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Cela fait un moment que je n’ai pas raconté ma vie, je pense qu’il est intéressant d’aborder un sujet que je trouve peu documenté en conditions réelles : le télétravail. Cela fait plus de deux ans maintenant que je le pratique, de manière plus ou moins intensive. Et souvent quand j’aborde ce sujet avec mon entourage, je constate qu’il y a beaucoup d’idées reçues à ce sujet et que les mentalités ont du mal à remettre en question le présentéisme.
Avant de parler des bénéfices et inconvénients du procédé, et comment faire en sorte que le télétravail fonctionne, je vais ajouter un peu de contexte pour expliquer ma démarche.
Bien sûr, gardez en tête que j’ai conscience que tout travail ne peut pas se faire à distance et que cela ne conviendra pas forcément à tout le monde. Cela demande malgré tout une certaine adaptation culturelle, que nous allons voir.
Mon expérience
Historique
Tout commence en février 2017. Je débute dans ma nouvelle entreprise belge de consultance en Linux embarqué. Après trois mois à enchainer des mini projets dans les locaux de ma boîte pour différents clients, je passe enfin à un contrat chez un client sur site pour à l’origine trois mois.
Le hic, j’habite à environ 1h20 de route de leurs locaux. Et le chemin est tel que le train n’est pas vraiment une solution, car c’est au moins 3h l’aller ! Sans compter qu’en Belgique, les voitures de société sont légions. Si financièrement c’est sympa pour ceux qui en ont une et que cet avantage en nature est très confortable, c’est source d’embouteillage assez importants (sans compter la pollution et les inégalités associées). Cela n’incite pas à trouver des alternatives pour ceux qui en ont une car le transport est comme gratuit.
Étant donné le trajet à effectuer, j’accepte à condition de bénéficier d’un télétravail, 1 jour chez moi, le jeudi, le reste sur place. C’était ma première expérience de télétravail ce qui m’a permis d’évaluer la situation. Finalement le contrat se renouvelle, j’accepte trois mois supplémentaires tel quel. Puis au bout des six mois initiaux à ce régime, ils souhaitent poursuivre. J’accepte à condition d’inverser le ratio, ce sera une journée sur place par semaine, le lundi, le reste à la maison. Des exceptions sont bien sûres possibles mais seront finalement assez rares. En effet, je commençais à vraiment souffrir de la fatigue engendrée par de tels trajets à répétition.
En décembre 2018, changement de client, situé en face du précédent. J’ai négocié d’entrée de jeux un télétravail intensif également et ils vont même plus loin. Un régime où je ne viens sur place qu’une fois toutes les deux semaines en moyenne. Il est arrivé qu’un mois je ne vienne qu’une fois en fait. Mais en contrepartie certaines semaines j’ai du venir un peu plus en cas de besoin.
Du coup, j’ai testé un peu les deux modèles de télétravail, à savoir où le temps à la maison est plus faible qu’au lieu de travail et inversement. Cela permet d’identifier les caractéristiques de chaque.
Bénéfices générales
Tout d’abord, le plus évident. Le temps de trajet qui devient ces jours-là nul. Cela libère beaucoup de temps pour le sommeil d’une part, mais aussi pour ses propres loisirs ou activités quotidiennes. Mine de rien je n’ai jamais été à moins de 35 minutes en voiture de mon lieu de travail jusqu’ici, soit minimum 1h10 de trajet à effectuer par jour. Quand il n’y a pas les bouchons en plus. Alors que durant ma scolarité j’ai quasiment toujours été à moins de 15 minutes à pied de mon établissement scolaire, même au supérieur. Sacré changement !
Le corrolaire c’est que cela diminue le stress et la fatigue, les trajets quotidiens sont assez peu paisibles. Les trains ou bus sont bondés, les automobilistes conduisent n’importe comment, klaxonnent pour rien, etc. Puis le fait de perdre tout ce temps est frustrant. La conduite aussi fatigue car elle mobilise nos sens et ce pour rien d’utile.
L’autre avantage est la grande flexibilité que cela apporte. Niveau temporel d’abord. On peut organiser sa journée un peu différemment car il n’y a pas d’horaires strictes comme en présentiel. Cela facilite par exemple la prise de rendez-vous comme les soins médicaux. Pas besoin d’avoir le dernier créneau du soir ou les rares crénaux du samedi. Ou pire, de prendre un congé partiel. Ou encore d’avoir un professionnel proche du boulot et de la maison en même temps. De même pour les courses qu’on peut faire à 10h si on le souhaite, sur le marché du village. Suffit de rattraper le temps plus tard (ou plus tôt).
Ma femme ne travaillant pas, et un enfant étant en route, cela me permet de manger en famille le midi. Et de manière plus équilibrée et à moindre coût que si je devais manger dans l’entreprise. Avec ma maladie par ailleurs, il vaut mieux. Je suis donc plus présent à la maison et j’en profite mieux.
On a aussi une certaine flexibilité spatiale, on a pu investir dans une maison dans une ville moyenne. Sans devoir se dire qu’on doit déménager car on a changé d’emploi qui se trouve bien plus loin. Seule la ville de Bruxelles peut se targuer d’être à proximité raisonnable de l’ensemble de mes clients potentiels notamment en transport en commun. Mais le coût de l’immobilier y est trop élevé pour nous et je ne suis pas très fan des villes aussi grandes. Avec le télétravail on a donc une plus grande flexibilité dans la localisation de notre lieu de vie et de travail.
J’ai d’ailleurs un petit jardin où l’été, quand il fait beau, je profite de la pause café pour réfléchir en faisant les cents pas dans le jardin. C’est vraiment très agréable et reposant et cela m’aide à réfléchir.
Et bien évidemment un autre grand bénéfice et financier et environnemental. Le trajet domicile / travail entraîne la surcharge des transports en commun à certaines heures, des bouchons à n’en plus finir avec les conséquences que l’on sait sur le plan santé et environnement. Et cela n’est pas gratuit à effectuer pour le travailleur en général non plus.
Inconvénients ou idées reçues ?
Beaucoup de gens mentionnent qu’ils ne pourraient pas télétravailler car ils auraient du mal à se concentrer. Ou qu’ils seraient rapidemment distraits. Je peux comprendre ce risque bien que personnellement je n’ai pas noté une baisse de productivité. Les jours où j’étais très fatigué ou très affecté, aller au travail ne m’aidait pas spécialement à être plus concentré. C’est je pense quelque chose de personnel et après il y a quelques astuces pour éventuellement éviter cela. En tout cas il est clair qu’il faut une certaine confiance entre le manager et l’employé pour que cela fonctionne au mieux.
Par contre il est évident qu’il faut un minimum d’espace chez soi, au calme si possible, pour le faire convenablement.
Ensuite il y a la perte du lien social. Personnellement je n’ai jamais eu besoin d’un contact physique pour m’attacher à des gens. J’ai des amis très proches que je n’ai vu que quelques fois par an au mieux. Je me sens proches de nombreux collègues que je ne vois pas souvent non plus, plus que pour nombreuses autres personnes que je voyais quotidiennement. Comme celle de mon entreprise actuelle alors qu’on ne se voit qu’une à deux fois par mois au maximum. Mais c’est en effet un problème pour certains. En tout cas j’ai constaté qu’il m’est arrivé de nombreuses fois de me faire le long trajet pour aller au boulot pour seul lien social dire bonjour aux collègues. Cela n’est pas spécialement efficient je trouve.
Je dirais que le plus gros soucis à résoudre est la limite temps libre / travail qui devient plus flou car il n’y a pas de rupture spatiale et temporelle forte comme on l’a avec le présentiel. Chacun doit trouver une façon qui lui convient de séparer les deux au maximum.
Il est évident que l’entreprise ou le projet doit s’organiser en fonction du télétravail pour que cela fonctionne. Sinon on peut vite aboutir à des situations compliquées à résoudre qui seront source de tension ou de difficultés de communication. Cela implique donc une culture d’entreprise favorable. Mais je dirais qu’en général, si l’entreprise ou le projet est mal adapté au télétravail, c’est qu’il y a une mauvaise organisation quelque part qui se ressent aussi même en cas de présence systématique des employés. Le télétravail peut le révéler cependant beaucoup plus tôt et plus fortement.
Travaillant dans l’embarqué, je ne peux passer au télétravail complet en permanence. J’ai besoin parfois d’accès à du matériel (ou à l’employé qui s’en occupe) pour déboguer. Puis pour récupérer la carte, éventuellement la réparer, etc. Par ailleurs lors de certaines phases du projet, comme la réception d’une nouvelle carte, est peu compatible avec un télétravail. Ces périodes peuvent nécessiter en effet une présence plus intense.
Dans de rares cas, une présence physique imprévue aurait été nécessaire mais n’a pu avoir lieu. Dans ce cas oui, cela peut faire perdre du temps au projet et en efficacité. Il faut en avoir conscience.
Méthodes et solutions
Pour la question de la concentration, j’ai personnellement ma méthode à moi qui fonctionne bien. À la fin d’une journée de travail, faire le bilan d’où on en est et définir ce qu’on va faire le lendemain. Cela évite de se poser la question le matin quand on est souvent un peu moins motivé et de se perdre un peu dans ses pensées.
Pour ceux qui veulent du rapport humain absoluement, ou une sorte de pression extérieure, ou encore si l’ambiance à la maison est trop bruyante, il reste les solutions d’espace de coworking. Cela permet de faire du télétravail depuis un lieu dédié à cela, avec d’autres personnes dans le même cas. L’objectif étant que ce lieu soit bien plus proche de chez vous que du lieu de travail pour limiter le déplacement. Cela a un coût mais qui peut être moindre qu’un déplacement systématique.
Ensuite, et cela va avec la question de la confiance, il faut faire des rapports réguliers de son avancement. Selon le client soit on avait une téléconférence deux fois par semaine (mardi et jeudi) ou j’envoyais un courriel le vendredi soir pour dresser le bilan hebdommadaire. Sauf si quelque chose d’urgent apparaît bien sûr où cela se fait plus tôt. Cela peut, je pense, aider se motiver à avancer car si on a rien à dire, cela se voit. Ainsi on peut bâtir une certaine confiance dans la relation de travail car cela avance convenablement. Et cela peut être source de motivation à s’y mettre en cas de coup de mou.
De toute façon, faire des bilans, même en présentiel, il faut en faire. Pas trop souvent, mais assez régulièrement. Cela aide aux autres de voir les avancées de chacun, d’éventuellement discuter de certaines solutions, choix ou d’aider en cas de problèmes.
Avoir des traces de ce genre de bilans est également utile. J’ai vécu le cas du présentiel où les comptes rendus des réunions étaient absents. Les absents pour maladie ou vacances ne voient donc pas ce qui a été dit et décidé. Ou en cas d’absence d’un membre de l’équipe, ou qui est sur le point de partir, l’équipe n’est pas informée de ce qu’il a fait exactement et est incapable de prendre le relai rapidement en cas de besoin comme pour une livraison qui doit se faire rapidement. Le télétravail aide, je trouve, à organiser l’équipe de sorte qu’il y a peu de choses connues d’une personne unique.
Par ailleurs, ayant eu le cas d’un client ayant une équipe sur un site unique pour ses projets et l’autre où il y avait de nombreux membres extérieurs (plusieurs fournisseurs qui bossent sur un projet unique), j’ai constaté que globalement avoir un relation client / fournisseur traditionnel n’est pas très loin du télétravail. On a pas le contrôle sur tout ce qu’ils font, sur leur planning ou organisation interne au jour le jour, pas de réunions ou de contacts physiques quotidiens, etc. Cela est très proche, et l’expérience du télétravail dans le second cas a été plus réussi que le premier.
Il est donc essentiel pour que cela se passe bien d’avoir des canaux de communication clairement bien définis, avec un maximum de trace écrite notamment pour les bilans.
Il faut être également un peu asynchrone. Comme on ignore si l’employé à l’instant donné est en train de travailler ou devant son ordinateur, il faut s’adapter pour éviter de perdre du temps pour tout le monde. Il m’est arrivé le cas par exemple où vers 17h un manager est venu sur Skype (oui, je n’ai pas choisi la technologie de synchronisation) me parler. Il m’a simplement dit bonjour, attendant que je réponde pour continuer et me poser sa question ou requête. Quand je suis revenu, il était déjà parti, je devais continuer à travailler un peu. J’ai du attendre le lendemain pour savoir ce qu’il voulait et satisfaire sa demande alors que j’aurais pu le faire la veille au soir s’il avait osé aller plus loin sans m’attendre. Ici ce n’était pas spécialement gênant, mais ça aurait pu l’être plus sérieusement dans certains cas. L’asynchronisme est je trouve moins bien appréhendée par les managers plus âgés. Mais c’est peut être une idée reçue de ma part mais c’est l’impression que j’en retire.
De toute façon, en openspace, je détestais me faire interrompre à tout bout de champs pour une question d’un collègue du bureau d’à côté alors que j’étais assez bien concentré. Ici au moins, désactiver ses notifications durant ce laps de temps permet de se libérer des moments de concentration très appréciables.
Il est quand même nécessaire que les employés se retrouvent de temps en temps. Car cela peut être nécessaire, comme dans mon cas où je dois voir un collègue électronicien par exemple pour déboguer la carte. Mais aussi parfois pour optimiser les discussions ou l’élaboration de solutions car l’asynchronisme peut induire trop de latence dans la discussion. Je trouve qu’en minimisant ce nombre de jours, ils deviennent bien plus efficaces. On rentabilise le déplacement en faisant un maximum de choses qu’on ne peut pas faire à distance, du moins avec cette efficacité. Je trouve cela donc moins frustrant et bénéfique. Pour éviter les planning compliqués, il me semble nécessaire de définir un jour par défaut dans la semaine où la disponibilité doit être maximale. Ainsi on évite que untel rate une réunion importante car il a aquaponey ce jour là. Cette prévisibilité permet de garder de la flexibilité en gênant le moins possible le planning du projet.
Bilan
Je dois dire pour ma part que le bilan est très positif. J’aime bien ce mode d’organisation et j’aurais bien du mal à revenir en arrière à moins d’être vraiment proche de mon lieu de travail ce qui me semble peu probable. Je souhaite pour ma part essayer d’obtenir cette organisation pour les prochaines fois, même si le rythme peut différer suivant que cela soit à la hausse ou à la baisse. Pour moi le ratio temps de travail maison / entreprise doit dépendre de la distance entre les deux lieux.
En tout cas le télétravail sur de courtes périodes (un à deux jours à la maison par semaine maximum) ne me semble pas difficile à réaliser sans grandes adaptations. Au delà il faudra un peu plus d’effort dans la mise en oeuvre. C’est une autre manière d’aborder l’entreprise, les projets et son rapport au travail. Étant donné les gains associés, je suis en faveur de sa généralisation dans la mesure du possible, puis suivant les résultats et aspirations des gens ils pourront décider d’aller plus loin. J’encourage les gens qui en ont la possibilité de tester et de faire leur propre bilan.
Il y a beaucoup à faire pour que les mentalités acceptent cette organisation de manière générale. Mais de mon expérience, il me semble que cela se fait de plus en plus avec succès. En tout cas pour les courtes périodes.