Passage à l'âge adulte

Ce billet est rédigé sous la forme d’une histoire. Je n’ai pas voulu entrer dans les détails juridiques pour ne pas briser le rythme du texte.

L’audience racontée s’est déroulée récemment dans le canton de Vaud au Tribunal d’arrondissement de Lausanne.

Bonne lecture!

Ministère public vaudois contre Mickaël A.

Le président du tribunal correctionnel s’énerve. Certains documents nécessaires manquent. Il se résigne : il faut avancer. L’huissier sort, emprunté, et part à leur recherche.

L’ambiance est pesante dans le palais de Montbenon, à Lausanne. L’été bat son plein et les participants sont en nage. Les larges fenêtres grandes ouvertes ne laissent passer qu’une quantité d’air bien insuffisante.

Mickaël A. subit son procès. À 19 ans et demi, il est déjà pourtant un habitué des procès, mais aujourd’hui, il comparaît pour la première fois chez les adultes. C’est sérieux. Les infractions reprochées sont nombreuses et variées. Vols, cambriolages, incendie volontaire, et surtout : délit de chauffard.

Les faits sont toujours les mêmes. Mickaël A. vole des véhicules pour son plaisir, il conduit un peu, fait crisser les pneus, joue au pilote de circuit, puis abandonne la voiture ou le scooter lorsqu’il s’ennuie. Les cambriolages, il les perpètre avec sa bande de potes tout aussi désœuvrés que lui.

Une nuit encore, il dérobe une voiture puissante, mais ça tourne mal. La police le repère puis le prend en chasse. Il brûle un feu rouge, roule à toute vitesse en ville de Lausanne. Heureusement, il fait nuit et les piétons sont rares. Personne ne se sera trouvé sur son chemin, aucun fêtard enivré n’aura traversé la route. Il heurte une voiture, poursuit encore un peu sa route puis s’assagit. Il finit par se rendre.

Les pièces recherchées arrivent. Bien, elles révèlent que la curatelle de portée générale n’a pas été ordonnée pour des raisons psychiatriques. Mickaël A. a toute sa tête. Le président semble plus serein, Madame le procureur aussi.

Comme la plupart des faits n’est pas contestée, on passe à la personnalité. C’est une partie cruciale. Elle sert à guider les juges dans la détermination de la peine. Le président fait un cinglant constat. Le dossier révèle que le prévenu est passé par toutes les institutions qui aident les jeunes en difficulté. Pourtant, Mickaël A. demande de l’aide. Il veut qu’on le contienne. Il n’a aucune formation. Il aimerait travailler. Il aimerait se ranger. Cette fois encore.

Pire, le président découvre son casier judiciaire. 9 mois de prison alors que Mickaël A. était encore mineur. Cette peine représente plusieurs années de prisons chez les adultes, et quand je dis plusieurs, c’est plus que deux, affirme d’un ton grave le président. Le prévenu essuie cette remarque sans broncher. Il fait pâle figure devant le tribunal. Toujours hésitant, il passe à côté de son procès. Il est avachi et maugrée quelques phrases. Comment le lui reprocher, il se défend avec les armes de son âge. Son avocat est transparent ; de plus, il alimente le moulin de l’accusation. Les questions qu’il pose à son client sont bien trop complexes et ouvertes. Son client ne sait pas par où commencer. Il bredouille une réponse qui, forcément, passe mal. Le procureur ne le rate pas. Elle souligne qu’on a affaire à un multirécidiviste. Jamais violent, certes, mais trop bien ancré dans la délinquance.

Le président estime qu’il en a assez entendu. Il clôt l’instruction et ordonne une courte suspension avant le réquisitoire du Ministère public et la plaidoirie de la défense.

Madame le procureur se lève et, coup de théâtre, reconnaît que l’accusation n’est pas parvenue à amener de preuves suffisantes pour retenir certains vols et l’incendie intentionnel. Mal à l’aise, elle demande implicitement l’acquittement pour un tiers des infractions reprochées. Elle relève qu’elle fait le boulot de la défense, pique acerbe contre la défense. À l’entendre, on semble comprendre que pour respecter l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, il faut que le Ministère public y mette un peu du sien tant l’avocat ne se montre pas à la hauteur. Par contre, concernant le rodéo routier, elle est intransigeante. Elle martèle qu’il s’agit d’un délit de chauffard, l’infraction la plus grave en matière de circulation routière en Suisse. Elle est punie d’un an d’emprisonnement au minimum. Elle affirme que c’est une véritable course-poursuite dont la ville de Lausanne a servi de circuit. Selon elle, le prévenu n’a tué personne par pure chance et ne reconnaît absolument pas le caractère dangereux de son acte

Sobrement, elle requiert 24 mois de prison, ferme, et l’expulsion du territoire pour 5 ans.

L’avocat se lève à son tour. Le pauvre installe ces feuilles et les lit. L’effet est désastreux. Le ton est hésitant et monocorde. Parfois, on a de la peine pour l’avocat qui bute sur certaines phrases. Certains silences impromptus semblent lui servir de bouée de sauvetage en pleine tempête. Pendant la première demi-heure, il passe en revue toutes les infractions reprochées à Mickaël A, même celles qui ont été abandonnées par le Ministère public. En théorie, le tribunal est libre et peut être persuadé que les infractions sont réalisées, mais rien ne servait d’ennuyer le tribunal sur une question qui ne comportait plus aucun enjeu aux yeux des juges.

L’homme de loi se contredit régulièrement. Son contre-sens le plus flagrant est son argumentation sur le délit de chauffard. Le Ministère public a soutenu que le prévenu a effectué une course-poursuite. L’avocat réplique en expliquant que la course-poursuite concerne plusieurs participants qui se défient sur la route. Or, dans ce cas, son client roulait seul avant d’être pris en chasse par la police. Il ne s’agissait donc pas d’une course-poursuite. Il parle ensuite de tout autre chose. Plus tard, dans un autre contexte, il présente deux arrêts de la cour d’appel … dans lesquels cette dernière juge que la course-poursuite peut être retenue quand le chauffard essaie de semer les véhicules de police. Exactement ce qu’expliquait le Ministère public … dans la bouche de l’avocat.

Vient la lueur d’espoir. Le coup de théâtre!

L’avocat exhibe deux plaintes. Deux copies. Il explique avoir cherché dans le dossier les exemplaires originaux. Partout. Dans son dossier et dans celui du greffe. Impossible de mettre la main dessus. Le contenu est tout à fait normal, mais le diable se cache dans les détails. Au bas des deux documents figure la mention "Signature sur les originaux". Mais voilà, impossible de vérifier si les plaintes ont bel et bien été signées puisque les originaux manquent.

Les autres plaintes ne souffrent pas de ce défaut. Les originaux sont présents au dossier et signés. Coup de chance énorme, il s’agit précisément des deux infractions de cambriolage. En fait, cette infraction n’existe pas. C’est la combinaison entre le vol et la violation de domicile qui répriment ce que le profane nomme un cambriolage. Le vol est poursuivi d’office par le Ministère public, mais pas la violation de domicile qui nécessite une plainte valide.

Vous me direz que je chipote et que l’enjeu est ailleurs. Cependant, la Suisse est un merveilleux pays où le peuple a décidé que n’importe quel cambriolage était automatiquement puni d’une expulsion du territoire. En clair, vous pouvez jouer à Need for Speed dans les rues de Lausanne sans crainte d’un renvoi, mais si vous pénétrez dans un domicile pour voler un sac, c’est bye bye la Suisse. Seule la combinaison des deux infractions conduit au renvoi. Si une tombe, la peine d’expulsion n’est pas prononçable. Pour un secundos ayant toujours vécu en Suisse avec toute sa famille, la validité de ces deux plaintes revêt une importance capitale.

Pour la seule fois de la plaidoirie, les juges sont tirés de leur écoute polie. Ils gigotent, murmurent, tournent une feuille, en cherchent une autre. Ils se passent des documents, ils semblent chercher ces foutus originaux qui revêtent une importance cruciale. Madame le procureur feint le dédain, mais certains signent trahissent sa nervosité. L’avocat a finement joué le coup. S’il en avait parlé plus tôt, le président aurait pu ordonner la recherche des originaux et le Ministère public aurait à coup sûr demandé une nouvelle suspension d’audience pour les retrouver. Mais l’instruction est close, le tribunal doit juger sur la seule base des preuves présentes au dossier. L’avocat a coupé l’herbe sous le pied de l’accusation.

En conséquence des abandons de certaines infractions et des plaintes invalides, l’avocat estime que la peine appropriée est de 10 mois de prison avec sursis.

Après les plaidoiries, le prévenu a le droit de s’exprimer brièvement une dernière fois. Toutefois, Mickaël informe le président qu’il renonce à s’exprimer.

Le président clôt l’audience et le tribunal se retire. Mickaël A. est menotté et reconduit à son centre de détention provisoire. Enfin, nous pouvons sortir de cette salle surchauffée.


Le jugement, prononcé 1 jour plus tard, est équilibré et contentera assurément les deux parties. D’une part, le prévenu est condamné à 20 mois de prison ferme, 30 jours-amende à 10 CHF et à 500 CHF d’amende. La réquisition du Ministère public est relativement bien suivie par le tribunal quant à la quotité de peine et la peine ferme. En revanche, le tribunal n’a pas prononcé le renvoi du condamné. L’argument des plaintes invalides a vraisemblablement payé.

C’est l’occasion de préciser que le jugement n’est pas définitif. Il est susceptible d’appel tant de la part du Ministère public que du condamné.

28 commentaires

Personnellement, je recommande souvent de lire le blog de Maître Mô : http://maitremo.fr/. Les récits sont longs et expliquent en même temps certains pans du droit pénal français. Le blog est aussi l’espace de partage des billets de Marie, qui est une magistrate de la jeunesse.

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Si j’ai bien compris. C’est surtout, "Il sont renvoyés à l’étranger" puisque ça ne s’applique qu’aux étrangers.

ache

Oui ça n’a pas été expliqué, en suisse on connait tous le terme 'secundo' / 'secundos’, ça doit être une spécificité suisse (dont l’avantage principal est probablement qu’il n’est d’aucune des 4 langues nationales).1

Je suppose bien-sûr. Mais faire un apatride si j’ai bien compris est assez rare. Un “secundo” doit vouloir dire que l’accusé est d’une autre nationalité.

ache

Les traités internationaux contre l’apatridie font que ce ne serait pas possible, 'faire un apatride’.

Donc pour expliquer enfin : on appelle secundo un étranger de seconde génération. C’est à dire né en Suisse de parents étrangers. Et là encore ça doit sembler étrange aux gens de pays qui ont le droit du sol, typiquement la France.

Le cas présenté dans ce billet est donc, a priori, celui d’un type né en Suisse, qui n’a pas connu d’autre pays, mais qui n’a pas la nationalité suisse. C’est une absurdité totale, bien entendu. Mais en Suisse, souvent, les gens renvoyés pour avoir commis un délit sont renvoyés dans un pays où ils n’ont jamais vécu, n’y connaissent personne, n’en parlent même pas la langue.


  1. Quand un terme local nous semble évident, on pense pas qu’il est local, on oublie de l’expliquer aux étrangers. C’est probablement le cas ici : NuX n’a pas pensé que vous connaissiez pas ce terme et donc n’a pas pensé à l’expliquer.

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Quand un terme local nous semble évident, on pense pas qu’il est local, on oublie de l’oublier aux étrangers. C’est probablement le cas ici : NuX n’a pas pensé que vous connaissiez pas ce terme et donc n’a pas pensé à l’expliquer.

cepus

Semble logique. Merci cepus ! :)

PS: Et du coup … Comment un secondo ou sa progéniture peut-il obtenir la nationalité Suisse ? Naturalisation j’imagine, mais comment ?

Ok, Naturalisation + Secondo et hop j’ai trouvé.

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Quand un terme local nous semble évident, on pense pas qu’il est local, on oublie de l’expliquer aux étrangers. C’est probablement le cas ici : NuX n’a pas pensé que vous connaissiez pas ce terme et donc n’a pas pensé à l’expliquer.

cepus

C’est exactement ça. J’étais persuadé que tout le monde connaissait ce terme. :D

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