Lymphome 11 : Ça va chier

L’avant-propos se trouve ici.

11 -- Ça va chier

Savez-vous ce que l’on appelle « le stade anal » ? C’est cette période, chez l’enfant, durant laquelle dire « pipi caca prout » provoque un fou rire incontrôlable chez le bambin. Si vous en êtes encore au stade anal, bonne nouvelle, ce récit sera vraiment bidonnant. Dans le cas contraire, je pense ne pas avoir besoin de vous faire un dessin.

Je commence en effet à avoir dit la plus grosse partie de ce dont je voulais parler. Que ce soit la découverte, les journées intenses qui ont suivi, la routine et la fatigue, dont j’ai moins parlé, parce qu’elles m’ont moins marquées ; à cause de mon état, d’un souhait d’oublier, ou tout simplement de par leur aspect routinier ? À deux ou trois apartés près, le seul gros truc dont je voudrais parler, c’est ce qui se passe en dehors de l’hôpital, quand on a ou a eu un cancer. Mais avant ça, il me faut faire un pot pourri de tout plein de trucs dont je souhaiterais parler et que je n’ai pas réussi à placer avant. Ou pas envie, parce que cette partie va traiter de choses dont je n’ai pas envie de parler. Notamment esquisser le portrait des (très rare, mais existant) incompétents1 que j’ai pu rencontrer. Et parler, parce que ça m’a trop marqué pour ne rester qu’une phrase cachée dans un chapitre, des problèmes intestinaux. Et je trouve que parler des deux dans la même partie a un petit côté ironique appréciable. Après ce trop long prologue, allons-y.


On ne va pas commencer directement par le dur, puisque l’on va parler diarrhée2. Afin de rester propre en toute circonstance, je propose d’utiliser l’échelle de Bristol qui mesure la consistance du caca. Oui, ça existe. Non, ce n’est pas utilisé face aux patients. De toute façon, les trois quarts du service doivent être en 6, donc l’intérêt est limité.

Embrayons donc sur le personnel qui fait de la merde, avec un aide-soignant. Comme dis dans les parties précédentes, les aides soignants passent pour prendre les commandes des repas. Devraient passer, plutôt, car parfois, ils n’ont pas le temps, nous sommes pris par les médecins, ou autre. Le problème vient du fait qu’ils commandent alors ce qu’ils veulent. Par exemple épinards et pruneaux. Quand l’aide soignant qui vous fait ça est le même que celui qui fait le ménage de manière assez laxiste (ma chambre est nettoyée de fond en comble tous les jours, je peux comparer), on commence à s’interroger un peu. De manière générale, j’observe une corrélation entre l’efficacité des infirmiers et aides-soignants et leur capacité à nous traiter comme des humains. Je ne peux pas exclure un biais, cependant. :-°

Mais ça concerne aussi des médecins. Laissez-moi vous raconter une histoire. Le médecin du jour m’est inconnu. C’est l’un des pontes du service, et il vient inspecter tous les patients aujourd’hui, car l’hôpital tourne une vidéo pour diffusion à usage interne ou publicitaire (première fois que je le vois, d’ailleurs). Après m’avoir demandé mon accord (OK, mais flouté), rentre donc un caméraman. Et sa caméra. Pleine de microbes. Qui passe de chambre en chambre. Et il n’a pas de masque. Je suis en aplasie. Je suis en isolement sanitaire et un type sans masque qui passe de chambre en chambre vient de rentrer dans la mienne. Je manque d’énergie pour réaliser et réagir sur le coup (bah oui, je suis en aplasie), mais…

Bon sang… Bordel… C’est pas possible ?!

Sur une échelle d’incompétence professionnelle de 1 à 10, où 1 sera anodin et 10 t’envoie en taules, c’est pas possible bordel de merde.

Je ne sais pas s’il y avait réellement le moindre risque, mais on ne peut pas d’un côté exiger de la famille des règles strictes (masque, gant, blouse, charlotte, pas plus de trois dans la pièce, restriction sur le matériel entrant…) et quand ça nous arrange en tant que personnel médical, être coulant…

Et en parlant de couler, retour à la diarrhée.


Si ce qui sort aura été un point constant de surveillance (il mesure la quantité de pipi, pour rappel) et de tracas (ce qui rentre aussi, mais c’était parce que la bouffe était dégueulasse), j’ai eu une nuit particulièrement chiante. Au sens que j’en ai souillé mes vêtements.

Ça peut paraitre anecdotique, mais le fait, à 20 ans, de ne pas être physiquement capable de retenir sa merde, à quelque chose d’assez compliqué à gérer intellectuellement. Comment s’en tirer si on n’est même pas capable de se retenir de déféquer assez longtemps pour passer du lit aux toilettes (3 mètres, quand même). Je passerai le début de la nuit sur le trône, avant de chialer dans la salle de bain et de revenir faire ma nuit dans mon lit. Heureusement, il n’y aura pas de deuxième nuit comme ça.

J’ai beau résumé cette nuit en quelques lignes, cela fait partie des passages qui m’ont réellement marqué.


Je ne peux pas raisonnablement finir là-dessus. Je vous ai parlé de la fois où mon cathéter s’est mis à couler à l’envers ? Je ne crois pas. Un cathéter est un tuyau qui va dans une veine et qui sert à injecter des trucs. En gros, la poche de liquide (eau, avec éventuellement de la chimio) est relié à un tuyau qui est relié au cathéter qui est relié au bonhomme. Un cathéter peut être périphérique (sur le bras) ou central (dans l’une des grosses veines proches du cœur). Les périphériques ne peuvent pas être utilisés pour envoyer des chimios violentes trop de fois (la petite veine s’abime), d’où la nécessité du central. Question : que se passe-t-il si le tuyau se décroche ? Le cathéter est relié à un bout de tuyau dans lequel est visé le tuyau des poches. Et cette jonction peut sauter (ne devrait pas, mais peut). Dans ce cas-là, du fait de la pression sanguine (veineuse, ici), le sang remonte dans le bout de tuyau restant (il n’y a plus le liquide de la poche, en hauteur, pour l’en empêcher).

BOUM BOUM

Ne faites pas attention, c’est mon cœur qui s’emballe en voyant le sang commencer à remonter et tacher le sol. J’ai alors un réflexe appris en aquariophile : monter le tuyau (sans tirer, je ne veux pas décrocher le cathéter), pour que le liquide y reste.

BOUM BOUM

Ça marche, j’appuie sur le bouton pour appeler les infirmiers et vais même à la porte pour appeler à l’aide (de nuit, donc couloir vide).

BOUM BOUM

Dans ma tête, la suite logique, c’est ça :

L’infirmier de nuit arrive, me rassure.

Boum Boum.

En réalité, le tuyau a arrêté de couler lorsque je l’ai soulevé, mais il n’y avait pas de cause à effet. Même pointant vers le bas, ça ne coule pas. Ouf. L’infirmier ajoute un antiretour, rebranche tous, rien ne s’est bouché, tout va bien.

boum, boum.

Le lendemain, je signale à l’infirmier (de jour) qui m’avait mal accroché la veille que ça s’est détaché. Il n’y a, à l’évidence, pas que le tuyau qui était détaché, vu qu’il s’en contrefout. Il faut dire que ce n’est pas lui qui a vu, la nuit, son sang commencer à refluer dans un tuyau sans savoir si ça allait d’arrêter. Et s’ils arrêtaient de nous bassiner avec leurs histoires de cathéters qui se bouchent au moindre reflux que c’en ait une catastrophe, on baliserait peut-être un peu moins le jour où ça arrive.


Allez, un dernier pour la route, mais un drôle, pour finir. Un stagiaire en infirmerie, en l’occurrence. :P Il y a en effet la saison des stagiaires à l’hôpital. On voit plein de médecins externes qui nous auscultent avec attention, et des infirmiers qui ne savent pas faire des piqures viennent s’entrainer sur nous. J’imagine que dans un service d’hématologie, on n’envoie pas les branquignoles, je pense donc qu’il était très stressé.

Le matin, M. Stagiaire a pour consigne, sous la supervision de l’infirmière3, de me faire la prise de sang matinale. Il mettra trois plombes et s’y reprendra à trois fois. Je dois être une bonne pâte, car c’est toujours sur moi que ça tombe, les médecins qui doivent garder la main ou les infirmiers stagiaires qu’on teste. La pauvre infirmière fait la gueule, elle sait très bien qu’à ce train-là, ça ne va pas le faire. Ils courent déjà partout, si en plus les prises de sang durent aussi longtemps… Bien sur, il faut apprendre, mais ce n’est pas forcément le bon service pour ça. J’ignore s’il existe un bon service pour ça, cependant…

Je le reverrais, discrètement, dans la journée. Il avait pour consigne de changer les poubelles. Ça doit faire un peu mal à l’égo. Mais ça pourrait être pire, car le soir, l’infirmière a du temps, et M. Stagiaire a donc une deuxième chance.

La tache du soir est la suivante : vous avez une pompe qui permet de régler un débit en millilitre par heure, et pour consigne des médecins de faire en sorte que la poche de liquide de 200 mL soit déversée en 4 heures. Quel débit faut-il mettre ?

– 10 gouttes ?
– La pompe est en millilitres, pas en goutte, répond l’infirmière.
– Heu… Bah… 5 gouttes, propose le stagiaire ?
– Non, en millilitre, reprend l’infirmière, parangon de patience, mais faut pas abuser quand même.
– …

Ma mère, pédagogique institutrice, le guide alors.

– 200 divisé par 2 ?
– 100, répond-il mal assuré.
– Et 100 divisé par 2 ?
– 50. C’est 50 ?

J’imagine que c’est surtout la honte de sa vie. J’espère pour lui aussi, car sinon, ça veut dire qu’il a connu encore pire !


Je voudrais conclure cette partie, qui fut complexe à écrire, en précisant que l’immense majorité du personnel soignant a été efficace, professionnel, et humain. J’ai cité tous les cas problématiques de personnel médical que j’ai rencontré en 9 mois d’hospitalisation. Même les stagiaires sont compétents, sauf exception. ;) Plusieurs ont fait du travail en autonomie, et j’apprenais par hasard qu’il allait partir car leur stage était fini, les ayant toujours pris pour des infirmiers pleinement formés. Et donc, à tous ceux qui n’ont pas été cités dans cette partie, je voulais dire « Merci », c’est grâce à vous que je suis en vie aujourd’hui.


  1. Pour préserver leur anonymat, j’utiliserais systématiquement un masculin à valeur de neutre, même lorsqu’il s’agit de femme. Mais ce ne sont pas tous des hommes pour autant.

  2. J’avais prévenu…

  3. Le masculin-neutre d’anonymat, ce n’est que pour les pas compétents. Elle était très bien, cette infirmière.


7 commentaires

Je reprends, bien évidemment, cette série avec le chapitre le plus sale (qui était écris depuis un moment, en plus)… Le 12 est encore un peu particulier (mais moins sale), mais la suite sera plus facile à lire, promis !

Je précise que j’ai (enfin) fini l’écriture, et que vous aurez donc la suite la semaine prochaine, et la fin dans deux semaines. Total, 25 pages A4 sans image, 13000 mots, soit une cinquantaine de page au format poche. Ça fait un petit récit, l’air de rien.


La suite est .

+9 -0

Une fois qu’on est lancé, ça coule tous seul.

Hum… Désolé, c’est le seul billet sous lequel je me permet ce genre d’humour très bas de plafond, parce que c’est dans le thème. :-° En vrai, ça été complexe à écrire, en effet, et ce n’est pas pour rien que ce genre de chose est réuni en un même endroit. C’était, en quelque sorte, ce qu’il me restait à évacuer.

J’aurai aussi pu parler de la LMDE, qui était mon centre Sécu à l’époque, mais je me suis contenté d’une petite phrase assassine dans une partie qui suit, parce qu’ils ont un tel niveau d’incompétence que je ne saurais même pas en parler correctement. Et que leur fonction Sécu a été récupéré par d’autres personnes.

+1 -0

@Gabbro : il y a une question qui me trotte dans la tête depuis le début de cette série de billets : est-ce que l’on a pu t’apporter un élément quelconque sur l’origine de ton cancer ? Je sais que mis à part certaines causes spécifiques (tabagisme, drogue, exposition à des produits toxiques, etc.) il est difficile voire impossible à l’heure actuelle de pouvoir déterminer avec certitude une ou des causes probables, mais, par curiosité, a-t-on pu en apporter dans ton cas ?

Également, dans le cadre de la rémission, y a-t-il des contraintes qui te sont imposées dans un objectif de prévention ?

+0 -0

Non, et non.

Il y a bien des facteurs de risques avérés pour mon lymphome, comme l’infection au VIH, mais je ne rentre dans aucune des cases. Dans mon cas, on ne sait pas.

Pour la rémission, je n’ai eu aucune consigne. Une fois les traitements terminés, je devais faire un scanner tous les 6 mois, avec prise de sang et rendez-vous à l’hôpital pour une consultation. Je n’ai pas eu de consigne, et pas plus de suivi que ça. Ça me fait penser que j’étais si faible d’un point de vue musculaire que je ne pouvais marcher qu’un quart d’heure, et que personne n’a pensé à m’envoyer chez un kiné pour avoir une reprise de la mobilité progressive et de qualité. Après, pour la prévention de la rémission, les risques étaient faibles dans mon cas, et comme je n’ai pas de facteur de risque connus, il n’y avait pas grand chose à imposer. Déjà, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne me drogue pas. Mais ça, on aura l’occasion de l’esquisser dans la prochaine partie. ;)

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