut encore. Donc on ne fait pas le jeu qu’on veut. En tout cas, dans mon secteur de l’industrie qui est plutôt celui du "blockbuster". On fait des jeux pour un public, qui n’est pas toujours celui dont on fait partie soi-même.
Comment se passent les journées d’un Game Designer ?
Des fois c’est le feu, des fois c’est plus tranquille ! En vrai, les journées se ressemblent assez peu.
En général, ça va dépendre de la période de développement. Au début c’est beaucoup de réunions et d’écriture de documentation, pour décider de ce qu’on va faire, avec toutes les personnes qui vont devoir collaborer, et rassembler toutes ces intentions dans un document de design que tout le monde va pouvoir suivre (en théorie).
Par exemple si l’on est responsable du système de quête, il faut parler avec la direction créative, les programmeurs, les Quest Designers, Narrative Designers… pour arriver à un système qui satisfasse tout le monde, tant sur l’intention que les fonctionnalités et le coût technique. Personnellement, c’est la partie que je préfère car c’est là qu’on peut exprimer le mieux sa créativité pour arriver à conceptualiser un système qui réponde à tous les besoins, ce qui est toujours un exercice intéressant.
Un peu plus tard on coordonne l’implémentation, on règle les problèmes de design qui inévitablement émergent (ça fait partie du processus) voire on change le design, s’il le faut. Et sur la fin, on corrige des bugs. Ce n’est pas forcément la partie la plus fun, mais c’est évidemment nécessaire. Dans ces cas-là, on parle aussi beaucoup avec les testeurs qui connaissent le jeu mieux que quiconque et sont chargés d’en vérifier la qualité.
On travaille beaucoup par itération. Car un design bien écrit sur le papier, c’est beau, mais il n’y a qu’en testant qu’on sait si ça marche. Du coup, on fait souvent des prototypes bien moches pour tester les fonctionnalités. On les teste, on les ajuste, on re-teste… jusqu’à avoir le résultat souhaité.
J’aurais bien du mal à décrire ma journée type. Certaines sont remplies de réunions qui s’enchaînent non-stop, d’autres on s’acharne sur un script qui ne fait pas ce qu’on veut. Des fois, on court un peu partout pour éteindre des incendies (métaphoriques, heureusement). Souvent, on discute d’un problème avec d’autres personnes pour essayer de trouver la meilleure solution possible. Par exemple, si les Quest Designers se rendent compte qu’ils ont besoin d’une fonctionnalité qui n’existe pas, on parle avec eux de leur besoin, on essaie de voir s’il n’est pas possible de le combler avec du code déjà existant, on évalue avec les programmeurs le coût (en temps) de la fonctionnalité, on compare avec les gains, etc.
C’est beaucoup de communication, de négociation et de créativité aussi. Suivant sa spécialité on peut se retrouver à travailler dans le moteur de jeu directement ou dans Excel.
Comment est-ce que tu en es arrivé là ?
Alors, mon parcours… Je n’ai pas été vers le jeu vidéo tout de suite, même si ça a toujours été une de mes passions. Après le bac j’ai fait une licence d’anglais, ce qui m’a permis de parler cette langue couramment. Important pour la suite !
Pourquoi le game design ? La réponse est peut-être bête, mais ça m’a simplement toujours passionné. Petit, j’aimais beaucoup inventer des histoires, mais aussi des jeux. J’ai eu ma petite période "Maître de Jeu", plutôt sur Hero Quest, un jeu de société où on incarne des aventuriers dans un donjon. Je me suis rendu compte que je m’amusais davantage à inventer l’histoire et ses épreuves qu’à jouer au jeu lui-même. J’ai voulu me spécialiser dans ce domaine assez vite, mais à l’époque où je commençais à songer à mon avenir professionnel, les seules formations que j’ai pu trouver étaient surtout pour devenir programmeur, et ça n’était pas ce que je voulais (et j’ai toujours cordialement détesté les maths). Du coup, après le bac, ça a été l’anglais.
Après ma licence, j’ai fait des petits boulots (hôte d’accueil dans un théâtre, caissier à la Fnac) et à 26 ans j’ai décidé de reprendre mes études. Je me suis rappelé mon rêve de gosse et découvert que des formations avaient été créées en France. J’ai trouvé un cursus d’un an en Game Design/Level Design à Lyon, dans l’école Gamagora. J’ai fait mes bagages et je suis parti.
À l’issue de cette année, j’ai obtenu mon diplôme et je suis allé à Paris pour commencer un stage à Cyanide, en tant que… testeur QA. J’aurais pu faire mon stage en Game Design mais ça aurait été dans le jeu Facebook (c’était tendance à l’époque) ou la robotique, ce qui ne m’intéressait pas vraiment. Cyanide faisait et fait toujours des jeux pour passionnés, du coup je me suis lancé, même si ça n’était pas exactement le métier que je voulais faire. Je pensais - très naïvement - qu’à la fin de mon stage je progresserais naturellement vers le Game Design. Bon, ça ne s’est pas passé comme ça.
Le stage a duré neuf mois, puis il y a eu une période de chômage d’un an, pendant laquelle je n’ai pratiquement pas travaillé, sauf pour une courte mission de Game Designer freelance sur Astérix et le Domaine des Dieux, sur 3DS (le film d’Alexandre Astier et Louis Clichy sortait bientôt). Puis j’ai enfin trouvé mon premier vrai job dans l’industrie: Testeur Localisation chez Dovetail Games, une boîte anglaise surtout connue pour Train Simulator et aujourd’hui Train Sim World. J’y ai passé un an plutôt intéressant, avant de me faire embaucher par Ubisoft Annecy pour travailler en tant que Testeur Online sur Ghost Recon Wildlands.
J’ai fait les derniers mois de développement, puis je suis passé sur Road to the Olympics, une extension pour le jeu de glisse Steep (World Tester cette fois!). Et quelque temps plus tard, enfin, après au total trois ans en tant que testeur, on m’a proposé un poste de Junior Game Designer sur The Division 2, spécialité intelligence artificielle.
Et voilà ! Mon contrat durait dix mois, et à la fin, j’ai réussi à migrer dans un autre studio Ubisoft à Malmö en Suède, pour travailler sur le jeu Avatar. Toujours spécialisé en intelligence artificielle, un peu par hasard donc, mais ça me plaît.
Au passage, un logiciel a eu une certaine influence sur mon parcours: l’Unreal Engine 4. C’est un moteur de jeu (un assemblage d’outils qui permettent de créer un jeu vidéo) qui a eu l’excellente idée d’intégrer du Visual Scripting, c’est-à-dire une manière de programmer beaucoup plus visuelle que les lignes de code bien indigestes. Pour moi qui n’avais jamais réussi à apprendre la programmation, c’était une aubaine. Or le moteur de jeu d’Ubisoft (sur beaucoup de projets) utilise aussi du Visual Scripting, ce qui m’a énormément aidé lorsqu’il a fallu passer des tests pour devenir Game Designer. Sans ça, peut-être que je n’aurais pas été pris…
Un (des ?) conseil pour ceux qui veulent se lancer dans le métier ?
Plein !
Premièrement, faire une formation. Ne serait-ce que parce que ça permet de commencer son réseau pro, et de décrocher un stage, étape très importante. Il y a plein (trop?) d’écoles en France, certaines plus ou moins difficiles d’accès, mais vraiment, ce qui compte, c’est le diplôme et le stage.
Ensuite, l’anglais. Le jeu vidéo est une industrie globalisée où l’anglais est la langue qui lie tout le monde: les outils, les conférences et les publications, beaucoup de nationalités différentes qui ont besoin de se comprendre, tout se fait en anglais. Même en France les recruteurs piochent à l’étranger, et avec la démocratisation du télétravail, cette tendance va probablement s’accentuer. Il faut donc pouvoir passer des entretiens et avoir des conversations techniques, même dans un anglais de vache espagnole. Dans le même ordre d’idée, avoir la possibilité de déménager dans un autre pays est un vrai plus.
Avoir des projets personnels est aussi un atout majeur. Un.e aspirant.e Game Designer doit pouvoir montrer qu’il/elle s’intéresse au sujet et à déjà expérimenté en amateur. Selon les profils, cela peut passer par le développement de mods pour un jeu, des petits projets perso (les moteurs Unreal et Unity sont gratuits et permettent de faire beaucoup de choses sans savoir coder), voire de la conception de jeu de plateau. Accompagner son CV (et son profil LinkedIn, obligatoire) d’un site Wordpress ou de builds à télécharger est capital et souvent requis par les recruteurs.
Se faire un réseau: J’ai mentionné LinkedIn juste avant. Toute l’industrie du jeu est dessus. Quand j’étais au chômage, un chasseur de têtes m’a conseillé d’envoyer chaque jour 20 demandes d’ajout, en expliquant ma démarche. Cela permet de gagner en visibilité mais aussi -et surtout, même si c’est plus rare- de lier la conversation et parfois de pouvoir postuler à des offres.
Pour finir, de la persévérance. Des gens qui veulent devenir Game Designer, il y en a beaucoup, beaucoup plus qu’il n’y a de places. Il faut donc être patient. Mon parcours de testeur est en fait très classique, ces postes étant souvent des portes d’entrée dans l’industrie. Il n’est pas rare du tout de rencontrer des Designers, des Producteurs, des Directeurs… qui ont commencé en test. La concurrence est rude, surtout pour les métiers comme le design, les places sont chères et la première expérience est dure à décrocher. Il faut réussir à rester motivé et à croire en soi.
Allez, le vrai dernier conseil: le Game Design est principalement un métier de communication. On a pas le monopole des idées de jeu, ça tout le monde en a ! On est très souvent amené soit à recevoir des retours sur son travail, soit à en donner. On doit discuter avec des corps de métiers qui ont tous leurs contraintes, on doit expliquer des systèmes de manière claire et concise, prendre des décisions et les argumenter (tout ça en Anglais !)… on parle et on écrit beaucoup, donc les "soft skills" peuvent faire la différence entre qui aura son CDI et qui ne l’aura pas. Savoir prendre des pincettes, être bienveillant, être humble tout en étant aussi capable de défendre ses opinions. Tout ça est très très important.
Le petit mot de la fin ?
Faites vos jeux ! Même pour le plaisir, sans ambition professionnelle. Inventer des mécaniques de jeu c’est super fun et il n’y a pas forcément besoin de plus que du papier et un crayon. J’espère en tout cas avoir donné envie à des gens de s’y essayer. Et merci pour cette occasion d’expliquer en quoi consiste mon métier !
Un très grand merci à @JbL pour avoir joué le jeu en se prêtant à cette interview. Maintenant, place à vos commentaires !