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Aujourd’hui je voudrais vous parler d’une situation que j’ai vue et vécue plusieurs fois au cours de ma vie professionnelle et personnelle, et qui fait rarement parler d’elle.
Imaginez une situation où une partie d’une équipe est isolée de la « scène générale » et jouit d’une indépendance plus ou moins complète. C’est une situation classique, que l’on soit en gestion de projet ou non. On peut imaginer un projet avec plusieurs équipes physiquement séparées ; ou une société de service qui a envoyé une poignée d’employés chez un même client – ils se retrouvent donc ensemble, séparés de la maison mère.
Cette situation à priori inoffensive tourne hélas ! facilement au drame, par rupture entre l’équipe isolée et « le reste des troupes ». Réfléchissez, dans votre entourage, je suis persuadé que vous trouverez des exemples, surtout si vous avez travaillé en entreprise.
Pourquoi ? Deux raisons principales à ça
C’est facile, elles sont dans le titre
L’entre-soi
L’équipe est plus ou moins isolée. Oh, nous sommes en 2017, et il y a moult 1 moyens de communiquer – mais qui a l’initiative de la conversation ? Ce moyen est-il pratique ? Maitrisé par les deux protagonistes, l’équipe et la maison mère ? Sert-il de lien, ou n’est-il utilisé qu’en cas de problème, ou de remontrances ? Ce n’est pas parce qu’un canal de communication est ouvert qu’il sert, et ça ne préjuge en rien de son efficacité.
L’équipe, elle, discute avec elle-même – ben oui, c’est facile : les gens sont ensemble, ont un moyen de discussion privilégié (la vive voix, un outil mis en place pour l’occasion, une conversation privée, etc.).
Et ça discute.
Et ça discute.
Et survient un problème.
Et donc ça en discute.
Voici qu’intervient l’asymétrie des canaux de discussions : c’est facile de discuter du problème au sein de l’équipe isolée ; en discuter avec le reste du groupe fonctionne moins bien – parce que le canal est peu pratique, parce que les gens en face on les connait mal, puisqu’on ne discute pas avec eux. Et puis ces gens sont une partie du problème, ou au moins ne font rien pour le gérer, alors que dans l’équipe on se démène comme de beaux diables. Donc on évite de parler du problème avec la « maison mère », puisque soit ça ne sert à rien, soit ça dégénère parce qu’en face ils ne comprennent rien.
Alors on en parle au sein de l’équipe, principalement, parce que là on pourra trouver une solution entre nous. Et puis ça nous permet de nous lâcher sur ceux d’en face qui ne font pas avancer le schmilblick. Un peu. Rarement, mais ça fait du bien.
L’équipe isolée développe donc un entre-soi, où les problèmes tournent sans vraiment en sortir – parce que c’est compliqué de les faire sortir, et visiblement ça ne sert à rien.
La rétroaction positive
Donc, l’équipe plus ou moins isolée discute dans un entre-soi confortable. Les sujets évoqués permettent de dégager des opinions (sur les autres équipes, sur la « maison mère », sur le projet lui-même, sur les conditions de travail, etc.).
Les conclusions tirées de ces discussions sont elles-mêmes des prémisses à d’autres discussions, ce qui est logique et naturel.
Par contre, à cause de l’entre-soi, il y a peu d’éléments contradictoires à opposer à ces conclusions. Elles ont donc tendance à générer des débats sur des sujets proches voir identiques, mais avec des arguments qui s’accumulent dans le même sens – c’est une boucle de rétroaction positive, dans laquelle les arguments se renforcent au fur et à mesure que l’équipe isolée discute avec elle-même.
Boum !
Un système auto entretenant en boucle fermée ou presque, que se passe-t-il quand on introduit un petit souci en entrée ?
Eh bien, probablement un gros problème.
Or, des petits soucis, dans la gestion d’un projet, il y en a tout le temps, qu’ils soient réels ou issus de la mauvaise interprétation d’un message mal rédigé.
C’est ainsi qu’on se retrouve avec des incompréhensions, des engueulades, des voire des démissions : parce que les gens se montent mutuellement la tête, parce qu’ils ne peuvent – parfois ne veulent – pas réajuster leur point de vue avec des éléments externes et trouver de l’aide ailleurs.
Mais que faire pour éviter ça ?
Le plus difficile est de se rendre compte du souci. Parfois c’est évident, mais d’autres fois c’est difficile.
Un cas vicieux existe, c’est quand il n’existe aucune séparation organisationnelle officielle, mais que des choix (d’outils, d’affinités…) finissent par créer un petit groupe séparé. On peut passer longtemps entre soi sans se rendre compte qu’on a monté un petit groupe qui s’autoalimente de manière plus ou moins éloignée du projet principal.
Une fois le problème détecté, ou à titre de prévention, il existe deux axes principaux d’action. Les deux fonctionnent dans les deux sens : du petit groupe vers le général, et du général vers le petit groupe. Et comme d’habitude avec les bons conseils, c’est infiniment plus facile à dire qu’à faire.
De la considération
L’idée est de considérer que l’autre groupe existe, a des besoins et des exigences, et probablement que le projet général ne peut fonctionner correctement que si tout fonctionne correctement.
Ça a l’air con dit comme ça, mais un problème souvent soulevé par un groupe isolé est le suivant : ce groupe considère qu’il abat le plus gros du boulot (et souvent à raison) ; et que subséquemment la « maison mère » n’a au mieux rien à dire, au pire est un boulet dont il faut se débarrasser (parce qu’elle ralentit le projet, parce qu’elle exploite l’équipe, etc.). Mais la réalité est souvent complexe, et le rôle de chacun peut être discret, mais nécessaire, ou tout simplement mal compris.
En résumé, chaque partie doit comprendre ce que fait l’autre, qui fait quoi et pourquoi – et ce en vérifiant les assertions, sans supposer l’inutilité de l’autre.
De la transparence
À noter qu’il ne s’agit pas d’augmenter la communication, mais de la penser différemment, et surtout de mieux la répartir entre les différents acteurs.
Là il n’y a pas vraiment le choix : il faut se mettre d’accord, le plus explicitement possible, avec tout le monde sur les modes et les fréquences de communications – et ne pas hésiter à les modifier dès que le besoin s’en fait sentir.
De plus, les problèmes (parce que ce sont eux les déclencheurs de tempêtes de merde) ne doivent pas être ruminés ni planqués sous le tapis – et ça peut être particulièrement difficile en entreprise, surtout avec certains supérieurs incapables de comprendre toute forme de difficulté.
Tout ça est difficile à faire, surtout si la situation est déjà envenimée, parce que ça demande d’aller vers des personnes déconsidérées.
Détecter en amont une séquence à risque
Les indices suivants peuvent alerter, surtout s’ils se répètent ou se cumulent à haute fréquence :
- Le refus de communication avec une personne ou un groupe de personne (ceci est un signal fort de situation déjà pourrie).
- Les insultes (envers des absents surtout).
- Les préjugés de ce qu’a fait une personne (« ça a été fait par X donc ça va être naze »).
- La démotivation, surtout quand elle touche plusieurs personnes du groupe.
- Tout sentiment récurrent qu’en restant entre soi, on avancera mieux 2 qu’en impliquant le reste du projet.
- Les demandes récurrentes tiers demandent à être écoutées.
- La fuite de messages personnels.
- L’hypocrisie organisée à des fins de récolte d’information, ce qui rejoint souvent le point précédent.
- Le dénigrement systématique d’untel ou unetelle.
- Les décisions prises en petit comité sans vraiment d’annonce.
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Nous sommes en 2017 et j’utilise encore le mot « moult ». Parce que je l’aime bien. C’est tout. Moult. Moult. Moult. Des questions ? ↩
-
Et j’insiste sur le « mieux ». Décider et réaliser entre soi pour un grand nombre de personnes permet souvent d’avance plus vite. Mais on a très vite fait de décider en dehors de ce dont le projet a réellement besoin, par manque de vision claire de ce besoin. ↩
Et voilà, j’espère que tout ça vous aidera à y voir – et pourquoi pas à éviter – des soucis dans la gestion de votre projet préféré.
Vous comprendrez bien que pour des raisons évidentes de diplomatie et de confidentialité, il m’est pratiquement impossible de donner des exemples concrets. De tels exemples, détaillés, impliquent très souvent de rapporter des propos désagréables, blessants, abjects parfois – qui ne gagneraient pas à être étalés sur la place publique quand bien même ils ne seraient pas confidentiels.
Toutefois, si certains se souviennent de la fin du Site du Zéro, du passage à OpenClassrooms, et du départ du staff. Ici on a un (vieil) exemple double, parce qu’on avait :
- Une énorme communauté avec des besoins de formation et de conseils ;
- Une direction d’entreprise persuadée qu’elle pouvait modifier ce qu’elle voulait quand elle voulait sans trop écouter ni sa communauté ni le staff qui la faisait vivre au quotidien ;
- Un staff qui faisait vivre la communauté, mais qui ne comprenait pas les besoins et contraintes induits par le fait que le site était piloté par une entreprise – et donc que certaines demandes, à priori évidentes, ne pouvaient pas être satisfaites.
Et j’ai personnellement été dans le troisième groupe, en étant très longtemps – même après avoir quitté le site – persuadé d’être dans « le groupe qui a raison et les autres tord ». Mais à la réflexion, c’était plus compliqué que ça.