uTip ferme sous la pression de son prestataire de paiement MangoPay : questions sur le droit entourant tout ça

MangoPay peut-il faire pression à ce point et interdire de passer par un autre prestataire ?

a marqué ce sujet comme résolu.

Bonjour — contexte.

uTip est une plateforme de financement participatif orientée vers les créateurices d’internet, similaire dans l’esprit à Patreon, Tipeee, LiberaPay, ou GitHub Sponsors. La plateforme gère la collecte de dons (ponctuels ou mensuels), ainsi que la vente de produits dérivés (fabriqués à la demande par uTip ou gérés directement par les créateurices). La plateforme est gérée par la société UTIP SAS.

Il se trouve que UTIP SAS est en redressement judiciaire, suite à la cessation unilatérale par MangoPay de leur contrat de prestation de paiement. La communication officielle d’uTip, ci-après, est peu bavarde sur les causes :

Capture d'écran d'un mail envoyé par uTip. « C'est avec beaucoup d'émotion que nous vous informons que la plateforme uTip cessera son activité de paiement le 4 avril prochain. À partir de cette date, aucun don ni achat ne sera possible. Pourquoi ? Car Mangopay, notre prestataire de paiement, a unilatéralement décidé de rompre notre contrat. Et cela, sans nous permettre de transférer vos abonnements vers un nouveau prestataire. Dans ces conditions. et associe a une situation de trésorerie fragile, nous n'avons eu d'autre choix que de placer la société en liquidation judiciaire, avec pour le moment une poursuite d'activité. Bien que l'activité de la plateforme cesse, vos soldes de créateurs seront toujours disponibles, de sorte que vous puissiez déclencher un virement au plus tôt. II suffit simplement de vous assurer que vos coordonnées bancaires soient à jour et que votre identité soit vérifiée. Et si jamais vous rencontrez des difficultés, Alfred sera, comme toujours, là pour vous guider et vous assister. Un bouton dans votre interface sera mis à disposition pour vous permettre de récupérer le listing de vos abonnés, ou vous pouvez utiliser notre outil d'envoi de mail pour informer votre communauté de la nouvelle plateforme que vous choisirez. Nous tenons à remercier chacun d'entre vous pour votre engagement et votre fidélité tout au long de ces années. Nous comprenons que cette situation soit extrêmement difficile et nous restons là pour vous accompagner au mieux. »
Un courriel envoyé par uTip à certain·es créateurices (désolé pour la qualité, je ne l’ai pas encore reçu et je n’ai trouvé mieux).

FrAndroid a pu obtenir plus d’informations, et explique dans ses colonnes que MangoPay — une société appartenant à un fond d’investissement américain — interdit expressément tout contenu pour adulte, et qu’une créatrice aurait réussi à créer une page uTip pour de tels contenus. Malgré la réaction rapide d’uTip, MangoPay aurait décidé d’unilatéralement et définitivement rompre le contrat.

Depuis plusieurs semaines, Stanislas Mako [fondateur et actuel PDG d’UTIP SAS, ndlr] nous confie rencontrer des problèmes avec son prestataire de paiement, la plateforme Mangopay. Il s’agit de l’intermédiaire financier qui récolte les paiements et peut permettre le paiement des créateurs et créatrices. Mangopay a bloqué le compte de uTip et garde désormais, en sécurité, l’argent récolté sur les campagnes de uTip.

D’après Stanislas Mako, ce blocage est dû à la page d’une créatrice de contenu pour adulte. Mangopay interdit le financement de ce type de contenu dans ses conditions d’utilisation. Le patron de uTip nous assure avoir fait le nécessaire le plus vite possible, ce type de contenu est également interdit sur uTip, du fait de l’utilisation de Mangopay comme prestataire.

Crée en France en 2012 par Céline Lazorthes, que l’on connait aussi pour la création de Leetchi, la plateforme Mangopay a été rachetée en 2015 par le groupe Crédit Mutuel Arkéa avant d’être revendue en 2022 au fonds d’investissement américain Advent International. D’après le patron de uTip, le contact avec Mangopay est aujourd’hui très difficile. Nous avons envoyé nos questions à Mangopay, mais n’avons pas obtenu de réponses pour le moment.

FrAndroid, rédigé par Cassim Ketfi.

On apprend également que MangoPay interdit expressément à uTip de renouer un contrat avec un autre prestataire de paiement, forçant l’entreprise à se placer en liquidation judiciaire — pour le moment, avec poursuite d’activité, bien qu’UTIP SAS ait annoncé la fin de ses activités de financement participatif et de vente d’ici demain 4 avril. Ils précisent :

Malheureusement, nous n’avons pas été autorisés par @mangopay à transférer vos abonnements vers un nouveau prestataire. Cependant, les soldes des créateurs resteront disponibles pour les retraits.

Équipe d’uTip, sur Twitter

Et ajoutent :

La situation de la société est distincte de la situation de la plateforme.
La plateforme peut continuer, si elle est reprise par un autre.
En l’état, nous ne pouvons transférer l’activité vers un tiers. Et cela malgré nos efforts, jusqu’au bout.

Équipe d’uTip, sur Twitter

Tout ceci me fait me poser quelques questions — d’où ce sujet. Mes connaissances en droit français (ou international, je ne sais trop) ne me permettent pas d’y répondre. Déjà, il me semble invraisemblable que MangoPay réagisse de façon si virulente, surtout si uTip dit avoir retiré les contenus dés qu’ils en ont eu connaissance — mais j’imagine qu’il est difficile de questionner le puritanisme américain. Vu de France, ça fait bizarre.

Surtout, en quoi une société ayant un contrat de prestation avec une autre peut interdire cette dernière de renouer un autre contrat de prestation après avoir rompu le contrat les liant ? Cela me semble être ultra abusif : de fait, MangoPay avait droit de vie ou de mort sur la société UTIP SAS (et ils ont baissé le pouce vers le bas). Est-ce une spécificité car c’est un contrat de prestation de paiements ? Une clause d’exclusivité courant après la cessation même unilatérale du contrat pourrait-elle exister, et ne serait-elle pas considérée comme abusive ? J’aurais compris une impossibilité de transférer les paiements récurrents existants vers un nouveau prestataire, mais je ne comprends guère l’impossibilité de nouer tout nouveau contrat. Ou se pourrait-il qu’une telle opération soit possible mais considérée comme trop risquée par uTip, et que leur communication soit simplement floue ?

Enfin, il faut savoir qu’UTIP SAS est en redressement depuis le 23 mars. Or, ils ne préviennent qu’aujourd’hui, à savoir la veille de la fin de leurs services pour créateurices — ce qui en a mis plus d’un·e dans l’embarras car dépendant d’uTip pour vivre et ayant à trouver une solution en urgence. Cela fait s’élever quelques voix affirmant qu’il y a anguille sous roche et que la réalité est plus complexe. Est-ce crédible ?

Merci pour vos éclaircissements, même partiels :)

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Concernant la position de MangoPay : Nico Oni expliquait qu’en fait, uTip hébergeait plusieurs travailleuses et travailleurs du sexe en fermant bien les yeux en mode « Non mais on ne finance pas directement cette activité-là, c’est leurs autres activités ». Le cas déclaré ne pourrait être qu’un prétexte.

D’autre part, la frilosité des platesformes de paiement vis-à-vis de la pornographie n’est pas que du puritanisme. C’est un domaine qui apporte plein de problèmes, comme l’importance cruciale de savoir d’où provient réellement l’argent et à qui tu le renvoie (tu ne veux vraiment pas financer des mineurs par mégarde, entre autres choses) ; et la quantité délirante de demandes de remboursements (entre les gens qui estiment qu’ils n’ont pas à payer pour ça, et les tentatives de sauver les meubles en mode « non j’ai pas acheté du X, je mes suis fait pirater »).

Même chez des prestataires purement techniques (qui prennent sûrement un risque juridique et économique bien moins important) on en voyait qui refusait la pornographie. Par exemple il y a quelques années, Akamai refusait qu’on utilise son offre de CDN pour diffuser du contenu pour adulte. Je ne sais pas ce qu’il en est aux USA (Akamai étant une société américaine), mais en France je suppose que le risque est limité : le client doit payer le trafic réseau consommé de toute façon, et le vendeur de CDN peut sûrement se dédouaner en se posant comme simple prestataire technique qui n’héberge pas vraiment (dans le cas général) et qui éditorialise encore moins, si jamais il y a un souci.

Je trouve en effet la formulation « Et cela, sans nous permettre de transférer vos abonnements vers un nouveau prestataire » trop floue pour pouvoir en tirer des conclusions.

Ça ne veut pas forcément dire qu’ils sont empêchés d’ouvrir de nouveaux contrats, peut-être que cela signifie que MangoPay ne leur fournit pas de service pour migrer l’ensemble de leurs contrats.

Pour une explication possible de la différence de dates entre la date de redressement et la date d’annonce, il faut savoir que durant ces processus (redressement, liquidation) l’entreprise n’est plus complètement autonome sur ce qu’elle a le droit d’annoncer ou non (a ses prestataires ou a ses clients). Beaucoup de choses se font en accord avec un administrateur judiciaire ou un liquidateur.

Le but est d’éviter que les anciens gérants de la société (qui ont perdu une partie de leur pouvoir de gérance au debut de la procédure) nuisent a la revente de l’actif de la société.

Oh, un autre point étonnant soulevé par Gautoz et que je viens de voir passer en migrant mes dons : quand les créateurs demande à uTip s’ils ont une solution de secours, uTip conseille Kiss Kiss Bank Bank. Ce qui est étonnant à deux titres : premièrement, l’offre d’abonnement sur ce site est très récente ; deuxièmement, leur prestataire de paiement est aussi MangoPay.

Je pense que Utip demandait à Mangopay la possibilité de transférer les abonnements, pas de juste en fournir les données pour que eux puissent le faire. Ce sont des données bancaires, avec autorisations de prélèvements, etc. Donc, dans l’idée, peut-être qu’entre deux prestataires de paiement cela aurait pu se faire, mais c’est techniquement compliqué, probablement, et juridiquement complexe aussi, à mon avis.

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Salut,

Le fait d’avoir une clause d’exclusivité après rupture du contrat me parait étrange et je n’ai pas connaissance de telles pratiques. Par contre, tu peux avoir une clause d’exclusivité ou de minimum de volumes en échange de conditions tarifaires plus avantageuses. Par contre, il y a toujours une clause de réversibilité pour les données de paiement de tes acheteurs. Et pour les cartes, la migration doit être faite entre acteurs pouvant prouver leur respect de la norme PCI-DSS (SAQ-D au minimum mais Level 1 en règle générale pour les PSP).

Le point complexe avec les marketplaces/crowdfunding est que uTip n’est qu’agent de paiement. C’est Mangopay qui a traité le KYC des créateurs de contenu. Et donc "déplacer", tout ce beau monde vers un autre PSP ne se fait pas du jour au lendemain car il y a de fortes chance qu’il faille refaire tout les KYC de zéro. Sans même parler toute la phase de contractualisation entre uTip et le nouveau PSP.

On voit ici les limites du mono-sourcing d’un fournisseur critique à l’activité d’une entreprise.

Edit suite à la remarque de Spacefox:

  • KYC: Know Your Customer
  • PSP: Payment Service Provider ou Prestataire de Services de Paiement.
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