- [Archi-brève] Le ridicule de la majuscule
- Géobrève #4 - Quand la géographie fait du ski [image géographique]
Ayant récemment reçu une influence bouddhiste intéressante, je souhaitais en faire la synthèse sur le papier. Notez que je ne suis ni pratiquant ni expert de cette religion et que je me base uniquement sur mon expérience et sur le raisonnement. Cette série de billets ne se veut aucunement un guide du bonheur pour les nuls, je souhaite uniquement clarifier mes idées et initier le débat.
Partons de l’observation suivante :
Nous cherchons le bonheur.1
Or notre environnement nous met régulièrement des bâtons dans les roues :
- Il pleut alors que j’attends le bus pour me rendre au travail ;
- Mon chien s’est fait écraser ;
- Il ne reste plus de cette confiture dont je raffole le matin ;
- Untel a eu la promotion que je convoitais ;
- …
C’est regrettable, certes. Seulement, nous pouvons observer que beaucoup se passe en nous, à l’intérieur. Oui, il pleut. Mais si j’avais attendu mes amis plutôt que le bus, peut-être n’aurais-je pas été affecté aussi négativement. Pourtant, la pluie n’a pas changé. Il convient donc d’admettre ici que j’entretiens moi-même mon propre énervement.
Et quand bien même l’environnement est sévèrement coupable (ma maison a brûlé, un proche est décédé, etc.), il n’est pas constructif de lui rejeter la faute. La colère, la tristesse, la peur… sera justifiée, mais elle n’en devient pas souhaitable. Certes, pleurer à un enterrement est compréhensible, mais ça n’en reste pas moins de la merde.3 Pour moi, subir ces émotions est une vulnérabilité de notre personne, un défaut auquel il faut remédier.2 Or pointer du doigt l’environnement (« tu me fais souffrir en couchant avec cette autre personne ») revient à ignorer ce défaut et à nier notre propre responsabilité dans notre souffrance. Plutôt peu constructif.
De toute façon, le monde est complexe et assez peu prévisible, ce qui semble particulièrement le cas des réactions des autres.4 Ainsi, la seule chose que nous pouvons réellement influencer est nous-même. Ne nous étonnons pas alors d’être malheureux si nous soumettons notre bonheur à l’environnement : à la météo, à la présence de nos proches, à l’admiration d’autrui, à la superficie de notre maison, etc.
D’autant plus que, comme les bouddhistes le soulignent, le monde est de nature impermanente. Tout est éphémère : les objets s’usent, les personnes changent, les émotions passent… S’attacher à un environnement constant est alors intrinsèquement en déphasage avec la réalité et risque de mener à la désillusion. Par exemple, une personne dont le bonheur est subordonné à la rutilance et la performance de sa voiture dernier modèle court le risque de souffrir le jour où elle est amochée ou tombe en panne, ce qui adviendra du fait de sa nature impermanente d’objet.
Attention toutefois, le détachement n’induit pas l’indifférence. Quand nous contemplons un coucher de soleil, avoir conscience de sa nature fugace ne nous empêche pas d’apprécier le moment. Au contraire, son caractère éphémère en augmente la valeur. De la même façon, revoir un vieil ami de passage nous rendra heureux même si nous n’ignorons pas qu’il repartira le lendemain.
Les bouddhistes remarquent aussi que nous sommes vulnérables quand nous nous attachons au futur, puisque la déception peut être grande s’il ne correspond pas à nos attentes. Par exemple, si le cuisinier de notre restaurant favori manque d’ingrédients pour nous préparer notre plat préféré, nous serons d’autant plus frustré que nous aurons attendu ce repas toute la journée.
Là encore, il n’est pas question de devenir un zombi que plus rien ne stimule. Nous pouvons nous investir dans un projet sans pour autant être dépendant de sa réussite. Par exemple, ne pas accorder d’importance au succès de son billet n’empêche pas d’en écrire un. De même, nous pouvons organiser une soirée avec des amis et en profiter sans pour autant passer les jours qui précèdent à trépigner d’impatience.
Petite digression sur les attentes :
En plus du risque de la déception, avoir des attentes signifie consacrer une partie de son temps à de l’imaginaire. Or, en me concentrant sur ce que je pourrais faire (ou ce que je ferai probablement) plutôt que sur ce que je fais, j’ai comme intuition de ne pas vivre pleinement, de gaspiller du temps.
Toutefois, on peut légitimement se demander si les attentes ne sont pas un mal nécessaire. Sans elles, il semblerait qu’il n’existe plus de raison de se forcer à faire quelque chose en vue d’un bénéfice non immédiat. Le risque est alors de ne plus investir du temps contre son gré et de se fermer des portes. Un exemple un peu cliché est l’étudiant qui ne va en cours que pour avoir ses examens. Sans cette attente de l’obtention du diplôme, il serait moins éduqué et en pâtirait probablement plus tard.
Mais comme ces questions méritent plus qu’une digression, je m’arrête ici pour ce billet.
En fait, cette démarche de détachement s’inscrit dans une recherche de liberté. Il n’est pas question de devenir un robot sans émotions, mais de développer sa capacité à ne pas se faire emporter par elles, à régler ses problèmes émotionnels soi-même. Le bénéfice évident est un impact moindre des émotions négatives, mais aussi un gain en lucidité. Par exemple, une personne follement amoureuse sera probablement très heureuse, mais à quel prix le jour où son rêve prend fin ? Cette prise de recul n’empêche pas d’en profiter, elle nous incite juste à profiter du moment présent tout en ayant conscience de son caractère éphémère.
En résumé
Ce billet cherche à pointer notre responsabilité dans notre propre souffrance ainsi que la vanité à soumettre notre bonheur à notre environnement, à la fois hors de notre influence et en changement permanent. Dans la suite, nous étudierons plus en détail les émotions et explorerons des pistes pour prendre du recul vis-à-vis d’elles. Prêts à devenir des robots ?
-
Notez qu’à priori nous ne cherchons pas que ça. ↩
-
Je parle bien de subir les émotions. J’y reviens plus bas, mais ma position ne consiste pas à devenir un robot insensible. ↩
-
Je passe ici sciemment sous silence les bénéfices potentiels des émotions négatives, puisqu’il me semble que nous pouvons profiter de ces bénéfices tout en restant lucide et en évitant la souffrance liée à l’émotion. Mais ayant peu de connaissances en biologie, psychologie et neurosciences, je ne m’avance pas plus. ↩
-
Un professeur de méditation me donnait l’exemple suivant : imagine-toi dans un bus, debout, et une mamie qui rentre. Par manque de place, elle aussi ne peut s’asseoir. Tu rejettes alors les épaules en arrière et demande sur un ton impératif à un adolescent de lui céder sa place. Manque de chance, plutôt que de coopérer il se rebelle et tu te retrouves dans une situation délicate. Tu aurais pu t’y prendre d’une façon plus diplomatique et parvenir à tes fins, mais qui te dit alors que ce n’est pas la mamie qui t’aurait reproché de la considérer incapable de voyager debout ? ↩