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Dictionnaire amoureux de l'étymologie - Extrait No. 1

Petite exploration de l'étymologie occidentale

Bonjour ! Ça faisait longtemps :D

La série que je commence ici est un peu spéciale, car elle contient le texte d’un livre que j’ai échoué à publier. Vous vous souvenez peut-être de mes billets "Parfois, le latin, c’est beau" (numéros I, II et III) : j’ai tenté d’en faire un livre, organisé en petites rubriques, qui se serait alors appelé "Dictionnaire amoureux de l’étymologie", d’après le nom de la collection éditée par Plon.
Le hic, c’est que Plon a refusé. Donc, au lieu de quémander auprès d’autres éditeurs pour un ouvrage qui n’aura que 100 tirages, je préfère en faire profiter les Zesteux :3 .

Vous aurez donc, de temps en temps, quelques rubriques de ce manuscrit avorté, en fonction de mon caprice et dans le désordre :-° . Avec la rubrique information (en bleu), je me permettrai de faire quelques commentaires, histoire de rendre la lecture plus agréable.

J’espère vraiment que tout ça vous plaira :)

Archéologie

Cette rubrique sert plutôt bien de préambule au dictionnaire tel que je l’ai conçu. Il n’y a aucun fait frappant, mais c’est une idée générale qu’il faut saisir.

L’étymologie est une sorte d’archéologie, car son intérêt porte sur des vestiges. En effet, quelle autre expression serait plus adaptée que « vestige » pour caractériser l’accent circonflexe ou les lettres finales muettes, sans utilité phonologique, conservées par transmission (x de paix, s de legs, dernières lettres de Bordeaux, etc) ?
La caractéristique de ces vestiges, cependant, est qu’ils sont publics, accessibles à tous, et non cachés derrière des dunes de sable, à des kilomètres du vulgus profanum : on les côtoie tous les jours, comme au Moyen-Âge on passait devant le Colisée ou les thermes de Trajan sans leur accorder un regard (ou une visite) – c’est à long-terme le sort qui attend notre Arc de Triomphe ou Notre-Dame de Paris. Bref, les mots constituent des vestiges tellement familiers qu’ils sont méprisés, jugés trop évidents et accessibles – alors même que leur contenu est riche en enseignement, et peut quelquefois nous mener à une autre époque, à un autre lieu du globe. Il faut donc concevoir ce dictionnaire amoureux comme une invitation à entrer dans ce Colisée en ruines, d’accorder un peu de temps à l’histoire qui nous entoure au quotidien, à la recherche des fondements (ἀρχή, archē en grec) de notre langue.

Ego

Partagé par le latin et le grec, ce mot est une preuve éloquente de l’ascendance commune de ces deux langues. Un grand nombre de langues européennes ont hérité de ce pronom pour exprimer la première personne du singulier : l’italien io ; l’espagnol yo ; eu en portugais et roumain – et bien sûr je. Les langues germaniques comme l’allemand ich ou l’islandais ég ont la même origine indo‑européenne, mais l’histoire de l’anglais I est un peu plus atypique : en effet, ce pronom se marque toujours en majuscule. Si la doxa en fait généralement une preuve de l’orgueil britannique, l’histoire révèle un autre parcours.

Le pronom I est hérité de l’ancien anglais qui, lui, s’écrivait sans majuscule. Au cours du temps, le pronom est devenu i, écrit en minuscule, qui aurait pu rester tel. Cependant, les conventions d’écriture de l’époque en ont décidé autrement : en effet, la calligraphie médiévale (notamment gothique) basait un grand nombre de lettres sur la forme du i (appelé minim), comme le montre l’image ci-dessous :

"Mimi minimum niuium" en écriture gothique : pas facile de s'y retrouver, hein :p ?
"Mimi minimum niuium" en écriture gothique : pas facile de s'y retrouver, hein :p ?

Cette ambiguïté a donné lieu à diverses stratégies pour éviter la confusion, notamment le pointage des i (qui s’écrivaient, avant, sans point suscrit), mais aussi l’allongement des i en j, à la fin des mots et de nombres romains (viij pour 8) – voir aussi le bigramme néerlandais ij. Le i de la première personne s’est donc allongé, afin d’éviter la confusion, devenant la majuscule I contemporaine. De nos jours, bien sûr, cette capitalisation n’est plus utile, mais elle subsiste comme un vestige de la calligraphie médiévale.

Pneu

« Pneu » : aussi peu poétique que soit ce mot, il est un témoin de la conception des Anciens sur l’âme. Vous ne me croyez pas ?

Le mot pneu vient de la réduction de pneumatique, lui-même hérité du grec πνεῦμα (pneuma), signifiant à la fois le souffle (voir apnée, neume) et l’esprit, l’âme. Le mot âme, d’ailleurs, partage la même polysémie : d’abord désignant le souffle (sa racine est la même que le grec ἄνεμος, anemos, le vent), puis l’esprit. Même chose pour les termes esprit (de spīritus, apparenté à respirer) et psyché (ψυχή, souffle, papillon, esprit) – mais pas pour le latin mens ou l’anglais soul. On retrouve d’ailleurs cette idée de souffle dans les langues sémitiques – néfesh pour l’hébreu, nafs pour l’arabe – et dans la Genèse, le premier livre de la Bible (Gn 2, 7) : « L’Éternel Dieu façonna l’homme avec de la poussière du sol, il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. »

Ainsi donc, la conception de l’âme-souffle semble remonter à une époque lointaine : au moins indo‑européenne, sinon plus ancienne encore, puisqu’on la retrouve dans les cultures sémitiques. Tout ça à partir de pneu.


Voilà tout, j’espère que ça vous aura plu ! N’hésitez pas à commenter ce billet pour me faire part de vos impressions, ou même des imprécisions que j’ai pu commettre ;)

4 commentaires

J’ai les boules qu’ils ont refusé, j’aurais bien acheté le bouquin (et demandé une dédicace!)… Mais je connais un pote qui veut ouvrir sa maison d’édition à terme, et ça aurait été pile poil dans sa ligne édito :-)

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