Pour ceux qui ignoreraient le principe de ce billet, je vous conseille de lire rapidement l’intro du premier numéro.
D’ailleurs, j’ai fini ma traduction :3
Bien le bonjour à tous !
Vous me connaissez, taquiner une deuxième fois mon voisin du dessus me démange extrêmement : or, comme j’ai eu de bons retours et dispose de quelques éléments en besace, je vous propose, sans plus attendre, de vous plonger derechef dans le monde étymologique (principalement latin).
Préparez vos munitions !
C’est là un mot plutôt fréquent et banal, mais le mot « munition » n’a pas une étymologie paisible − pour notre plus grand plaisir . Généralement, on parle de munitions pour une arme, très souvent offensive : arme à feu, arc, etc. Et pourtant, si l’on remonte le temps, cette signification offensive disparaît… et s’inverse !
Jadis, en français, on utilisait le verbe « munir », dont découle notre mot, pour parler de la préparation d’un fort, comme le dit le Wiktionnaire :
On est donc loin de ce qui nourrit nos armes offensives, et bien plus prêt de ce qui nous sert à nous défendre.
Plus loin de nous, le terme latin « munitio » servait à désigner une fortification, qui a souvent servi les Romains durant leurs guerres (on se souvient particulièrement de celle d’Alésia, qui formaient un mur quasi-infranchissable). Petite illustration du Gaffiot :
J’avais cru tout d’abord que ce mot de « munitio » venait du verbe « moneo » (prévenir), ce qui ne faisait pas beaucoup de sens… Heureusement, l’erreur a été corrigée : cela vient en fait de « munio », qui signifie :
Fort de tous ces éléments, on peut facilement imaginer le trajet de notre mot : si « munio » signifiait initialement la protection, il a, au cours de son évolution, pu signifier « donner à chacun ce dont il a besoin » (= le sens moderne de « munir »), donnant alors le nom « munition ».
Mais nous allons voir dans le cas suivant que les renversements de sens sont monnaie courrante en étymologie.
Subir ou subir ?
Dès que l’on est un tant soit peu intéressé par l’étymologie latine, le mot « subir » n’est pas très compliqué à décomposer : « sub » signifie « dessous » (comme dans l’anglais submarine ) et « ir », les hispanisants le reconnaîtront sans soucis, « aller ». En somme : « subir » = « sub-ir » = « aller dessous » (et donc « pâtir », « subir » au sens moderne).
Et voilà .
Mais il y a quelque chose qui cloche, non ?
Les mêmes hispanisants que nous avons convoqués précédemment se rendront que « subir », en espagnol, ne signifie pas « aller dessous » mais, au contraire, « aller sur ». Que se passe-t-il donc ?
En fait, l’explication est aussi simple que le problème exposé ; elle vous montrera d’ailleurs tout la subtilité du jeu prépositionnel. En fait, « sub-ir » ne veut rien dire en tant que telle − ou plutôt on peut lui faire ce qu’on veut : cela peut autant signifier « aller dessous » qu’« aller d’en dessous » (et donc vers le haut). Ainsi, un mot aussi simple peut signifier à la fois une chose et son contraire, et il n’est pas surprenant que ce sens « aller depuis le dessous » existait déjà en latin.
Les humeurs
Pour le troisième exemple, je vous propose quelque chose d’un peu moins biscornu et de plus reposant, qui est le vocabulaire des humeurs et des caractères. En fait, une très grande partie de tout ce vocabulaire est directement issu du vocabulaire médical de l’époque antique (rien que le mot « humeur », par exemple). Mais avant de vous l’exposer, quelques explications rapides sur la médecine antique s’imposent – pour ceux qui connaissent, vous pouvez passer la sous-partie suivante.
La théorie des humeurs
La théorie des humeurs est l’une des théories médicales (pour ne pas dire LA théorie) qui a guidé l’Antiquité et une bonne partie du Moyen-Âge : de grands hommes l’ont utilisé avec plus ou moins de succès, comme Hippocrate, Galien, pour ne citer que les plus connus.
D’après cette théorie, le corps est constitué de 4 humeurs, sortes de fluides corporels, qui sont :
- Le sang, sécrété par le cœur (associé à l’un des 4 éléments : l’air) ;
- Le phlegme, par le cerveau (comparé à l’eau) ;
- La bile jaune, originaire du foie (représentante du feu) ;
- La bile noire, produite par la rate (liée à la terre).
En bonne santé (eucrasia, pour les hellénisants), toutes les humeurs sont bien dosées, bien disposées et vivent en bonne intelligence. L’excès ou le défaut d’une humeur, ainsi que sa mauvaise localisation peuvent causer une maladie, tant physique (trop de lourdeur ? c’est la faute de la bile noire, c’est-à-dire de la rate 1) que psychique (colérique ? la faute à la bile jaune). D’où l’existence des saignées, par exemple, qui retirait du sang pour rétablir l’équilibre.
Généralement, l’un de ces éléments est prédominant chez chaque individu, cela définit son penchant naturel à produire l’humeur correspondante. Ainsi :
- Un sanguin a tendance à produire davantage de sang : caractère optimiste ;
- Un phlegmatique a tendance à produire plus de phlegme : caractère calme et mesuré ;
- Un bilieux a tendance à produire plus de bile jaune : tempérament colérique ,
- Un atrabilaire (« atra » veut dire « noire » en latin) produit davantage de bile noire : tempérament sombre et dépressif.
Vous en avez déjà en tête, mais voyons quels mots/expressions peuvent provenir de cette théorie.
Influences étymologiques
Bon, déjà vous l’avez, la notion d’humeur a dérivé depuis l’idée de ces substances et fluides internes, pour arriver à leurs conséquences sur le comportement. De même, vous avez vu que le flegmatique est resté pour nous quelqu’un qui reste calme en tous temps et tous lieux. Enfin, on dit « ne te fais pas de bile » pour dire de ne pas se faire de soucis, ce qui a légèrement dévié du sens originel (ne pas se mettre en colère), mais qui reste asse zproche. Cependant les étymologies cachées sont tout aussi intéressante.
Tout d’abord, « bile » se dit « cholera », en latin (bon, ça vient du grec « $\chi \omicron \lambda \eta $ » − merci la notation $\LaTeX$). Non seulement ça a donné le nom au choléra, maladie caractérisée par des déjections importantes de bile, mais aussi le mot « colère », tout simplement, qui est apparu avec la suppression du h qui se trouvait là : en effet, le bilieux, ou cholérique, est bien quelqu’un qui s’énerve rapidement .
L’autre exemple nous ferait passer de l’autre côté de la Manche si Baudelaire n’avait pas tant fait connaître ce nom : le spleen, sorte de déprime existentielle que je vous laisse découvrir avec les poèmes… motivants de Baudelaire. La clé de cette étymologique est donnée par un élément simple : la rate, en latin, se dit « splen ». Alors, ne me demandez pas pourquoi les anglais ont rajouté un e, mais cela rend l’origine de ce mot limpide − puisque, pour ceux qui ne suivent pas trop, c’est la rate qui sécrète la bile noire, responsable de la mélancolie.
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D’où le fait qu’un « dératé » courre plus vite : on lui a enlevé la rate (« dé-raté ») et par conséquent la bile noire, ce qui fait qu’il est plus léger. ↩
C’en est tout de l’étymologie pour aujourd’hui ! J’espère vous avoir intéressé et, que ce soit le cas ou pas, dites-moi votre ressenti dans les commentaires .
À nouveau, je n’ai pas pris le temps de relire : si donc vous voyez des fautes, signalez-les moi, je me ferai un plaisir de corriger tout ça .
À bientôt pour une tribune sur… complètement autre chose !